Conte interactif - La file d'attente
Par Kozlika le lundi 5 juillet 2004, 22:55 - Lien permanent
6 h 10. Je constate en arrivant devant les portes de la billetterie de l'Opéra Bastille que je suis parmi les premières. Trois personnes seulement sont arrivées avant moi. Je les connais de vue pour les avoir souvent croisées ici. Le jeune homme qui s'est chargé aujourd'hui d'organiser le rituel de la file d'attente virtuelle me tend une feuille de son carnet : "Lucia di Lammermoor, numéro 4". Il danse d'un pied sur l'autre tandis qu'il poursuit une conversation animée avec les deux autres femmes sur les mérites comparés des différentes interprètes de Lucia. Il fait encore bien frais ce matin malgré le début d'un été qui s'annonce caniculaire et il n'est vêtu que d'un débardeur, certes avantageux pour cet adepte manifeste de la "gonflette", mais un peu léger encore à cette heure.
Je lui propose d'assurer le "tour de garde" jusqu'à 7 heures, ce qu'il accepte reconnaissant en me tendant son calepin. Il se dirige vers le seul bar ouvert à cette heure, entraînant à sa suite ses contradictrices.
C'est la première fois que je me charge d'accueillir les spectateurs assez fous pour patienter cinq heures pour obtenir les précieux billets. Monsieur Cinq et Monsieur Six - de vieux routiers - ne demandent pas d'explications, et repartent avec leur numéro. Mademoiselle Sept est une jeune étudiante japonaise ; dans un anglais très approximatif, je lui explique les règles non écrites établies depuis des années par "gentlemen agreement" entre les spectateurs : les "appels" aux heures fixes, la relégation en fin de liste pour ceux qui ne s'y présentent pas, la reconstitution de la "vraie" file devant les guichets à partir de 10 heures jusqu'à l'heure d'ouverture de la billetterie, une heure plus tard. Elle opine du bonnet vigoureusement, me redemande si vraiment elle peut s'éloigner sans perdre sa place et s'en va flâner aux alentours.
Monsieur Huit arrive peu avant 7 heures à vélo. Il a le visage ouvert et un air de gamin farceur bien qu'il ne soit probablement guère plus jeune que moi. Lui aussi connaît la tradition et plie soigneusement son papier qu'il glisse dans sa poche avant d'enchaîner son vélo au réverbère. L'heure du premier "pointage" étant proche, il reste devant les portes.
-- Vous êtes une inconditionnelle de Donizetti, de Dessay ou d'opéra en général ? me demande-t-il. Je prends souvent des billets par ce moyen mais c'est la première fois que je vous vois.
-- Les trois à vrai dire. Mais je débute dans le métier de "folle d'opéra" et puis je prends en général mes places par abonnement. En fait j'ai vu ce spectacle hier et j'avais très envie de le revoir.
-- Vous y étiez hier ! Formidable ! Que diriez-vous de me raconter ça autour d'un petit déjeuner après l'appel ?
J'ai un peu froid, passablement faim ; je ne me lasse jamais de parler de l'une mes oeuvres favorites... et il a l'air charmant.
A peine attablés dans la petite boulangerie-salon de thé, il me presse de questions sur la représentation de la veille. J'y réponds du mieux que je peux. Son visage mobile est attentif, il se penche et se redresse constamment, ses mains virevoltent, j'ai rarement vu quelqu'un dont le corps participe autant à la parole. Nos genoux se touchent souvent sous la table étroite, cela me trouble vaguement mais je choisis de ne pas y prêter attention. Lui-même ne semble n'en faire aucun cas. Nous parlons des autres spectacles programmés cette année.
-- Vous n'irez écouter aucun Strauss ? Mais c'est une erreur gravissime ! se scandalise-t-il.
-- Il paraît, oui. Mais j'ai du mal avec ce compositeur. Ça me semble trop froid, trop intellectuel...
