Lucia di Lammermoor (la générale 1)
Par Kozlika le jeudi 7 septembre 2006, 11:34 - Lien permanent
(En deux billets, je commence par les mauvaises nouvelles - et c'est long.)
« Hai tradito il Cielo et amor »
(Vous avez trahi le ciel et l'amour, Lucia di Lammermoor, acte II.)
Je ne sais pas si je vous en ai déjà parlé, mais j'ai un don : l'empathie. C'est souvent elle qui me permet d'écarter une colère naissante, une déception, en me mettant à la place de l'autre.
La preuve ? Même après la répétition générale de Lucia di Lammermoor hier, je ne prononcerai pas la moindre récrimination contre Andrei Serban.
Ce metteur en scène n'a vraiment mais alors vraiment pas de bol. On ne lui propose jamais la mise en scène des opéras qu'il aimerait faire. Alors le pauvre type est obligé de faire avec ce qu'il a. Tenez par exemple : qu'en a-t-il à faire, lui, de Lucia di Lammermoor quand Billy Budd aurait pu consituer l'apothéose de ses rêves les plus fous ?
Alors voilà, le pauvre Andrei, moi je me mets à sa place. Et je sais tout exactement comment ça s'est passé. Pour commencer il va voir le décorateur (William Dudley) :
« Premier truc, parce que c'est vachement important que le public soit atmosphérisé à donf, le décor. Déjà, Lucia ça se passe dans des châteaux en Ecosse à la base. C'est nul, c'est d'un rebattu ! On dirait un roman de Walter Scott. Hein ? Quoi ? Ah, le livret est justement tiré d'un roman de Walter Scott ? Dis, tu veux bien ne pas m'interrompre quand je te cause boulot ? Et puis on n'est pas des dinosaures et le maître-mot des mises en scène d'opéra qui déchirent c'est trans-po-si-tion.
Dans un cargo ça aurait vachement de la gueule non ? Un truc à la Billy Budd sauce Bilal un peu, mais en moins bien parce qu'on n'est pas de vils copiteurs. Wé nickel, on va faire ça comme ça : tu me mets un décor (en forme de demi-lune gris métallique, comme ça les traditionnalistes auront leur donjon, on pourra les coincer s'ils gueulent) avec un pont supérieur, une salle de muscu avec cheval d'arçon, agrès, cordes à grimper et tout le toutim. Ah et puis des échelles horizontales, verticales, avec différents angles aussi : merde quoi on a une scène en trois dimensions on peut bien utiliser autre chose que les angles droits. Et puis si tu pouvais me coller deux trois fois un dortoir de sous-marin dans une scène ou une autre tu serais un ange, coco [coco, le surnom original et affectueux qu'Andrei utilise pour parler au chef décorateur. – NDLR].
Dis, tant que tu es là, tu peux me faire un projet pour la chambre de la nuit de noces ? J'ai peur de tomber dans le conventionnel super lourdingue mais d'un autre côté, faut pas trop filer la métaphore cargo/sous-marin alors j'avais pensé à un genre de tente berbère avec des lampions, ça serait super frappant non ? Le public se poserait des questions sur les mariages forcés d'autrefois et ceux de maintenant tu vois ? Rho p'tain je sens que ça va dépoter, là. Japonais les lampions hein, on fait pas du Walt Disney au palais des Mille et Une Nuits non plus. »
Faut savoir que William Dudley n'est pas que décorateur, il est aussi créateur des costumes. Alors Serban - qui est un malin - il sait reconnaître les efforts qu'il demande à ses collaborateurs et leur faire plaisir quand il peut. Et là il la une super idée (encore une autre je veux dire) :
« Dis donc, tu sais qu'elle est ma-gni-fique la robe de mariée que tu as faite pour Lucia ! C'est trop con qu'on ne la voie que dans une scène toute bien propre ; oui parce que après va bien falloir verser de l'hémoglobine dessus, là je peux pas faire grand chose. Mais j'ai un super plan : tu vois quand Lucia meurt, après sa scène de folie, il y a ensuite toute la fin avec Edgardo qui s'imagine qu'il parle à Lucia, puis qui se jette sur sa tombe en se rappelant les bons moments qu'ils ont passés ensemble (mais non, pas ceux-là qu't'es con hu hu, sinon pas de robe, ha ha), enfin les simagrées habituelles quoi.
