Deborah Voigt, Ariadne Depuis quelques années, dans le monde de la musique classique et du chant lyrique jusque là plus ou moins épargné, les critères plastiques des interprètes prennent une place de plus en plus considérable. Si considérable que l'une des plus grandes interprètes actuelles du rôle de la primadonna dans Ariadne auf Naxos (selon moi, la toute meilleure même), Deborah Voigt vit son engagement annulé au Royal Opera House de Londres dans ce rôle à la demande du metteur en scène, Christophe Loy, parce qu'elle n'entrait pas dans la petite robe noire qu'il avait prévue lors de la création de la production (il s'agissait d'une reprise) ni ne pouvait effectuer certains déplacements prévus par sa mise en scène.

Au-delà de la blessure personnelle inadmissible que cela dut représenter pour la soprano, je trouve dommageable que de tels critères puissent entrer en ligne de compte. Quelle carrière pourrait espérer l'immense Montserrat Caballe si elle faisait ses débuts aujourd'hui, et Luciano Pavarotti, et tant d'autres ? Au nom de quels diktats de sélection de miss Monde nous aurait-on privés de leurs voix magnifiques ? Rostropovich et Martha Argerich auraient-ils dû s'abstenir de paraître sur scène ou d'enregistrer des disques faute de pouvoir réaliser des pochettes CD mettant en valeur la courbe de leurs hanches ? A l'autre bout du spectre, telle pianiste, telle violoncelliste, telle soprano connaîtraient-elles l'engouement qu'on leur porte si elles n'étaient si jolies au regard des canons actuels ? Sans doute ont-elles du talent, je ne vais pas jusqu'à penser que leur physique suffit, mais il est désormais quasi indispensable au lancement d'une carrière. Et l'incident Voigt démontra qu'entre une chanteuse honorable et « présentable » et une chanteuse extraordinaire en surpoids, les maisons d'opéra font parfois le choix qui a le moins à voir avec leur mission.

Et qu'on ne vienne pas me parler de crédibilité du rôle. Celui d'Ariane ne comporte aucune indication sur (ni ne nécessite) un physique de sylphide et la mise en scène aurait pu, aurait dû s'adapter à la chanteuse. Certains rôles imposent un âge, d'autres non. Un poids, un visage jamais. Ou alors il faut m'expliquer pourquoi un Roméo ne s'amouracherait pas d'une Juliette de cent kilos, un Edgardo d'une Lucia inéligible à un casting de La Nouvelle Star. Curieusement ceux qui parlent de crédibilité ne sont jamais dérangés par une Madame Butterfly ou une Liu caucasiennes.

Si je parle de cela aujourd'hui c'est que j'apprends par une news d'operadatabase que Christophe Loy, le metteur en scène dont je parlais plus haut, et Sir John Eliott Gardiner, le chef d'orchestre, n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur les coupes à effectuer sur le livret de La Finta Giardiniera pour la production qui sera présentée dans cette même salle du Covent Garden. N'ayant pu obtenir gain de cause, Loy a quitté la production. Et j'en suis bien contente.

Prima la musica.


Sur l'éviction de Deborah Voigt :

Sur le nouveau look des pochettes de disques classiques