Devine qui vient bloguer ce soir ?
Par Kozlika le mercredi 3 novembre 2004, 17:13 - Lien permanent
Edit du 12 novembre : le site du Roncier est réparé, vous pouvez maintenant suivre les liens ci-dessous.
Nous aimons tous les deux Anna Moffo. C'est ainsi que nous avons fait connaissance. Plus tard nous avons partagé des histoires de crêpières et nous leur avons déclaré la guerre, guerre dont l'un des hauts faits fut l'Opération Kawai. Mais la riposte des machines à crêpes fut terrible : son site a été hacké. Qu'importe, nous avons des munitions, qu'on se le dise ! (Pfiou ! Ça en fait des liens à copier coller...)
Ce soir j'ai invité le roncier à bloguer chez moi.
La messe buissonnière
Je n’ai pas été à la messe. Je suis descendu par le petit chemin qui menait à son verger, celui avec la cabane que j’aimais tant. Je me souviens des arbres collants de sève et des fruits mûrs que ma mère cueillait pour faire des confitures, je me souviens de nous, protégés par ces murets de pierre, au cœur de l’été. Je me souviens des cheveux de Denise, tellement longs, trop longs pour une vieille dame, et de son secret, murmuré dans la cuisine de sa maison de Brezolles : Je les lave à l’eau de pluie. Je me souviens des nids d’hirondelles dans le cellier au fond du jardin et de son rouge-gorge apprivoisé qui est revenu trois étés.
Dans son cercueil, elle était toute petite, son visage était presque lisse, comme si ses 80 ans passés avaient glissé de ses épaules. Plus de vie, plus de douleurs, on lui avait enlevé son plâtre, le drain de sa jambe droite et elle portait un de ses foulards de soie. La chambre mortuaire était celle d’un hôpital de province. Peu de passage, des traces de chariot sur les murs, les outils des pompes funèbres qui dépassent de dessous le cercueil. Et Denise, si sérieuse, dans son satin écru. Je suis allé à l’enterrement le cœur léger, je préfère que les gens ne souffrent pas trop avant de mourir et Denise n’a pas trop souffert. A priori. En entrant dans cette salle, j’ai quand même eu envie de pleurer face à ce petit corps et ce n’est pas le cérémonial des pompes funèbres qui a soulagé cette pression dans ma poitrine. J’ai eu envie de prendre une photo de son visage, mais je n’ai pas osé. Plus tard, je l’ai dit à ma mère, qui m’avoué que son frère l’avait fait pour la grand-mère. J’ai pensé à ces livres des morts, qui gardaient les disparus parmi les vivants en les prenant en photo comme s’ils étaient simplement endormis.
Je n’ai pas assisté à la messe. Pas envie de guignoler sans y croire. Denise, elle, a passé sa dernière semaine à réciter des « Je vous salue Marie ». Ca a commencé après sa dernière opération. Ses yeux à peine ouverts, le son de sa voix a résonné dans son masque respiratoire, puis dans la pièce, en filant des frissons à toute l’assistance. A partir de ce moment, elle n’a plus reconnu ses proches, elle n’a plus répondu aux questions des infirmières. Uniquement : je vous salue, marie pleine de grâces ; le seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et jésus le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte marie, mère de dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen. A l’heure de notre mort. Elle a déroulé des centaines de prières, puis elle a commencé à s’interrompre avant la fin, avant le mort de « l’heure de notre mort », reprenant ensuite au début, encore et encore. J’ai le cœur qui se serre quand je pense à la peur qui a du la saisir, dans ses derniers instants, à sa tentative désespérée de mobiliser la seule chose qu’on lui avait appris pour repousser sa terreur de la mort. Plus tard, dans le froid du cimetière, ce que racontait le curé était couvert par le cri des corneilles sur le clocher de l’église. Ni fleurs, ni couronnes, ni plaques. Sa tombe était nue quand nous sommes partis.
En me retrouvant le soir même dans le métro parisien, c’est à dire déjà chez moi, j’ai ralenti mes pas, encore un peu désorienté. Ce matin, en me levant, j’ai pensé à Denise, qui ne se lèverait pas. Le ciel était blanc, laiteux, de cette lumière d’automne qui me rend si introspectif. La douleur, c’est la vie. Je me suis levé.
Commentaires
waaa, c'est super, j'ai l'impression d'être important, annoncé comme ça. Ca fout la pêche, ça va chier au volley ce soir. Let's kick ass, grrrls !
(petit truc rigolo, le "title" du dernier lien vers feu mon site affiche "le blog dur roncier" ;)
C'est vrai que ce billet est assez cryptique ;-)
Plus je vous lis, et plus j'ai envie de croire à l'apaisement. Oui nous sommes vivants puisque nous continons à souffrir.
Joli texte, qui témoigne d'une réelle affection pour Denise et d'une belle empathie. Tu as bien fait de ne pas aller à la messe, ça n'est pas important. Et puis à la messe ils ne se seraient pas arrêtés à « priez pour nous pauvres pécheurs », ils auraient continué jusqu'au bout.
Je me sens proche de ta tante, je comprends l'angoisse, la prière (comptine ?) qu'on récite pour repousser les monstres. Des incantations.
Ça me fait penser aussi au mantra qu'apprennent les sœurs bene gesserit aux enfants « Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale (...) »
Bouh.......ça m'a fait penser à la mort de la Premiere Prieure dans les "Dialogues des Carmélites" (Bernanos, et Poulenc pour les chouquetteurs): cette femme qui avait passé sa vie à méditer sur la mort, et qui, le moment arrivé, n'a pas été foutue de mourir "proprement"....
L'humanité qui revient au galop juste au moment ou on voudrait s'en défaire.
Et tout de même, c'est drôle cette peur de la mort, quand on y pense : si on ne croit en rien après, comment peut-on avoir peur de "rien" ? Si on croit en quelque chose apres, ce ne peut-être que mieux que la vie, donc pourquoi avoir peur du "mieux" ?
Le rien et l'infini sont les deux notions qui me terrifient jusqu'au débordement d'angoisse... Rationnellement, je suis en plein accord avec ce que tu dis, sire Ouf Ier, mais l'angoisse et le rationnel ont peu de choses à voir...
J'ai assisté à cet enterrement si nous évoquons la même personne, c'est à dire celle que tout le monde à Brezolles appelait Tante Denise. Qui êtes vous ? J'ai été touchée par votre texte et surprise de trouver cet ode à Denise sur Internet. Je suis une amie de Roland. Malvi
Masi est-il rationnel selon vous d'avoir peur de la mort? je ne crois pas.