Bon. Alors ta belle robe, tu vas me la faire en cinq exemplaires. Une pour la chanteuse qui fait Lucia et qu'on fera revenir sur scène après sa mort (pas celle de la chanteuse, banane, celle de Lucia). On fera un truc que j'aimais bien quand j'étais petit : le Spécial Cadeau Bonux. On colle un tas de paille dans un coin et quand Edgardo chante son solo, hop ! le cadeau sort du tas, c'est Lucia en robe de mariée blanc impeccable et elle danse avec de la paille dans les cheveux (j'avais vu ça, le coup de la paille dans les cheveux dans L'Elixir d'amour l'année dernière et ça rendait super chouette). En même temps on colle la robe à trois figurantes - tu sais celles qui sont à moitié à poil dans la première scène, vu qu'on est pas pudibonds à l'opéra, faut casser les vieux clichés. Et les trois figurantes elles dansent aussi en fond de scène. Grandiose non ? Ah et puis la cinquième c'est pour coller sur un mannequin de chiffon, celui qu'on collera sur le brancard qui apporte Lucia au cimetière. Comme ça, Edgardo s'effondrera sur le corps en pleurant mais si un jour on met un ténor un peu poids lourd, ça fera pas mal à la figurante et la chanteuse-Lucia pourra continuer à danser tranquillou.
Comment ça les gens vont rien comprendre ? Attends, on fait de l'opéra coco [coco : nom original et affectueux que Serban donne au chef costumier. – NDLR], on méprise pas l'intelligence et la culture des spectateurs nous. Ils ont potassé leur livret et connaissent l'histoire par cœur et sinon c'est tant pis pour leur gueule, on fait dans l'art, pas dans l'assistannat bordel. »
Et c'est lors des premières répétitions scéniques qu'interviendra la Ze Illumination. Andrei porte ce jour-là un parfum (TomatePourrie de chez Koz), qui fait défaillir Natalie D., la chanteuse future porteuse de l'une des cinq robes de mariage. Natalie D. s'effondre gracieusement aux pieds d'un Andrei ébahi et émerveillé : dans toute sa carrière il n'a jamais vu personne s'évanouir avec tant de talent.
« Chériiiiiiiie [c'est le surnom affectueux et original dont Andrei aime à se servir pour parler aux femmes. - NDLR] ! Chéééérie, tu étais ma-gni-fique ! Je VEUX garder ce truc pour la mise en scène, tu vas me la faire à la signature du contrat de mariage, ok ? Non attends, ça serait trop dommage que des spectateurs ratent ça. Tu vas me le refaire plusieurs fois, au moins trois ou quatre, tu vas les mettre à genoux Chérie. Ooooooooh, mais même, tu sais quoi ? On va te mettre debout sur la table, ça se verra mieux. D'ailleurs la didascalie le dit : Lucia défaille, alors on est couverts par le parolier (je crois qu'on dit le librettiste en fait) himself.
Pardon ? Oui, eh ben si ça fait rigoler le public c'est tant mieux, ça décrispe un peu tout ça, ça décrasse le pathos primaire, j'aime bien. On verra qui est capable d'émotion véritable et qui a besoin qu'on lui sorte les kleenex en prêt à pleurer.
Autre chose du même tonneau dont je voulais te parler : je sais que tu es capable de chanter des trucs hyper durs dans n'importe quelle position, alors à chaque fois que le public risquerait de se prendre à se laisser aller aux sentiments, toi tu vas faire un truc qui les déconcentre, à cloche-pied sur un tape-cul pour l'air de la fontaine, debout tout au bord du haut lit superposé (oui, je t'ai pas dit mais en fait ta chambre c'est une chambrée, on t'expliquera coco et moi) pendant la crise de désespoir avec le frangin, à califourchon sur une poutre tout en haut pour la folie. Le public aura peur que tu te casse la figure, seuls les vrais mélomanes ne se concentreront que sur ton chant. C'est classe hein, ça fait le tri tout ça, je suis content. »
Et des chouettes idées comme ça, il en a treize à la douzaine, le metteur en scène. Fort heureusement contrebalancées par une ou deux vraies bonnes idées, et côté voix et musique tout plein de bonnes choses. Mais ça sera pour le prochain billet ! (Lire la deuxième partie de ce billet et le compte rendu de la soirée du 22 septembre, pour une véritable représentation cette fois. Donc plutôt au sujet des interprètes et de la musique cette fois.)
Je m'excuse auprès d'Andrei Serban, j'en ai un peu rajouté des tonnes et je suis également de mauvaise foi pour ce qui concerne la dernière partie puisque Natalie Dessay n'était pas la première interprète de cette production qui fut créée en 1995 avec June Anderson :)
Commentaires
Ben tu vas pas le croire, ça me donne envie d'aller le voir ! Si si, rien que pour voir comment les chanteurs/solistes (je ne sais pas trop comment on dit) vont réussir à s'en sortir !
