Lucie

La violence des sanglots qui secouent la jeune-femme l’empêchent presque de respirer. Ils sont noyés par le vacarme infernal du moteur et les crissements des pneus dans les virages. La décapotable jaune dévale la route sinueuse en direction de la ville endormie. Lucie maintient l’accélérateur fermement enfoncé, bien que ses larmes l’empêchent de plus en plus de voir la route devant elle.

Le pompier qui, le lendemain, examinera son corps à demi-calciné au fond d’un ravin sera tout de suite intrigué par une marque rouge très visible dans son cou. Comme une grosse piqûre.

* * *

“Saleté de beignets !”. L’inspecteur Scott s’était assoupi en écoutant la radio lorsque le téléphone sonna. Il sursauta et fit tomber l’assiette de beignets qu’il était en train de déguster avant de s’endormir. Il essaya en vain de trouver un mouchoir dans sa poche pour s’essuyer les mains avant de décrocher, mais ne réussit qu’à salir le pan de sa veste.

Dans son demi-sommeil, son cerveau avait du mal à remettre ses neurones en route. Il ne savait pas très bien qui lui parlait. Un meurtre à l’opéra… Un cadavre sur la scène… On le demandait. Il attrapa son manteau et sauta dans un taxi.

Il fallait que ça tombe sur lui ! L’opéra, il n’y mettait jamais les pieds. Il avait du mal à comprendre comment on pouvait rester assis plusieurs heures à écouter des chanteurs obèses s’époumoner à raconter des histoires sans queue ni tête dans des costumes ridicules.

Le policier du commissariat voisin, qui était arrivé le premier après l’appel du régisseur, accueillit Scott à son arrivée. Adrian Brénès : c’était le nom du metteur en scène dont le corps sans vie attendait l’inspecteur Scott. Bien entendu, il n’évoquait rien pour Scott.

Le policier résuma rapidement la situation pour l’inspecteur : une quinzaine de minutes après la fin de la représentation du soir, on avait retrouvé Brénès pendu à l’un des éléments du décor, une sorte de balançoire qui aurait dû se trouver hors d’atteinte dans les cintres.

La plupart des chanteurs et des techniciens, ainsi que le chef d’orchestre, attendaient sur la scène. Ils regardaient un peu bêtement le corps de Brénès suspendu au-dessus d’eux. Certains chanteurs étaient encore en costume, d’autres sont en peignoir, d’autres encore avaient eu le temps d’enfiler leurs vêtements de ville. C’était de l’incrédulité, plus que de la tristesse, que Scott semblait lire sur les visages.

Comme il ne faisait pas de doute que le metteur en scène était mort, personne ne semblait pressé de descendre le corps. L’inspecteur demanda que l’on apporte un escabeau, mais le régisseur lui expliqua qu’il était plus simple d’abaisser la perche à laquelle est accrochée la balançoire. Ce que l’on s’empressa de faire.

Le corps de Brénès s’allongea sur la scène, face contre terre. Scott le retourna. Un détail attira l’attention de tous les spectateurs. Épinglé au sous-pull du metteur en scène, ce mot sur un rectangle de carton : “Ainsi périssent ceux qui s’en prennent à Lucie”.


Edit 2/10. Changement du temps du récit du présent au passé simple (cf.).

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