Ella, elle l'a
Ce je ne sais quoi
Que d'autres n'ont pas
Qui nous met dans un drôle d'état
Ella, elle l'a
Ella, elle l'a
Cette drôle de voix
Cette drôle de joie
Ce don du ciel
Qui la rend belle
Ella, elle l'a
Ella, elle l'a
(France Gall, « Ella, elle l'a »)

Qu'Ella la grande me pardonne de voler un extrait de l'hommage que lui rend France Gall pour introduire ce billet façon Garfieldd, le complice qui partagea mon bonheur en ce dimanche soir au Théâtre des Champs-Elysées.

J'hésiterais à employer des qualificatifs tels que « grandiose » ou « exceptionnel » si d'autres que moi, moins inconditionnels, voire sceptiques de longue date, n'avaient eux-mêmes couvert d'éloges la prestation des deux chanteurs, et notamment de la soprano, merveilleuse de bout en bout, tant dans son registre familier de l'opéra français, que plus nouveau de la Lucia italienne, voire inédit avec La Traviata.

Eux...

Rolando Villazon déclarait lors d'une interview que la première fois qu'il avait entendu Natalie Dessay, sa première réaction avait été « Wouahhhh ! » et la deuxième « Je veux chanter avec elle un jour. » Voilà qui fut fait, et de belle manière. Si le ténor mexicain m'a moins impressionnée que la chanteuse, je crois son avenir très prometteur. Il semble posséder toutes les qualités requises pour faire une longue et belle carrière : les veloutés nécessaires à la fin du duo de Roméo et Juliette, la fermeté qui sied à l'Alfredo de la Traviata et le sens du théâtre qui, allié à celui de Natalie Dessay, nous fit bien souvent oublier que nous assistions à un « simple » récital.

Ne négligeons pas également un physique appréciable et un incontestable talent pour séduire le public façon crooner latino, ressource dont il sut user sans abuser lors de ses moins-bien dimanche. Crooner mais pas lourdingue, il apporte à son chant un éventail de nuances sans en faire des tonnes, péché mignon dans lequel tombent facilement ces hâbleurs de blogueurs ténors à l'ego surdimensionné dès que les feux de la rampe se tournent vers eux.

L'orchestre de Radio-France, sous la ferme houlette de son directeur Myung-Whun Chung apporta sa pierre à la perfection de la soirée, l'ouvrant par une... ouverture (oui, bon...) de La Forza del Destino très bien maîtrisée pour une parfaite mise en condition, l'accompagnement des chanteurs fut impeccable, présent mais pas envahissant et ne couvrant pas les voix. Cela dit, Dessay ni Villazon n'ont vraiment besoin qu'on les ménage, l'un comme l'autre possédant une voix puissante (Dessay), voire très puissante (Villazon) et une bonne (Villazon), voire très bonne (Dessay) projection.

... et Elle

Ah, Elle. Rhalala lala. Vous ne pouvez pas savoir ce que vous avez raté. Ah si en fait vous pourrez en avoir une petite idée en écoutant la retransmission du concert le 8 mai sur à 20 h, sur France-Musique. Une Natalie Dessay dans un grand, un très très grand jour. Attention, vous allez avoir droit à la revue de détails. Pour le revivre et me souvenir et spécialement pour Juju qui aurait tant aimé pouvoir venir.

De la tenue

Commençons par les futilités. D'ordinaire Natalie Dessay a des robes assez moches et moi ne partageons pas les mêmes goûts vestimentaires. Elle revêtait pourtant en cette soirée de liesse musicale une robe couleur bronze dont la forme et la matière évoquaient un ma foi fort joli déshabillé à fines bretelles, fendu tout le long de sa jambe gauche et accompagné d'une étole dans les mêmes tons. Abandonné aussi le chignon banane aux mèches folles, au profit d'une chevelure revenue à son brun naturel (ouf !) nouée en demi-queue à l'aide d'une jolie barrette miel. (Si quelqu'un dégotte une photo...)

De l'audace

C'est dans cette tenue qu'elle apparaît sur la scène pour son entrée dans le duo de La Traviata. Je devine l'état de tension dans lequel elle devait se trouver à ce moment-là. D'abord, elle a toujours un trac de dingue les premières minutes (ça s'est d'ailleurs un tout petit peu entendu dans ce duo, le seul air où elle a été un poil, un tout petit quart de poil, en retrait, crispée). Mais surtout, surtout, c'était La Traviata, un rôle qu'elle n'a jusqu'ici jamais chanté (en public du moins), et que beaucoup ne pensaient pas à sa portée, en raison de sa tessiture. On murmurait qu'elle était totalement frapadingue de viser Violetta, on prédisait la chute magistrale, pathétique, au mieux acceptable avec un public bienveillant. Or après le duo le programme annonçait le solo de Violetta : « È strano », peut-être le plus célèbre des airs pour soprano. Soprano lyrique de préférence, capable pour certains passages (et à certains goûts) de tirer vers le dramatique. Et Natalie Dessay est (était ?) soprano léger...

Flamboyante. Plus que crédible, sa Violetta multiplie les facettes, tour à tour dubitative, rêveuse, désabusée, résolue. La voix est sûre et solide. L'air est généralement scindé en deux pistes, « È strano » et « Folie ! » et après l'aigü puissant qui ponctue la fin du premier une partie du public, déjà plus que conquise, pense qu'elle a accompli son but et qu'elle va s'en tenir là. Que nenni, interrompant les premiers cris d'extase, elle enchaîne sur « Folie ! », et j'ai cru percevoir qu'avoir passé la première manche avec brio la libère plus encore pour le deuxième, qu'elle chante en conquérante, ce qui colle parfaitement au texte.

Ceux qui connaissaient l'enjeu comme ceux qui n'en mesuraient pas la portée saluent la fin de l'air en un tonnerre d'applaudissements et de cris, et je ne suis pas la dernière à me mêler aux uns et aux autres ! Ses yeux brillent d'un bonheur qui fait plaisir à voir.

Douce

Pfiou, la magie créée par ce premier solo ne va pas s'estomper jusqu'à la dernière note du récital. Les deux chanteurs poursuivent avec l'émouvant duo de Lucia di Lammermoor, lorsque les deux jeunes gens viennent de se promettre amour et fidélité avant qu'Edgardo ne parte pour la France. Notre Rolando a des yeux de velours et la voix assortie. Natalie Dessay est une superbe jeune amoureuse inquiète et triste de se séparer de son fiancé. On l'entendra en entier dans ce rôle en septembre à l'Opéra Bastille. Il me tarde !


Entracte (à suivre plus tard dans la soirée)