@Franck : Ah, c'est pas pour les figurantes dans la première scène ?
Il y a d'ailleurs un sacré boulot syndical à faire sur cette production. C'est quand même pas normal que ces deux filles n'aient pas de loge et soient obligées de se laver sur scène.
(chouette, je peux recommenter :) )
Et bien, ça m'a l'air dans la même veine que notre récent "Iphigénie en Tauride" à Garnier ; pour ceux qui n'y étaient pas, on était dans un hospice pour vieillardes, le dieu pas content était en chaise roulante, le fils tuait sa mère en rétrospective évidemment à poil, et j'en passe des meilleures, du gros n'importe quoi. Mais la musique, plus qu'excellente (du coup à la fin, on applaudit comme des malades les artistes, frustré de ne pas pouvoir lapider le metteur en scène qui étrangement n'est pas là...).
Bon, va falloir se préparer psychologiquement alors. Même un farfelu comme Pelly est en train de devenir classiquement banal à côté des uluberlus qui font les mises en scène... Le cargo, là, il navigue sur une fontaine au fait ?
Et oui, c'est le coeur du problème : certains directeurs d'opéra (Gérard Mortier, par exemple) n'aiment pas le bel canto et l'opéra romantique italien (leur truc, ce serait plutôt Wagner, Berg, Janacek, Boulez...) mais le public adorant ça, il faut bien le mettre au programme ! Alors, comme on ne peut tout de même pas toucher à la musique, on prend ses distances, on décape, on "déringardise" en confiant la mise en scène, les décors et les costumes aux branchés de service ! Le résultat de l'opération est très bien décrit dans votre post !
T'es sûre que l'coup du sous-marin c'est pas parce qu'en fait c'est un fan des Beattles qui s'ignore ?
Et j'vais râler le 6 si en plus on rigole, alors que pour une fois quand je vais à l'opéra j'adore pleurer.
Bon, faut que je trouve le livret en français d'urgence (ou au moins un bon résumé), pas de bol, j'emmène les enfants (11 et 14 ans) le voir (Cinquième élément oblige), je crois qu'il va falloir déminer. (Je vais commencer par leur faire lire ce billet)
Véronique, on trouve un résumé sur wikipedia.
Quel jour y serez-vous ?
J'étais à la représentation de ce samedi. C'était en effet assez acrobatique, pour les figurants comme pour les solistes, presque dangereux : Lucia sautant dans les bras d'Edgardo au milieu des cordes, passages brutaux d'une passerelle à l'autre, balançoire venant heurter légèrement le cheval d'arçon, chant depuis le sommet de lits superposés, etc. Le coup des N robes de mariée, c'est assez inexplicable (déjà qu'il y en ait deux est un peu étrange, une dans le tas de foin, et une fausse sur le brancard). Au fait, vous avez remarqué qu'à un moment donné, le personnage de Normanno s'ennuyait tellement qu'il est allé violer une demoiselle dans le foin ?
J'ai trouvé bizarre qu'après que Lucia se fut effondrée, le rideau soit tombé et que Natalie Dessay soit venue saluer (j'ai même vu des gens sortir ! croyant sans doute que c'était fini). À la fin, standing ovation, mais la mise en scène a été amplement sifflée.
À part ça, les chanteurs étaient excellents ; c'est le principal.
Ah oui Joël j'avais remarqué. Et toi, as-tu remarqué l'épisode : Lucia sort de la tente poursuivie par son nouveau mari, se jette sur une brouette, tentative de viol, retour sous la tente ? Outre que la scène (tas de foin compris) m'évoque irrésistiblement la scène --orgasmique-- homérique de la même Dessay en brouette vue par Carsen dans Olympia des ''Les Contes d'Hoffmann'', nymphomane poupée gonflable, je ne suis pas d'accord du tout avec la vision du metteur en scène sur le mari de Lucia, que je ne vois pas du tout comme un violeur. Il n'est pas du tout au courant des manœuvres d'Enrico et est sincèrement épris de Lucia dont on lui a dit que si elle avait l'air si triste c'est qu'elle ne se remettait pas de la mort de sa mère.
Bien que je n'aie pas toujours fait l'effort de grand écart oculaire pour regarder à la fois les sur-titres et tout ce qui se passait sur la scène (j'ai juste lu des résumés de l'histoire et les disques que j'ai écoutés avant de venir n'incluaient pas de livret), j'ai eu aussi l'impression qu'Arturo était plutôt un chic type.
