2000:40 placard
Par Anna Fedorovna le lundi 13 novembre 2006, 22:08 - Mes petits cailloux - Lien permanent
Juin 2000. Dernier jour de CM2 pour ma cadette, que je suis venue chercher mais qui m'a lâchée aussi sec pour filer chez une amie. Sur la place piétonne je me suis installée au soleil pour un café. J'aperçois de loin Billy, son instituteur et l'appelle pour qu'il me rejoigne. C'est sa première année dans cette école et nous sommes devenus amis rapidement. Il va plusieurs fois par mois à l'opéra, quand nous le pouvons nous faisons coïncider les dates pour nous y retrouver et allons dîner au restaurant ensemble. Ou on se retrouve comme aujourd'hui pour un thé à la menthe ou un café. Il me pousse souvent à me proposer comme parent accompagnant pour les sorties de classe. Bref, on s'entend comme larrons en foire.
Très vite, j'ai pensé qu'il était homo (je me vante d'être infaillible en ce domaine). Quand nous nous sommes mieux connus, que nous avons partagé quelques pizzas et quelques fous rires, je me débrouille pour lui poser la question indirectement, ma gay-friendlytude ayant été maintes fois « prouvée ». Arf, mon flair infaillible m'a donc fait défaut, 100% hétéro me répond-il, enfin sait-on jamais hein ! Ah tiens, c'est bien la première fois que je me sens d'emblée si à l'aise avec un hétéro. Ah oui, me répond-il, d'ailleurs à l'école ça commence à jaser. Et ton mec, il ne se pose pas de questions ? Bah non, « mon mec » il est bien content de pouvoir rester à la maison sans que j'essaye de le traîner ici ou là, quant au reste, pas le genre à s'affoler sur des hypothèses et je ne serais pas bonne menteuse.
En ce dernier jour tout plein de soleil, on déguste notre café sur la terrasse, Billy et moi. On discute du programme de l'année suivante à l'Opéra de Paris. En avril nous avons aligné nos dates d'abonnement, ça va être chouette l'année prochaine.
« Tu n'auras plus l'occasion de venir à l'école.
– Eh non, ça sera le collège maintenant, d'ailleurs elle n'aimait pas trop que je traîne à l'école comme si elle avait besoin de sa maman !
– J'ai un truc à te dire.
– ...
– Je suis homo. »
Et puis tout sort pêle-mêle : la peur que ça se sache, les parents qui voient des pédophiles partout, l'amalgame pédé-pédophile, qu'il s'est un peu servi de toi pardon mais tu m'avais dit que tu n'aurais pas de problème avec ton mec en couverture auprès de ses collègues ou en tout cas ne démentait rien. L'amour du métier, surtout ne pas prendre le risque de ne plus pouvoir l'exercer, j'y tiens trop. Choisir d'habiter loin pour pouvoir fréquenter des garçons sans croiser les habitants d'ici, raconter aux hommes qu'il rencontre qu'il exerce je ne sais plus quel métier pour éviter les recoupements, l'impossibilité de faire confiance, même à toi pardon.
Je me prends la porte du placard en pleine face.
Mentir sur une opinion, ça demande de la maîtrise de soi. Mentir sur ce qu'on est, ça détruit. Comme d'autres, il a cloisonné sa vie en parties étanches entre le très petit nombre de ceux qui savent et tous les autres qui ne doivent pas savoir. Il ne se comporte pas de la même façon, n'a pas les mêmes gestes, pas les mêmes intonations.
Les histoires de coming-out me mettent toujours les tripes à l'air, même quand ça se passe bien. C'est de devoir le faire qui est insupportable, qu'on puisse situer le avant et le après, qu'on doive s'interroger sur comment et à qui le dire, s'inquiéter des réactions. Qu'on se prenne les pieds dans le tapis entre le choix d'un métier et le choix d'être soi.
Elles me rappellent mon enfance aussi, d'une certaine manière, évidemment beaucoup moins grave, quand on me demandait pourquoi je ne portais pas le nom de mon père. Alors voilà, papa et maman étaient mariés, mais pas ensemble vous voyez, et maman ne pouvait pas vraiment me donner son nom car sinon ç'aurait été le nom de son mari et papa n'avait pas le droit de dire qu'il était mon papa puisqu'il n'était pas marié avec maman et donc on m'a donné un nom provisoire, le nom de ma maman quand elle n'était pas mariée, mais c'est pas pas encore mon vrai nom. Alors souvent je répondais oui. Pour éviter les regards apitoyés sur moi et réprobateurs sur ma mère.
C'est à Billy que j'ai pensé aussi lorsque Garfieldd a été placé sous les feux de l'actualité. Je me rappelle avoir songé - et peut-être écrit ? - que le vrai combat contre l'homophobie sera gagné quand un prof pourra venir le bras autour du cou de son amoureux à la kermesse de son établissement sans que personne n'y fasse attention.