-- Sacrilège ! Rien de plus charnel au contraire : Salomé, la danse des sept voiles... et la scène finale, ah, la scène finale est carrément... d'un érotisme insoutenable !
-- Une femme qui embrasse une tête coupée sur un plateau ? Vous avez de drôles de fantasmes, vous !
-- Pfffffft ! Mais j'en ai d'autres, vous savez.
-- Vous me rassurez !
-- Vraiment ? Parce que justement...
(A suivre)
Choisissez la suite :
1. Pugilat dans le salon de thé. Toute la vaisselle y passe.
2. Aussi torride que brève, la rencontre se poursuit.
3. Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants.
4. Ton histoire est vraiment trop nulle, arrête tout.
Commentaires
J'adore ton récit ! C'est très vivant, on y est ! Pour la suite, je te souhaite un "dénouement" qui n'est pas écrit à l'avance, et que tu ne pourras pas choisir non plus. Car il s'imposera.
Doux rêves !
Selon moi le pugilat est à exclure. Qu'ils se marient me semble tout aussi improbable (sinon l'histoire s'arreterait là). Ton histoire n'est pas nulle, mais alors pas du tout ! J'opte pour que la conversation se poursuive. Ce type à l'air un peu étrange, ce qui le rend interressant selon moi. D'ailleurs il me rappelle vaguement quelqu'un… La dialogue des genous est peut-être à creuser. Cette image de tête coupée qu'on embrasse est assez peu ragoûtante, mais constitue une image très forte dans le récit. Ça fait un peu peur. Quant à Strauss, moi aussi il m'ennuie… Electre m'a rasé.
Absolumument ok avec ST pour un "dénouement" non écrit à l'avance, du moins dans la "réalité"...
Dans l'écriture, juste pour le fun et pour les initiés à l'opéra (dont je ne fais pas partie) : une évocation en clin d'oeil des fantasmes présents dans vos opéras favoris pourrait convenir à un prolongement ...
En cela peut-être, remettre le fantasme à sa "juste" (tout est relatif ;-) place : la créativité, la sublimation exprimant les choses, sans tabou...
Le fantasme n'est-il pas (ne devrait-il pas être ?) un objet, comme une balle, une matière, avec laquelle on peut jouer, créer?
Les genoux frottés font des étincelles et enflamment semble-t-il l'imaginaire, et la nappe ;-) : à quand un opéra moderne écrit ainsi ? cela existe-t-il (désolée, question de néophyte... sont-elles les bienvenues ici ?)
Je ne connais pas l'électre de strauss, seulement le perso à traver le théâtre, lequel perso m'emmerde en ce qui me concerne : boule de haine, je lui préfère tout cru la folie d'Antigone (relue récemment d'ailleurs dans Jean Anouilh), développée dans un roman absolument merveilleux (le terme est faible) d'Henri Bauchau (poète belge).
Je ne sais pas pour vous, je trouve fascinante l'évolution de ces grandes figures tragiques à travers les oeuvres et le temps, chaque auteur les interprète à sa manière, leur donnant un éclairage, un visage nouveau, l'enrichissant davantage.
ps : réponse no time for the moment (snif) to create a blog (travaux in the casba, études...etc)
et zut, y a-t-il un moyen de corriger ses ortho-gaffes : poux, hiboux, genoux...et autres coquilles ?
ST : cette histoire est fictive, née de mon imagination pour tuer l'attente un jour gris d'octobre...
Atlantico : Elektra... non vraiment moi non plus je n'y arrive pas. Au fait, il te rappelle qui Monsieur Huit ? ;-)
Slangoslam : dans mes bras !! J'adore Bauchau, j'adore Antigone et j'adore par dessus-tout l'Antigone de Bauchau ! (PS : je corrige ton post, toi tu ne peux pas mais moi je peux même changer vos propos si ça me chante ;-)
Arg. Je me suis fait avoir... C'était trop beau. J'adore. Merci ;-)
Un bien joli récit, dont j'attends avec force impatience, une suite, quelle qu'elle soit !
