Juin 2000. Dernier jour de CM2 pour ma cadette, que je suis venue chercher mais qui m'a lâchée aussi sec pour filer chez une amie. Sur la place piétonne je me suis installée au soleil pour un café. J'aperçois de loin Billy, son instituteur et l'appelle pour qu'il me rejoigne. C'est sa première année dans cette école et nous sommes devenus amis rapidement. Il va plusieurs fois par mois à l'opéra, quand nous le pouvons nous faisons coïncider les dates pour nous y retrouver et allons dîner au restaurant ensemble. Ou on se retrouve comme aujourd'hui pour un thé à la menthe ou un café. Il me pousse souvent à me proposer comme parent accompagnant pour les sorties de classe. Bref, on s'entend comme larrons en foire.

Très vite, j'ai pensé qu'il était homo (je me vante d'être infaillible en ce domaine). Quand nous nous sommes mieux connus, que nous avons partagé quelques pizzas et quelques fous rires, je me débrouille pour lui poser la question indirectement, ma gay-friendlytude ayant été maintes fois « prouvée ». Arf, mon flair infaillible m'a donc fait défaut, 100% hétéro me répond-il, enfin sait-on jamais hein ! Ah tiens, c'est bien la première fois que je me sens d'emblée si à l'aise avec un hétéro. Ah oui, me répond-il, d'ailleurs à l'école ça commence à jaser. Et ton mec, il ne se pose pas de questions ? Bah non, « mon mec » il est bien content de pouvoir rester à la maison sans que j'essaye de le traîner ici ou là, quant au reste, pas le genre à s'affoler sur des hypothèses et je ne serais pas bonne menteuse.

En ce dernier jour tout plein de soleil, on déguste notre café sur la terrasse, Billy et moi. On discute du programme de l'année suivante à l'Opéra de Paris. En avril nous avons aligné nos dates d'abonnement, ça va être chouette l'année prochaine.

« Tu n'auras plus l'occasion de venir à l'école.
– Eh non, ça sera le collège maintenant, d'ailleurs elle n'aimait pas trop que je traîne à l'école comme si elle avait besoin de sa maman !
– J'ai un truc à te dire.
– ...
– Je suis homo. »

Et puis tout sort pêle-mêle : la peur que ça se sache, les parents qui voient des pédophiles partout, l'amalgame pédé-pédophile, qu'il s'est un peu servi de toi pardon mais tu m'avais dit que tu n'aurais pas de problème avec ton mec en couverture auprès de ses collègues ou en tout cas ne démentait rien. L'amour du métier, surtout ne pas prendre le risque de ne plus pouvoir l'exercer, j'y tiens trop. Choisir d'habiter loin pour pouvoir fréquenter des garçons sans croiser les habitants d'ici, raconter aux hommes qu'il rencontre qu'il exerce je ne sais plus quel métier pour éviter les recoupements, l'impossibilité de faire confiance, même à toi pardon.

Je me prends la porte du placard en pleine face.

Mentir sur une opinion, ça demande de la maîtrise de soi. Mentir sur ce qu'on est, ça détruit. Comme d'autres, il a cloisonné sa vie en parties étanches entre le très petit nombre de ceux qui savent et tous les autres qui ne doivent pas savoir. Il ne se comporte pas de la même façon, n'a pas les mêmes gestes, pas les mêmes intonations.

Les histoires de coming-out me mettent toujours les tripes à l'air, même quand ça se passe bien. C'est de devoir le faire qui est insupportable, qu'on puisse situer le avant et le après, qu'on doive s'interroger sur comment et à qui le dire, s'inquiéter des réactions. Qu'on se prenne les pieds dans le tapis entre le choix d'un métier et le choix d'être soi.

Elles me rappellent mon enfance aussi, d'une certaine manière, évidemment beaucoup moins grave, quand on me demandait pourquoi je ne portais pas le nom de mon père. Alors voilà, papa et maman étaient mariés, mais pas ensemble vous voyez, et maman ne pouvait pas vraiment me donner son nom car sinon ç'aurait été le nom de son mari et papa n'avait pas le droit de dire qu'il était mon papa puisqu'il n'était pas marié avec maman et donc on m'a donné un nom provisoire, le nom de ma maman quand elle n'était pas mariée, mais c'est pas pas encore mon vrai nom. Alors souvent je répondais oui. Pour éviter les regards apitoyés sur moi et réprobateurs sur ma mère.

C'est à Billy que j'ai pensé aussi lorsque Garfieldd a été placé sous les feux de l'actualité. Je me rappelle avoir songé - et peut-être écrit ? - que le vrai combat contre l'homophobie sera gagné quand un prof pourra venir le bras autour du cou de son amoureux à la kermesse de son établissement sans que personne n'y fasse attention.

Mais oh, hé, n'empêche : in-fail-lible !