Mais oh, hé, n'empêche : in-fail-lible !
Commentaires
juste un tout petit droit, celui à l'indifférence ... celui donc de ne plus être le "différent" ... parceque le différent fait peur ... non juste cet indifférent ... Il reste bien du chemin ... de part et d'autre ...
Flair infaillible en effet. Encore un don de fée... Oui un jour Billy devrait pouvoir aller à la fête de l'école accompagné de son ami, de façon naturelle sans que cela soit un exploit. Un jour...
Ca prend du temps de faire accepter la différence. Un temps qui peut en tuer beaucoup dans l'intervalle. Mais il faut continuer. Un jour viendra.
La fée elle est aussi fée parce qu'elle est gayfriendly, j'avais oublié de le dire ça ! :-) C'est un truc de fée !
Bienvenue au Club de ceux qui ont du nez. Un bon Gaydar quoi...
Ton histoire me fout les boules. La conclusion est parfaite. C'est exactement ce que je pense. Tout cela me fait penser (en vrac) à mon ancienne collègue qui est toujours persuadée que les pédés ont "en moyenne" plus de 300 partenaires par an, à mon père, qui souhaitait couper la bite de tous les pédés, ou aux problèmes rencontrés lorsque l'on souhaite adopter. Pour encore beaucoup, un pédé, ça aime les petits nenfants, un point c'est tout.
Beau billet, la fée. Comme à chaque fois, ça me fait une boule, là.
Matoo, j'ai beau me sentir passablement gay friendly, je me sens pas tout à fait fée :-) :-)
Kozlika, moi aussi, ça me colle la nausée que les gens doivent se planquer pour pouvoir vivre leur vie alors que ça devrait ne poser aucun problème si d'autres n'étaient pas si bornés (je fais effort d'intense politesse, là). Ça vaut pour tout plein de trucs hélas, l'homosexualité, les autorisations ou non d'habiter ici, l'écriture, les histoires de mariages ou pas au nom du père ou non ...
Malgré la tristesse du fond du sujet, j'aime assez ces billets où tu racontes ma vie (à si peu de choses près) ; tu le fais tellement mieux que moi, c'est extrêment reposant (en plus que forcément, après je me sens moins seule).
Bon allez, je file, parce que le décret, je ne crois pas qu'il soit déjà passé et qu'à l'usine je vais encore me faire appeler Arthur.
Nananniversaire Gilda !
Merci à Oli pour ton adresse. Et le premier truc que je lis c'est FORT de chez café. Quelqu'un l'a déjà écrit, mais pour moi aussi c'est la boule dans le ventre qui se retourne. Mais je ne sais pas si les personnes qui n'ont pas vécu eux-même ce coming-out peuvent bien comprendre les maux endurés avant, pendant et après. Néanmoins tu écris celà fort bien de ton point de vue. Hope for future avec ou sans le vatican.
Plutôt qu'un droit à l'indifférence, il me semble que c'est un droit à la reconnaissance de ce que l'on est, de nos choix quels qu'ils soient qu'il faut revendiquer. C'est vrai que lorsqu'on est homo cloisonner est fatiguant et surtout, très frustrant puisqu'il est extrèmement difficile en conséquence d'avoir une relation aboutie avec notamment ses collègues de travail. Cela donne parfois l'impression de passer à côté d'une relation qui aurait pu être plus construite, plus profonde et plus vraie. Et c'est un peu triste. Cela dit je pense que l'énorme majorité de mes collègues se fouteraient éperdument que je sois homo. Mais cependant, être estampillé selon sa préférence sexuelle est déplaisant (et malheureusement inévitable qd on fait partie d'une minorité) et en plus il y a toujours une personne homophobe dans son environnement de travail. Alors, par facilité et/ou par prudence, on choisi de cloisonner.
Merci, madame la princesse des fées ! (ouais, j'en rajoute une couche parce que quand on écrit des trucs comme ça, on devient "princesse" dans mon échelle de valeurs de la noblesse féérique)
Fouyouyouy... (Oui, bon, on fait les onomatopées qu'on peut.) Tu sais comment ça se passe pour lui, en ce moment ?
De tous les aspects du 'combat' pour l'acceptation des transpédégouines, le coming out est l'aspect qui me serre le plus les tripes. J'ai eu la chance que ça se passe (très) bien, mais je suis tout retourné dès que je lis des histoires comme ça, où il y a la plus petite possibilité que ça soit pas le cas.
Dernier exemple en date de la difficulté de vivre à coeur ouvert pour un homo : hier soir, chez des amis de fac, deux mecs qui se taquinaient : "- And then YOU'RE the gay guy!" ("Et alors c'est oti le pédé !"), pour signifier "et c'est toi le loser !"
Oserais-je remettre "Enculé !" sur le tapis ? :-)
Oui, je sais ce qui se passe pour lui en ce moment mais si je vous raconte vous n'allez pas me croire. Il est des fois où la vraie vie dépasse toutes les fictions !