C'est drôle, il y a quelques jours à peine, un mois pile après le mien,[1] c'était l'anniversaire de Claire, mon amie d'enfance, ma sœur choisie.

On a toujours des gens qui nous sont proches une image qui les représente : une scène, un contexte, un souvenir. Enfin moi je suis comme ça (et vous au fait ?). J'ai malgré ma pauvre mémoire bien des souvenirs de Claire mais celui qui pour moi est comme une icône (oui tiens, comme une icône, celles des raccourcis sur nos ordinateurs et les autres aussi, celles qu'on vénère...) c'est Le Jour de la Poésie Libre.

Nous étions en quatrième donc, et nous ne nous connaissions pas encore très bien. Le prof de français nous avait demandé d'apprendre par cœur une poésie pour le cours suivant. Je suis passée sur l'estrade. Je me trouvais terriblement poétique et subversive avec mon Prévert et le prof m'a gentiment mis un douze ou un treize. Correct.

Et puis il a appelé Claire. Deux tresses blondes bien sages, une jupe plissée écossaise, des soquettes blanches, la peau bébé-cadum, l'enfant sage et tranquille modèle. Et puis Claire, le regard rageur et les poings serrés, a commencé et c'était « Il n'y a plus rien » de Léo Ferré. Le disque venait de sortir ; aucun de nous, pas même le prof ne le connaissait. Et quand je dis réciter, j'ai tout faux ! Claire ne récitait pas ce poème elle le scandait, le hurlait, le vivait. Et nous tous, tous, nous étions figés sur nos chaises, fascinés tant par les paroles que par le formidable contraste entre cette allure de petite fille bien comme il faut et cette absence totale de compromission, cette colère éructée, cette formidable révolte. Elle était... je ne sais pas comment vous dire... sublime, voilà, elle était passionnément sublime.

Le « on se bat ! » final a résonné dans un silence de plusieurs dizaines de secondes après qu'elle a fini. Et il y a eu ensuite une effervescence pas possible. Le prof était lui aussi manifestement estomaqué mais sous la pression populaire il a lâché un 20/20 dont je ne saurai jamais s'il était guidé par son propre jugement ou par la conviction - fondée - que nous l'aurions lynché s'il avait osé lui mettre un 19,5.

Je repensais à tout cela tout à l'heure, et voilà qu'en relevant mon fil RSS... Bon anniversaire Claire (et merci à Castalie pour la « madeleine »).

Notes

[1] Ce fait se reproduit annuellement aussi étrange que cela puisse paraître, oui, tous les ans un mois pile après le mien...