Les histoires de la tante barrée (3)
Par Kozlika le samedi 18 décembre 2004, 18:57 - Lien permanent
(Suite des Histoires de la tante barrée, commencées ici et poursuivies là.)
Célestine, Gabriel et Geneviève menaient une vie paisible dans l'appartement de l'avenue Daumesnil. L'organisation y était sans faille, les rituels nombreux, les règles absolues. Les draps étaient changés et les matelas retournés tous les lundis, les armoires vidées et les piles de linge refaites tous les mardis, le parquet nettoyé à la paille de fer et ciré tous les mercredis et le reste de la semaine à l'avenant. Tous les jours en rentrant de l'école, Geneviève recevait pour son goûter des tartines beurrées avant de faire ses devoirs sur la table de la cuisine tandis que Célestine préparait le repas.
Geneviève aimait particulièrement le moment juste après le repas quand, après qu'elle avait débarrassé la table et que sa tante faisait la vaisselle, l'oncle Gabriel, décidément un époux parfait, prenait un torchon et essuyait la vaisselle sans façons. Il entonnait alors quelque air d'opérette que sa femme chantait avec lui, lui donnant la réplique ou chantant à l'unisson.
Une fois par mois, le samedi soir, alors que Geneviève dormait chez ses parents comme tous les week-ends, ils se rendaient à l'Opéra-Comique ou à l'Opéra Garnier et depuis le poulailler vibraient aux péripéties cocasses ou romantiques qui se déroulaient sur la scène. Ils prolongeaient le plaisir partagé de leur soirée en chantant ainsi les airs les plus marquants de leur dernier spectacle ou se remémoraient tel ou tel autre qu'ils avaient particulièrement apprécié.
Il arrivait même que Gabriel pose la main quelques secondes sur l'épaule de Célestine. C'était là les instants les plus intimes de leur couple. S'ils se parlaient toujours avec la plus grande tendresse ils ne se touchaient jamais au-delà de cette main sur l'épaule ou la main de Célestine glissée sous le bras de son mari lorsqu'ils partaient en promenade au bois de Vincennes les dimanches de printemps.
Venait ensuite la soirée, elle aussi immuable. Gabriel s'installait dans un fauteuil et lisait un journal ou procédait à quelque réparation. Célestine se mettait à son ouvrage : couture, reprise, tricot, broderie, crochet... On dînait très tôt chez les Herbert, si bien que Geneviève disposait d'une vraie soirée avant d'aller se coucher. Sa tante lui demandait alors gentiment :
« Avec quoi veux-tu jouer ce soir ?
– Avec mon poupon. »
Alors l'oncle Gabriel attrapait le poupon en haut de l'armoire.
« Et avec ton poupon, que vas-tu faire ?
– une dînette ! »
Alors l'oncle Gabriel attrapait la dînette en haut de l'armoire.
Célestine disposait deux chaises délimitant un espace le long de la table du séjour à l'intérieur duquel Geneviève pouvait disposer ses minuscules accessoires de cuisine et faire manger son poupon. Parfois elle se ravisait :
« Ma tante, je crois que je voudrais plutôt faire du canevas. »
Alors l'oncle Gabriel replaçait les jouets en haut de l'armoire et Tante Célestine remettait les chaises en place et sortait la boîte à ouvrage de Geneviève.
Plus grande, vers dix ans, elle eut la permission de se coucher une demi-heure plus tard et de lire assise à la table jusqu'à neuf heures du soir. Quoi qu'il en soit, une chambre n'étant destinée qu'à dormir, quand venait l'heure d'aller au lit, Célestine accompagnait Geneviève, la bordait tendrement, veillait à ce que les mains de la fillette soient bien à plat sur les draps et éteignait la lumière.
Elle même préparait alors le lit conjugal, glissait une bassinoire pour en réchauffer les draps et plaçait comme à l'habitude le second traversin sous les draps, en travers du lit afin d'assurer la délimitation de leurs espaces respectifs.
Cliffangher. – Ne manquez sous aucun prétexte le prochain épisode : « Tante Célestine à la pharmacie »...
Commentaires
en fait, je trouve ça joli quand tu l'écris alors que quand tu nous le raconte, j'hésite entre l'incrédulité et la tristesse. Serait-ce que la Tante barrée serait une héroïne de roman ?
Cela ne me paraît pas étonnant car dans ma famille aussi, il y a eu beaucoup de circulation d'enfants, de femme à femme. Je crois que cela était plus courant qu'on ne le pense, mais on ne parle pas de ces choses-là...
Quand tu dis la tante barrée, je comprends la tante
barréeComme son sexe lui aussi barré, par cet os.
(Ma propre mère a été élevée par une parente qu'elle appelait Tatie)
Célestine n'est pas une héroïne de roman : Geneviève est ma mère, qui fêtera ses quatre-vingts ans au début du mois prochain. Les enfants et moi recueillons auprès d'elle ces récits de son enfance ; c'est pour cette raison également que j'ai entrepris ce « feuilleton ».
L'« os » au milieu du vagin de sa tantine n'était bien sûr pas réel mais elle n'a évidemment jamais entrepris de consulter un médecin à ce sujet. En fait elle était si naïve qu'elle en parlait sans gêne aucune, n'ayant jamais remis en doute son hypothèse de la nuit de noces (nuit de n'os devrais-je dire...)
Ma mère est donc du même âge que la tienne car elle fêtera ses 80 ans le 8 février prochain.
Nuit de n'os : il faut croire que son mari n'était pas très porté sur la chose non plus !
Bonjour Anne,
C'est incroyable cette histoire, heureusement que tu as une interlocutrice privilégiée pour te narrer ses souvenirs...de mon côté, ma mère a mis des années avant d'accepter de m'en parler un peu et elle n'est pas du genre à accepter d'en parler lorsque ses petits-enfants sont là.
je t'embrasse
Ré bas ?
Oui, bas ré à l'haut ré du vagin, ça n'est pas si mineur, il a fallu renoncer à la portée !
C'est un joli cadeau de NOWEYL que voilà, je l'attendais la suite et voilà que déjà je te redemmande et après. Merci pour ces bouts de vie intime que tu nous livres