Vous me faites très peur, car je suis sortie à l'entracte d'Iphigénie, je n'en pouvais plus. Je trouve que c'est se moquer des spectateurs ces mises en scène “modernes” (sic!). Vu le prix des places, cela me rend furieuse.
je n'irais pas voir/ecouter une troisieme production de Lucia cette annee même avec Dessay.la premiere amontpellier dans une mise en scene ringarde qui plombe et l'action et le fil musical par nicolas Joel et une distribution un peut terne .Laseconde au Theatre antique d'Orange. On ne vas pas aOrange pour des grand mises en scenes (theatralement parlant) on y vas pour des voix et lnous avons ete servis Patrici Cioffi ,villazon et scandiuzi ont communies avec l'orchestre et le public. Unmois et demis apres je suis toujours sur mon nuage meme si nous etions au rang37.
Bonjour,j'y vais dimanche à "Lucia di Lammermoor". Ce que vous écrivez sur la mise en scène me terrifie. Depuis des semaines ,je me prépare au spectacle (DVD Ciofi(2006) et Casello (1997). L'an dernier, déception énorme côté m-e-sc avec le Ring au Châtelet,Don Giovanni,S Bocanegra, Iphigénie en Tauride :des départs de spectateurs avant la fin et ronflements sonores pour Wagner, hurlements, sifflets à Garnier et ça va donc recommencer ? J'ai six heures de TGV, deux nuits d'hôtel et un abonnemment "premier balcon" pour voir ça...!!!??? Ras le bol de ces "n'importe quoi".
Houla, pas d'affolement, comme je le dis dans la deuxième partie, ça n'est pas catastrophique et vous ne serez pas déçus par le spectacle puisque j'aurai tordu le bâton dans l'autre sens ;)
le 9, le metteur en scène, était un figurant habillé en recrue...il est venu salué à la fin et sous les huées était très fier de lui, genre plus vous huez plus j'ai raison et grand talent .On entendait presque: pauvres cons de spectateurs ringards, bourgeois! Sinon je n'avais jamais entendu une lucia chantée comme ça, avec tellement d'intentions, de finesses d'interpretations et honnêtement la première fois que je vois le public se lever dès la fin.Mais peut-être est ce un effet de mode comme à la télé ou au stade....Mais j'ai peur qu'avec monsieur mortier on en voit de pas piquées des vers de relectures qui ne satisfont que leurs egos et ou souvent transparaît inconsciemment ? leur antipathie des femmes...J'y vais fort mais c'est ce que ressens de plus en plus.J'aimais bien les mises en scène de lavelli,sellers carsen, wilson etc et ne suis jamais contre une modernisation de l'oeuvre si elle se justifie tout le long .
Bonjour, ça y est, je l'ai vue et entendue, cette fameuse "Lucia...", dimanche après-midi.J'y allais avec crainte à cause de cette fichue mise en scène. Je n'ai pas aimé ce bric à brac de cordes et de passerelles mais, finalement, ça ne m'a pas dérangé.Spectacle extaordinairement chanté et dirigé. Une salle concentrée. Je n'ai pas entendu tousser.Je préfère Ciofi à Dessay mais, c'est affaire de goût.Et ,à l'orchestre, il y a l'harmonica de verre dont le son est si prenant...En tout cas, c'est vrai, dimanche,un ou deux petits "hou",mais les spectateurs quittaient dèjà la salle !
Quelqu'un y va le 6 au soir. J'étais pesuadé avoir commandé des places pour le 7. J'ai regardé hier l'enveloppe, et ce sont des places pour le 6. J'aurais dû regarder avant. Ils sont gonflés à l'opéra !
Ui, moi, j'y serai le 22/9 et le 6/10. Si mes souvenirs sont exacts, tu nous avais dit par mail retenir pour le 6 octobre toi aussi (et non le 7) mais je me gourre peut-être ?
Bon, si toi tu te souviens le 6 et que l'Opéra m'envoie des places pour le 6, eh bien ça doit être moi qui déconne :-) Y 'a pas de raison. Je préfère ça. Mais dans ma cabeza de linotte, je pensais que c'était un samedi… Alors que le 6 est définitivement un vendredi… Va faloir que j'envisage de reconnecter mes neurones, moi un jour.
Ah tiens, rien à voir, demain, je vais avoir l'immense chance de revoir un papier sur notre ami à tout 2LM. Il a été retenu par les journalistes de mon canard parmi les 50 personnalités qui font la France… Triste époque…