Le suicide de deux gamines dans le Pas de Calais est devenu phénomène médiatique, pas seulement pour la dimension humaine intolérable que toute disparition, tout suicide de jeune peut susciter. Mais parce qu'il a été annoncé. Presque programmé. On s'émeut de comprendre aujourd'hui que c'était écrit alors qu'on a l'habitude de conclure ce genre de faits d'hiver par la formule consacrée : il/elle n'a laissé aucune lettre pour expliquer son geste.

Des psychiatres et des sociologues trouvent là un nouveau champ d'investigation et de glose. Les blogs, ces confessions sur Internet, "c'est l'inverse d'un journal intime, puisque l'auteur s'expose aux autres" selon le Parisien. Les confidences de Clémence, depuis le 15 novembre dernier, parlaient de pensées suicidaires après une déception amoureuse. La conclusion qui s'impose c'est que "des amis, des proches, ont pu lire les écrits de la jeune fille qui partait à la dérive, sans trop la croire sans doute", ce qui ajoute dit-on au malaise suscité par cette affaire.

On va donc maintenant diaboliser le blog et internet. On va dire que la toile est un lieu où on se perd, où on perd certains repères. On va disserter sur le leurre de la communication sur la toile, et comme à Clovis on va nous demander de brûler ce que l'on a adoré et d'adorer ce que l'on a brûlé.

Quand on écrit un blog, à la différence sans doute d'un vrai journal intime, il y a, latente, la volonté de communiquer même sur des aspects très personnels. Le fait de choisir ou de se cacher derrière un pseudo c'est se donner une apparence d'anonymat. Mais parallèlement, on ouvre des commentaires. On souhaite être lu, partager, faire réagir. On ouvre les commentaires. On va butiner à droite ou à gauche. On laisse des petits cailloux ici ou là, l'adresse de son site dans l'espoir de trouver peu de temps après la manifestation que l'on a pu susciter de la curiosité, de l'intérêt.

On installe un compteur, un outil d'analyse de statistiques et de fréquentation.

Certains expriment même leur déception de ne pas recevoir de visites, de ne pas susciter de commentaires ou de réactions. Et parfois à la suite de ce constat, ils ferment leur blog.

Je suis passé par ces étapes. Je suis quelqu'un qui pose des questions même quand elles n'ont pas lieu d'être qui cherche à me rassurer par des questions parfois plus que par les réponses. Et j'en ai conclu que si je continuais à écrire ici c'était pour moi. C'était pour pouvoir me décharger de façon impudique de fardeaux qui ne peuvent trouver d'éxutoires dans ma vie au quotidien. Souvent des bouts de réflexions inachevées. Des interrogations et des désespoirs parfois qui ne m'empêchent pourtant pas de vivre, des interrogations et des désespoirs parfois que je partage avec l'inconnu qui arrive sur ce blog, sans savoir comment il réagira ni même s'il réagira...

Mais évidemment, avec mes 47 ans, j'ai eu le temps, même si je me considère trop souvent immature, j'ai eu le temps d'apprendre à vivre. J'ai eu le temps d'acquérir la conscience des limites de l'autre, des appels qu'on lance, de la validité des réponses qu'on peut recevoir... si tant est qu'on souhaite les recevoir.

Je trouve tellement facile de dire que c'est la faute aux blogs sur lesquels, chancune de leur côté mais parallèlement, Clémence et Noémie ont déversé leur mal de vivre... Tellement facile de chercher une réponse qui dédouane ou innocente la société, la vraie, la famille, les copains les relations, l'humain.

Pierre Desproges déclarait dans un de ses spectacles :

Ne saurons-nous jamais trouver le temps de nous pencher affectueusement sur ces fronts graciles au-dessus de ces yeux brûlants aux longs cils vibrants d'un amour incapable de s'épanouir au rythme infernal de nos ambitions carrièristes dont la tyrannie nous condamne à répondre distraitement "ta gueule" à l'enfant qui nous dit "Maman, je m'ai faite violer".
(Pierre Desproges - Textes de scène 1986)

Des journalistes sont allé interroger des copains de classes. Et l'un d'eux explique: "Elle m'avait dit le mois dernier qu'elle voulait mettre fin à ses jours. Elle tenait un décompte sur son cahier, elle avait noté jour J-25, J-24 etc. jusqu'à J-1".

Il cherche quoi le journaliste ? à culpabiliser ce garçon ? à lui faire indirectement et lâchement, ou maladroitement, ou inconsciemment porter le poids de la responsabilité de cette mort ?

Je m'étonne qu'un procès en sorcellerie n'est pas encore été intenté aux parents pour avoir laissé leurs gamines seules face à internet...''

Pourquoi, pour expliquer, faut-il chercher un coupable.
Qui cela rassure-t-il ?
S'il n'y avait pas eu ce blog, on aurait interrogé les copains, les profs, la boulangère du coin. Mais le phénomène du blog permet d'habiller des paillettes du phénomène à la mode un drame. Des journalistes et des psychomachins en mal de reconnaissance vont pouvoir danser sur les tombes...

Est-ce parce que l'on aura trouvé un bouc émissaire facile pour ce drame-là que l'on pourra évacuer le problème du suicide des jeunes ?

Combien d'ados se suicident sans avoir internet ? En parle-t-on avec autant d'intérêt ? Combien se suicident parce qu'il n'ont pas trouvé de moyens de communiquer, n'ont pas osé partager leur malaise, leur mal-êttre... Internet n'y est pour rien. Arrêtons de chercher au delà de l'horizon ce qui est tout prêt de nous. Arrêtons de dire "le blog" à la place de détresse, de solitude, de manque d'amour... Je ne crois définitivement pas qu'internet et socialisation soit exclusifs l'un de l'autre. Il est cependant évident que le premier ne devrait pas remplacer l'autre. J'ai bien écrit "ne devrait pas".

Est-ce que Jacques Villeret tenait un blog ?


Afin que chacun puisse se faire une idée de la teneur hautement pornographique du blog de Garfieldd, proviseur blogueur révoqué, j'ai choisi de publier chaque jour ou presque pendant quelque temps l'un des billets du blog qu'il a fermé le 19 octobre 2005 en apprenant qu'il était suspendu. Ce billet, que j'ai chosi aujourd'hui parce qu'il m'avait particulièrement touchée à l'époque de sa publication, et tous les autres sont accessibles via webarchives.org, un site conservant les pages mises en cache par Google.