Portrait Zévaco

Né en Corse en 1860, polémiste anarchiste, feuilletonniste prolifique – une quarantaine de romans publiés d'abord en feuilletons dans les quotidiens puis édités au Livre Populaire – l'auteur eut une vie presque aussi romanesque que ses héros. Il avait le verbe haut, la provocation toujours à portée de langue et s'est plusieurs fois battu en duel, conséquence des deux traits de caractère susmentionnées.

Il fut révoqué tant de l'armée que de son professorat (de rhétorique !) en raison de sa vision peu conforme à l'idée que s'en faisait le gouvernement, séjourna quelque temps à Sainte-Pélagie, prison politique, et provoqua en duel le ministre de l'Intérieur de l'époque... Vous imaginez un peu le profil du loustic.

Lire Zévaco, c'est faire le plein d'adjectifs (et d'émotions) superlatifs : un homme n'est pas grand il est colossal, les laids deviennent hideux, les combats se font à un contre vingt. Les histoires d'amour sont aussi riches de rebondissements et de lyrisme que les combats. Si les femmes sont parfois des personnages traditionnels d'amoureuse pure et frêles, elles sont également de redoutables bretteuses, des femmes politiques fortes, des amies solides, des méchantes intelligentes et fascinantes.

Par une chance inouïe, ma gauchiste de famille m'autorisa à dévorer ses romans en lieu et place d'assister aux interminables débats post-soixante-huitards qui animaient les fins de repas de famille hebdomadaires. Et cette chance je la dois à Jean-Paul Sartre, qui eut la bonne idée d'écrire dans Les Mots que Michel Zévaco était un « auteur de génie [qui], sous l'influence de Hugo, avait inventé le roman de cape et d'épée républicain. Ses héros représentaient le peuple ; ils faisaient et défaisaient les empires, prédisaient dès le XIVe siècle la Révolution française, protégeaient par bonté d'âme des rois enfants ou des rois fous contre leurs ministres, souffletaient les rois méchants. » Qu'il en soit ici publiquement remercié.

Je vous livre les toutes premières lignes du récit en deux volumes que je préfère, Le Capitan, suivi de L'Héroïne.

Chapitre I. – Giselle d'Angoulême

Une étrange terreur pèse sur Paris. Des bruits sinistres se répandent. Parfois, des bandes hurlantes passent, avec des physionomies d'émeute. Le bourgeois fourbit sa vieille pertuisane. La noblesse est debout. Guise conspire. Condé conspire. Angoulême conspire. Luynes veut gouverner. Richelieu veut gouverner. Le trône chancelle.

Et il n'y a au fond du Louvre, désert et morne, qu'un pauvre petit roi de quinze ans, tout seul, triste come le peuple.

Et, comme le peuple, Louis XIII tremble et se demande :

« Qui va devenir le maître ?... Guise ? Condé ? Angoulême ? Qui de vous va poser son pied sur ma tête ? »

Or peuple, roi, conspirateurs sont unis par une même et vaste haine éparse ; prêts à se déchirer, ils lèvent les yeux sur la flamboyante figure qui plane sur le Louvre, sur Paris, sur le royaume. Et alors la même imprécation gronde sur toutes les lèvres – excepté sur celles de la reine mère Marie de Médicis. Cette fugyre, c'est celle d'un homme qui commande, décrète, ordonne, règne, écrase, terrorise.

Et cet homme c'est Concino Concini... L'amant de la reine !

(Le Capitan, suivi de L'Héroïne, de Michel Zévaco, éditions Laffont, collection « Bouquins ». Existe aussi en vidéo : un film de 1960 avec Bourvil et Jean Marais, mais moins bien...)

En fait, en finissant de rédiger ce billet je me dis qu'il y a là un lien manifeste entre mon amour pour l'opéra et mon doudou-lecture. C'est marrant, je n'avais jamais fait le rapprochement.

Des liens :

  • Michel Zevaco et le roman feuilleton, présentation de la thèse que lui a consacré Aline Demars Diot, également auteur de la préface de l'édition d'une partie de ses romans dans la collection « Bouquins » (trois gros ouvrages comprenant notamment les dix volumes des Pardaillan).
  • Michel Zévaco, sur le site d'un passionné de romans d'aventures.
  • Il existe deux sortes d'hommes..., par l'écrivain turc Ahmet Altan.
  • Michel Zévaco, la page de Terre des écrivains consacrée à Zévaco et son œuvre
  • Michel Zévaco, un dossier que lui consacre Encres vagabondes.
  • Le Projet Gutenberg a déjà publié une partie de son œuvre à lire en ligne.