Geneviève aimait particulièrement le moment juste après le repas quand, après qu'elle avait débarrassé la table et que sa tante faisait la vaisselle, l'oncle Gabriel, décidément un époux parfait, prenait un torchon et essuyait la vaisselle sans façons. Il entonnait alors quelque air d'opérette que sa femme chantait avec lui, lui donnant la réplique ou chantant à l'unisson.

Une fois par mois, le samedi soir, alors que Geneviève dormait chez ses parents comme tous les week-ends, ils se rendaient à l'Opéra-Comique ou à l'Opéra Garnier et depuis le poulailler vibraient aux péripéties cocasses ou romantiques qui se déroulaient sur la scène. Ils prolongeaient le plaisir partagé de leur soirée en chantant ainsi les airs les plus marquants de leur dernier spectacle ou se remémoraient tel ou tel autre qu'ils avaient particulièrement apprécié.

Il arrivait même que Gabriel pose la main quelques secondes sur l'épaule de Célestine. C'était là les instants les plus intimes de leur couple. S'ils se parlaient toujours avec la plus grande tendresse ils ne se touchaient jamais au-delà de cette main sur l'épaule ou la main de Célestine glissée sous le bras de son mari lorsqu'ils partaient en promenade au bois de Vincennes les dimanches de printemps.

Venait ensuite la soirée, elle aussi immuable. Gabriel s'installait dans un fauteuil et lisait un journal ou procédait à quelque réparation. Célestine se mettait à son ouvrage : couture, reprise, tricot, broderie, crochet... On dînait très tôt chez les Herbert, si bien que Geneviève disposait d'une vraie soirée avant d'aller se coucher. Sa tante lui demandait alors gentiment :

« Avec quoi veux-tu jouer ce soir ?
– Avec mon poupon. »

Alors l'oncle Gabriel attrapait le poupon en haut de l'armoire.

« Et avec ton poupon, que vas-tu faire ?
– une dînette ! »

Alors l'oncle Gabriel attrapait la dînette en haut de l'armoire.

Célestine disposait deux chaises délimitant un espace le long de la table du séjour à l'intérieur duquel Geneviève pouvait disposer ses minuscules accessoires de cuisine et faire manger son poupon. Parfois elle se ravisait :

« Ma tante, je crois que je voudrais plutôt faire du canevas. »

Alors l'oncle Gabriel replaçait les jouets en haut de l'armoire et Tante Célestine remettait les chaises en place et sortait la boîte à ouvrage de Geneviève.

Plus grande, vers dix ans, elle eut la permission de se coucher une demi-heure plus tard et de lire assise à la table jusqu'à neuf heures du soir. Quoi qu'il en soit, une chambre n'étant destinée qu'à dormir, quand venait l'heure d'aller au lit, Célestine accompagnait Geneviève, la bordait tendrement, veillait à ce que les mains de la fillette soient bien à plat sur les draps et éteignait la lumière.

Elle même préparait alors le lit conjugal, glissait une bassinoire pour en réchauffer les draps et plaçait comme à l'habitude le second traversin sous les draps, en travers du lit afin d'assurer la délimitation de leurs espaces respectifs.


Cliffangher. – Ne manquez sous aucun prétexte le prochain épisode : « Tante Célestine à la pharmacie »...