Au sortir de la guerre, la petite fille élevée par Célestine et Gabriel était devenue une bien jolie jeune fille de vingt ans, aussi vive et enjouée que l'était sa maman Louise.

Avec un grand enthousiasme elle avait adhéré aux Jeunesses ouvrières chrétiennes, non qu'elle se sentît bien croyante, mais elle était infiniment reconnaissante à la section des J.O.C. de son quartier d'avoir sauvé son amie Simone lorsque ses parents avaient été arrêtés puis déportés. Ils étaient arrivés à l'école de secrétariat deux ou trois heures plus tard, l'avaient cachée tour à tour chez l'un ou l'autre d'entre eux pendant les trois années suivantes, lui avaient trouvé de faux papiers, envoyée en zone libre, et s'ils lui avaient demandé de retirer son étoile jaune ce n'était pas dans l'intention de la convertir mais pour la protéger.

Ils étaient jeunes, la France était libre, on mangeait enfin à peu près bien, un pèlerinage à Lourdes fut organisé au printemps 1946. L'autorisation des parents de Geneviève à si sérieux périple ne fut pas difficile à obtenir et la jeune fille fourra dans un sac quelques jolies robes taillées par sa couturière de mère dans des surplus reteints et se joignit à ses camarades.

Le lendemain de leur arrivée, ne perdant pas de vue que l'air pur et la non-surveillance des parents n'était pas la seule raison de leur venue, le groupe prit le chemin de la grotte miraculeuse. Mauricette et Geneviève, chargées de poster les lettres de la troupe, devraient faire le détour par la poste avant de les rejoindre.

Les bien jolies robes se seraient mal assorties des godillots rustiques rapetassés au fil des mois et comme bien des jeunes filles de l'époque, Geneviève portait des sortes d'espadrilles maison, faites de corde de récupération et de bouts de tissus en guise de lanière. Le sol inégal eut raison de l'amateurisme de la cordonnière et un soulier rompit sur le chemin, rendant la progression de Geneviève bien inconfortable.

Tandis qu'elle se décidait à tenir ses chaussures à la main et marcher pieds nus, elles croisèrent un membre du personnel de l'hôtel qui leur demanda de bien vouloir rapporter un fauteuil roulant à l'hôpital proche de la grotte, serviables, elles acceptèrent et futées elles s'avisèrent qu'il serait beaucoup plus facile que Geneviève s'y asseye et que Mauricette la pousse plutôt que risquer de filer une fois de plus les bas cent fois déjà raccommodés.

C'est en cet équipage que l'une poussant l'autre se faisant porter tout en bricolant ses chaussures pour les sauver de la poubelle elles parvinrent à la grotte. Et bien sûr, car les histoires les plus incroyables sont des histoires vraies, Geneviève venait tout juste de finir sa réparation de fortune lorsqu'elles arrivèrent au but.

« Enfin je peux marcher de nouveau ! », clama d'aise Geneviève, toute fière de son ouvrage...

... et elle se leva de son fauteuil.

Elle ne réalisa que trop tard qu'elle venait de jeter le trouble dans l'esprit des pèlerins présents. Elle le réalisa dès qu'elle eut prononcé ces mots, rougit de gêne et de honte quand tous s'agenouillèrent extasiés remerciant ce miracle.

Rien, absolument rien de ce qu'elle put dire, ni des protestations de Mauricette ni des assurances des jeunes Jocistes qu'elles avaient rejoints ne sut convaincre les quelques dizaines de personnes réunies devant la grotte qu'aucun miracle - si ce n'est les compétences de bricoleuse de Geneviève - n'était à saluer. Gentiment, les témoins en prière firent savoir qu'ils comprenaient très bien qu'elle n'eût aucune envie de devenir un sujet d'étude offert aux tenants et aux opposants des vertus de la grotte ; non moins gentiment ils lui assurèrent qu'ils sauraient le secret garder et comme elle accréditer cette abracadabrante histoire de chaussure cassée, de fauteuil à rapporter et de réparation habile. Qu'elle ni ses amis ne s'inquiètent, la discrétion leur était assurée.

Désemparée, entre attendrissement, rire et exaspération, elle finit par abandonner l'espoir de les convaincre et retint de son voyage qu'il n'est pire grenouille que celui qui veut croâre.

Et qu'elle était vachement douée pour les réparations-express d'espadrilles.


Nota : cette histoire est absolument véridique, rien ici n'a été inventé.