15 septembre 1991. Du fond de mon lit j'entends le téléphone sonner et mon compagnon décrocher. On n'a pas idée de téléphoner un dimanche matin à 8 heures quand même... Ce doit être ma mère ;)

Ah non, j'entends « Bonjour Jim »[1], c'est donc le frère de mon compagnon qui se réveille trois jours après l'anniversaire de Meusa pour le lui souhaiter. Je souris intérieurement : dans cette famille ils sont incapables de se souvenir du moindre anniversaire, espérons que la semaine prochaine il se souvienne du premier de son fils, Louis, né trois mois avant Marion ! Ma «belle-sœur» Catherine et moi faisions déjà la paire avec nos gros bidons, ça va être une sacrée bande de cousins mon grand, ma petite et le moufflet. Cet été je les ai eus tous les trois pendant quinze jours, ça pulsait déjà pas mal !

Mais Jim n'appelait pas pour l'anniversaire. Il appelait pour dire qu'il n'y aurait pas de bande de cousins, qu'il n'y en avait plus depuis tout à l'heure parce que Louis était parti dans la nuit de mort subite du nourrisson.

Il m'a fallu plusieurs minutes pour réaliser, j'avais entendu les mots mais ils ne voulaient rien dire du tout. Et les photos à développer ne sont pas encore revenues de chez le photographe. Donc c'est pas possible. Il va rappeler il va dire qu'il s'est trompé, qu'il n'a pas déssoulé d'une fiesta beaucoup trop arrosée. C'est en voyant mes propres gosses jouer dans le salon, si... vivants, que j'ai enfin compris. Louis est mort.

Les semaines et les mois qui ont suivi, nous nous sommes souvent parlé au téléphone Catherine et moi puisqu'ils habitaient Marseille et que nous ne pouvions nous voir. Et puis un jour je lui ai dit que j'avais honte. Honte parce que mes pleurs étaient de chagrin mais aussi de soulagement : pas les miens, oh punaise, heureusement pas les miens. Elle m'a dit que c'était idiot d'en avoir honte bien sûr, qu'elle aurait eu les mêmes sentiments mêlés. Ça m'a soulagée d'avoir pu le lui dire.

Marion était un bébé facile, qui s'endormait quand on la couchait et se réveillait pour son premier biberon en souriant. C'est ce qu'elle a continué de faire... à part qu'à compter du décès de Louis elle s'est réveillée trois à quatre fois par nuit et se rendormait dès que nous allions la voir. Je suis aujourd'hui encore certaine qu'elle disait ainsi : Je suis là, papa, maman, tout va bien, vous pouvez vous rendormir tranquilles.

Notes

[1] Les prénoms sont changés.