Avec ma cape et mon épée
Par Kozlika le jeudi 10 février 2005, 21:01 - Lien permanent
L'un des mots de la langue française que je préfère, tant pour son sens que pour sa sonorité c'est jubilatoire. Et quand je pense « jubilatoire », la première chose qui me vient à l'esprit c'est la lecture des romans de Michel Zévaco.
Si vous le connaissez, je ne doute pas que vous savez de quel plaisir je parle. Si vous ne l'avez jamais lu, vous êtes une bande de petits veinards car vous allez pouvoir le découvrir !
Zévaco, c'est mon doudou-lecture, le refuge contre les idées noires et les sacs à dos remplis de pierres trop lourdes et dont les plus saillantes vous blessent malgré les armatures que vous avez tenté d'interposer entre elles et vous. C'est à chaque fois des retrouvailles avec des histoires truculentes et héroïques et l'enfant que j'étais à mes premières lectures des Pardaillan ou du Capitan. Zévaco, c'est... jubilatoire vous dis-je !
Né en Corse en 1860, polémiste anarchiste, feuilletonniste prolifique – une quarantaine de romans publiés d'abord en feuilletons dans les quotidiens puis édités au Livre Populaire – l'auteur eut une vie presque aussi romanesque que ses héros. Il avait le verbe haut, la provocation toujours à portée de langue et s'est plusieurs fois battu en duel, conséquence des deux traits de caractère susmentionnées.
Il fut révoqué tant de l'armée que de son professorat (de rhétorique !) en raison de sa vision peu conforme à l'idée que s'en faisait le gouvernement, séjourna quelque temps à Sainte-Pélagie, prison politique, et provoqua en duel le ministre de l'Intérieur de l'époque... Vous imaginez un peu le profil du loustic.
Lire Zévaco, c'est faire le plein d'adjectifs (et d'émotions) superlatifs : un homme n'est pas grand il est colossal, les laids deviennent hideux, les combats se font à un contre vingt. Les histoires d'amour sont aussi riches de rebondissements et de lyrisme que les combats. Si les femmes sont parfois des personnages traditionnels d'amoureuse pure et frêles, elles sont également de redoutables bretteuses, des femmes politiques fortes, des amies solides, des méchantes intelligentes et fascinantes.
Par une chance inouïe, ma gauchiste de famille m'autorisa à dévorer ses romans en lieu et place d'assister aux interminables débats post-soixante-huitards qui animaient les fins de repas de famille hebdomadaires. Et cette chance je la dois à Jean-Paul Sartre, qui eut la bonne idée d'écrire dans Les Mots que Michel Zévaco était un « auteur de génie [qui], sous l'influence de Hugo, avait inventé le roman de cape et d'épée républicain. Ses héros représentaient le peuple ; ils faisaient et défaisaient les empires, prédisaient dès le XIVe siècle la Révolution française, protégeaient par bonté d'âme des rois enfants ou des rois fous contre leurs ministres, souffletaient les rois méchants. » Qu'il en soit ici publiquement remercié.
Je vous livre les toutes premières lignes du récit en deux volumes que je préfère, Le Capitan, suivi de L'Héroïne.
Chapitre I. – Giselle d'Angoulême
Une étrange terreur pèse sur Paris. Des bruits sinistres se répandent. Parfois, des bandes hurlantes passent, avec des physionomies d'émeute. Le bourgeois fourbit sa vieille pertuisane. La noblesse est debout. Guise conspire. Condé conspire. Angoulême conspire. Luynes veut gouverner. Richelieu veut gouverner. Le trône chancelle.
Et il n'y a au fond du Louvre, désert et morne, qu'un pauvre petit roi de quinze ans, tout seul, triste come le peuple.
Et, comme le peuple, Louis XIII tremble et se demande :
« Qui va devenir le maître ?... Guise ? Condé ? Angoulême ? Qui de vous va poser son pied sur ma tête ? »
Or peuple, roi, conspirateurs sont unis par une même et vaste haine éparse ; prêts à se déchirer, ils lèvent les yeux sur la flamboyante figure qui plane sur le Louvre, sur Paris, sur le royaume. Et alors la même imprécation gronde sur toutes les lèvres – excepté sur celles de la reine mère Marie de Médicis. Cette fugyre, c'est celle d'un homme qui commande, décrète, ordonne, règne, écrase, terrorise.
Et cet homme c'est Concino Concini... L'amant de la reine !
(Le Capitan, suivi de L'Héroïne, de Michel Zévaco, éditions Laffont, collection « Bouquins ». Existe aussi en vidéo : un film de 1960 avec Bourvil et Jean Marais, mais moins bien...)
En fait, en finissant de rédiger ce billet je me dis qu'il y a là un lien manifeste entre mon amour pour l'opéra et mon doudou-lecture. C'est marrant, je n'avais jamais fait le rapprochement.
Des liens :
- Michel Zevaco et le roman feuilleton, présentation de la thèse que lui a consacré Aline Demars Diot, également auteur de la préface de l'édition d'une partie de ses romans dans la collection « Bouquins » (trois gros ouvrages comprenant notamment les dix volumes des Pardaillan).
- Michel Zévaco, sur le site d'un passionné de romans d'aventures.
- Il existe deux sortes d'hommes..., par l'écrivain turc Ahmet Altan.
- Michel Zévaco, la page de Terre des écrivains consacrée à Zévaco et son œuvre
- Michel Zévaco, un dossier que lui consacre Encres vagabondes.
- Le Projet Gutenberg a déjà publié une partie de son œuvre à lire en ligne.
Commentaires
Oh oui, Zévaco, c'est drôlement bien !
Un peu dans le même genre, on peut conseiller aussi Ponson du Terrail, "Rocambole" : on y trouve de merveilleuses expressions...
La main de cet homme était froide comme celle d'un serpent.
Brrrr !
'connaît pas, mais cela ne saurait tarder… j'aime bien les récits de Arturo Perez Reverte…
Je ne me rappelait pas du nom de l'auteur mais très bien du plaisir que j'ai eu à lire ses livres... Faudrait que j'offre ça à ma mominette n°1...
faut être vraiment au creux de la vague. en plus ya 30 tomes
"Et cette chance je la dois à Jean-Paul Sartre, qui eut la bonne idée d'écrire dans Les Mots que Michel Zévaco était un « auteur de génie qui, sous l'influence de Hugo, avait inventé le roman de cape et d'épée républicain. Ses héros représentaient le peuple"
je comprends pourquoi mon père qui ne lisait pas beaucoup, lisait Zévaco dans le train de banlieue en inox
il (mon père ) était communiste cégétiste.
didierr
Dis, Koz, c'est quoi une "pertuisane" ?
En tous cas, c'est pas avec ce billet que tu vas m'aider à avancer dans mon projet de blog, parce que si en plus du reste, je me mets à lire Zévaco !!! Il va falloir inventer les journées de 48h....
merci Koz !! je crois que yu m'as donné envie de lire cet auteur. Qui pourtant a trôné longtemps dans nos cabinets familiaux (place de choix, s'il en est) et dont je ne me suis jamais décidée à entamer la prose. Là, je vais m'y mettre.
ma parole Kozlika devient un gourou. pas Zévako trois fois non didier
Enfin qqn qui connaît et qui aime Zevaco ,ce génie oublié ;pour moi supérieur à Dumas !!! helas je crois bien avoir tout lu et même relu.
Même ceux parus au Livre Populaire et jamais réédités ? J'en ai quelques-uns...