Les histoires de la tante barrée (4)
Par Kozlika le jeudi 23 décembre 2004, 06:57 - Lien permanent
Le décor et les personnages plantés lors des trois premières parties (1) (2) (3) vous permettront d'apprécier tout le sel de quelques épisodes de la vie de Célestine, Gabriel et Geneviève, désormais racontés de façon moins linéaire. Parmi ceux-ci, l'un de mes préférés est sans nul doute :
Tante Célestine à la pharmacie
L'oncle Gabriel tomba un jour malade. La nature de son mal était suffisamment embarrassante pour qu'il tarde à en faire part à sa femme afin qu'elle lui prenne un rendez-vous chez le médecin de famille. Mais comme il était plus inconcevable encore de prendre seul une telle initiative, il finit par se résoudre à l'informer que son « caleçon » lui faisait souffrir le martyre depuis plusieurs semaines.
Il n'avait d'ailleurs d'autre choix car l'inflammation était trop vive pour supporter la marche et il advint qu'il ne put se rendre à son travail et qu'on dut dépêcher la Faculté à son chevet.
Le médecin connaissait bien le couple et leur Grand Malheur. Il s'était réjoui avec eux de la venue de Geneviève, avait tenté maintes fois sans succès avant comme après l'arrivée de la petite fille de suggérer que l'on pouvait peut-être « dissoudre l'os » et qu'il connaissait certaines tisanes... Mais Célestine était sûre de son fait, et si elle estimait que le docteur était une bonne personne, elle savait néanmoins que les gens instruits vont bien souvent chercher midi à quatorze heures et ne s'en laissait pas conter.
Le médecin examina Gabriel et rédigea une ordonnance à base de pommade calmante que l'oncle aurait à s'appliquer matin et soir, de poches de glace pour soulager la douleur. Il lui prescrivit également l'achat d'un suspensoir pour lui assurer un maintien que les caleçons de l'époque n'auraient pu lui apporter.
C'était un samedi matin, jour de marché avenue Daumesnil. Comme à l'habitude, Louise, Célestine et Geneviève, alors âgée de bientôt quatorze ans s'y rendirent ensemble pour faire leurs achats tout en devisant et s'échangeant les nouvelles, puis Geneviève repartirait avec sa mère tandis que Célestine rentrerait chez elle.
On fit halte à la pharmacie en chemin et l'on s'arma de patience en cette heure d'affluence. Quand ce fut enfin son tour d'être servie, Célestine tendit l'ordonnance à M. Vallée, qui l'examina un instant avant de se pencher vers Célestine.
« Je vais vous préparer l'onguent tout de suite, madame Herbert. » Puis, baissant la voix : « Mais pour le suspensoir, j'ai trois tailles de profondeur, laquelle dois-je vous donner ? »
Immense perplexité sur le visage de Célestine. Le pharmacien toussote. On connaît ici aussi le Grand Malheur. « Je vous laisse réfléchir, je vais chercher la pommade. »
Tante Célestine regarde le pharmacien s'éloigner vers son laboratoire. Elle l'observe soigneusement, plisse le front, aiguise son regard. Elle n'est pas femme à tergiverser longtemps.
« Monsieur Vallée, lance-t-elle suffisamment fort pour que sa voix porte jusqu'à lui, pour le suspensoir, voyez vous même, il est à peu près bâti comme vous ! »
Et tandis que Louise ploie gracieusement jusqu'au sol pour renouer des lacets inexistants à ses souliers, les épaules secouées d'une toux bizarre, tandis que Geneviève éperdue jette des regards affolés dans le magasin pour s'assurer qu'aucune camarade de classe ne verra ses joues brûlantes, Célestine tapote d'un doigt impatient le comptoir avec un claquement de langue réprobateur à la vue du pharmacien, statue de sel au seuil de son laboratoire.
Commentaires
excellent, cela me rapelle les début de ma soeur en pharmacie. A un client qui lui demandait des préservatifs elle répondit oui monsieur mais de qu'elle taille? J'aime beaucoup Célestine , voilà une femme qui ne s'embarrasse pas.
J'aime beaucoup ce genre de situation. Un bon sourire dès le matin, ça donne du soleil pour la journée ! :)
Je viens enfin de prendre le temps de lire les histoires de la "tante barrée" et ce fût un vrai régal de se plonger dans ton écriture et tes personnages qui font sourire et rire. Dis-nous, tu gardes sous ta manche d'autres épisodes de la tante barrée. En attendant de lire la suite, je te souhaite de bonnes fêtes de fin d'année.
J'ai hurlé de rire ! Encore une fois !
Grâce à Dame Tarquine, je viens de lire tous les épisodes...
Tu écris bien. Je ressent comme une certaine tendresse pour cette tante. Elle pourrait faire partie de ma famille.
Merci !