Dans son cercueil, elle était toute petite, son visage était presque lisse, comme si ses 80 ans passés avaient glissé de ses épaules. Plus de vie, plus de douleurs, on lui avait enlevé son plâtre, le drain de sa jambe droite et elle portait un de ses foulards de soie. La chambre mortuaire était celle d’un hôpital de province. Peu de passage, des traces de chariot sur les murs, les outils des pompes funèbres qui dépassent de dessous le cercueil. Et Denise, si sérieuse, dans son satin écru. Je suis allé à l’enterrement le cœur léger, je préfère que les gens ne souffrent pas trop avant de mourir et Denise n’a pas trop souffert. A priori. En entrant dans cette salle, j’ai quand même eu envie de pleurer face à ce petit corps et ce n’est pas le cérémonial des pompes funèbres qui a soulagé cette pression dans ma poitrine. J’ai eu envie de prendre une photo de son visage, mais je n’ai pas osé. Plus tard, je l’ai dit à ma mère, qui m’avoué que son frère l’avait fait pour la grand-mère. J’ai pensé à ces livres des morts, qui gardaient les disparus parmi les vivants en les prenant en photo comme s’ils étaient simplement endormis.

Je n’ai pas assisté à la messe. Pas envie de guignoler sans y croire. Denise, elle, a passé sa dernière semaine à réciter des « Je vous salue Marie ». Ca a commencé après sa dernière opération. Ses yeux à peine ouverts, le son de sa voix a résonné dans son masque respiratoire, puis dans la pièce, en filant des frissons à toute l’assistance. A partir de ce moment, elle n’a plus reconnu ses proches, elle n’a plus répondu aux questions des infirmières. Uniquement : je vous salue, marie pleine de grâces ; le seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et jésus le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte marie, mère de dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen. A l’heure de notre mort. Elle a déroulé des centaines de prières, puis elle a commencé à s’interrompre avant la fin, avant le mort de « l’heure de notre mort », reprenant ensuite au début, encore et encore. J’ai le cœur qui se serre quand je pense à la peur qui a du la saisir, dans ses derniers instants, à sa tentative désespérée de mobiliser la seule chose qu’on lui avait appris pour repousser sa terreur de la mort. Plus tard, dans le froid du cimetière, ce que racontait le curé était couvert par le cri des corneilles sur le clocher de l’église. Ni fleurs, ni couronnes, ni plaques. Sa tombe était nue quand nous sommes partis.

En me retrouvant le soir même dans le métro parisien, c’est à dire déjà chez moi, j’ai ralenti mes pas, encore un peu désorienté. Ce matin, en me levant, j’ai pensé à Denise, qui ne se lèverait pas. Le ciel était blanc, laiteux, de cette lumière d’automne qui me rend si introspectif. La douleur, c’est la vie. Je me suis levé.

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