Ca va je suis pas tout seul... :-D
la suite ! la suite !! tu racontes trop bien ! le début est vraiment passionnant. la suite ! :-))
Je suis plutôt pour la suite torride et brève, c'est un penchant naturel, et puis tu seras bien référencée avec quelques mots salaces
Plus sérieusement, je te fais confiance, le début est prometteur, à quand la suite ?
Question subsidiaire : pouvons nous suggérer une suite ?
"Question subsidiaire : pouvons nous suggérer une suite ?"
C'est même recommandé.
Et m....., je suis trop fleur bleue comme gars: pareil que ST, je me suis fait avoir. Je pensais çà vrai et m'en allais voter pour le happy end hollywoodien.. avant de lire les commentaires.
Bonne résolution n°1: s'endurcir. Devenir un coeur de pierre. Un dur un vrai un tatoué :P
Excellent départ.
Pour la suite tu me connais, et tu sais ce que je pense des relations entre fous d'opéras, et que même j'ai déjà donné.
Alors la suite, c'est : ils causent, ils causent et uniquement d'opéra, mais arrivent les 10 heures fatidiques et ils se remettent à leur place parce que quand même Lucia c'est beaucoup plus important que toutes les dragues du monde, et à la fin ils sont tellement contents d'avoir leur billet qu'ils se séparent et rendez-vous à la prochaine file d'attente...
Bises
Mais Catherine t'es folle ou quoi ? J'étais à deux doigts de les convaincre que l'opéra (et ses adeptes) est un monde plein te tumulte, d'amour et de passion ;-)
Je relève le défi. La suite sera résolument charnelle !
Non, mais des fois ;-)
Oh!!!
Je serai assez pour que tu ailles à l'opèra avec la tête de ce monsieur sur les genoux. Et telle Salomé sur cette si belle image la lancer pour l'ovation finale
Moi j'y crois à cette histoire... sauf que dessay n'a jamais chanté Lucia à Bastille ;-) Contrairement à Catherine, je connais plein d'histoires qui ont commencé dans une file d'attente à l'opéra. Des histoires d'amour, des histoires de cul, des histoires d'amitié. En plus ton récit est très plausible. Monsieur Huit passant après Monsieur Un, gonflette en débardeur, et Monsieur Cinq et Six (venus ensemble ?), on peut croire à un Monsieur Huit qui fait du genoux à une frèle jeune demoiselle. Sinon... Moi je parierai ssur une suite plus longue : ils continuent de discutter jusqu'à 11h00, se séparent sans laisser d'adresse.... et se retrouvent le jour de la représentation, vont boire un verre ensuite... Et là tous les espoirs sont permis ! X
Bon, tu nous mets l'eau à la bouche... et maintenant cela fait près d'une semaine que l'on attend, et il n'y a toujours pas la suite.... c'est trop dur ! ;-) On veut la suite ! ^_^
En cours... mais je me suis piégée, j'essaie de sortir dignement de l'engagement pris envers Catherine - qui me le paiera, je suis trop impulsive ;-)
Je verrai bien une suite qui dérape complétement, et qui va surprendre ton lectorat.
Hi hi, obni, toi ici, à cette heure ?
"De ce numéro quarante quatre Oenone as-tu vu la splendeur?"
Bientôt la suite, mais qui aura le courage de poster le 44ème commentaire ? (pas moi!)
Samantdi > Tu penses que je vais à la messe ? ou à confesse ? (il faudra que je rédige un truc un peu olé olé sur ce mot) :)
Faut dire que confesse s'y prête assez... Au con-traire de triste fesse dont on ne peut rien faire.
Confesse = cyprès tassés ? Comprends pas ! Est-ce chargé de sous-entendus ? ;-)
cyprès tassés == si près tassés, plutôt ;-)
si près tassés <> Si prête ? Assez ! ;-)