1978:18 aux abris
Par Anna Fedorovna le samedi 9 décembre 2006, 21:21 - Mes petits cailloux - Lien permanent
On s'est connus en mai, on est devenus copains comme cochons tout de suite. On a passé notre première nuit ensemble un mois plus tard, presque par accident[1] Nous nous sommes séparés au bout de vingt-quatre ans.
« Toulon », comme l'appelaient les copains Normands en raison de l'accent chantant trahissant son attachement au Var, était tout sauf sentimental, habillé comme l'as de pique, menteur comme un arracheur de dents mais uniquement pour la galéjade, drôle et toujours avec plein de projets sur le feu. (Bon ok, après j'ai compris qu'il aimait bien mieux en faire que les réaliser, mais j'ai mis un moment.)
Au début, nous n'imaginions ni l'un ni l'autre que notre relation durerait bien longtemps. Nos phrases ressemblaient toujours à « si on est ensemble le mois prochain, on fera ci et ça » et nos déclarations les plus brûlantes furent « t'es chouette » ou « t'es super ». Ça m'allait drôlement bien parce que l'amour ça me fichait la trouille. C'était un truc compliqué et douloureux, ça vous faisait sacrifier votre vie pour l'heure quotidienne que vous accordait l'autre, ça vous dissolvait, ça vous faisait perdre le contrôle. (Et franchement, quoi de pire que perdre le contrôle, je vous le demande ? Pas pour rien que je n'avais jamais non plus testé aucune des drogues qui circulaient à tout va autour de moi ni n'avais jamais picolé.) Et j'avais su tourner les talons vite fait lorsque la menace s'était présentée. Ouf !
Avoir un bon copain
Voilà c'qui y a d'meilleur au monde
Oui, car, un bon copain
C'est plus fidèle qu'une blonde
Unis main dans la main
A chaque seconde
On rit de ses chagrins
Quand on possède un bon copain
(Oui, bon, le quatrième vers est à adapter...)
Notre recherche commune d'un compère plus que d'une moitié présenta pour moi, et sans doute pour lui aussi, l'avantage énorme d'écarter l'angoisse de ne pas être à la hauteur ou de me noyer. Il n'occupa – ni ne chercha à occuper – aucun de mes ministères, signe distinctif qu'il ne partage qu'avec mon amie Claire parmi mes proches. C'est (c'était, hin hin, tu es grande maintenant) plus fort que moi, je guettais le jugement dans le regard des autres, aux aguets.
Cette association d'amitié, d'entraide et de solidarité a bien fonctionné longtemps, ça correspondait parfaitement à ce dont j'avais besoin – ou en tout cas ce que je recherchais à ce moment-là. Et si l'air des dernières années se fit irrespirable, parce que nos chemins n'allaient vraiment, mais alors vraiment plus dans la même direction, si sa conception de la parentalité me donne envie de lui planter un marteau-piqueur dans le crâne, je n'oublie pas qu'il était là, à Saint-Lô ou ailleurs, pour se souvenir au bon moment qu'il avait un truc super important à faire.
Notes
[1] Au sens littéral du terme puisque j'avais eu un petit accident de mobylette sans gravité et que par chance il passait par là.
Commentaires
Pire que perdre le contrôle, c'est : être incapable de le faire même les soirs où on voudrait.
(je parle de quand on voudrait lâcher prise et de l'inefficacité des procédés qui sur les autres semblent fonctionner au point de croire qu'ils sont en train de vous faire une vaste blague à base d'un placebo, et de se dire que non c'est un vrai quelque chose qui leur fait vraiment de l'effet à eux seulement quand il faut commencer à les ramasser les uns après les autres à la petite cuillère et qu'on n'est peut-être pas simplement le fruit d'une inversion de berceau mais peut-être bien carrément d'une erreur de planète) - pour ce qui est de perdre le contrôle pour cause d'être trop sensible, c'est plutôt l'inverse, je ne connais que trop ça -
J'avais failli justement ajouter un truc en commentaire de ton billet précédent au sujet des trucs super importants à faire, et puis ça m'avait paru indiscret et j'ai bien fait de me taire, c'est tellement mieux que ce soit toi-même :-) .
A propos de la conception de la parentalité suite privée (mais un peu plus tard sauf si je m'endors)
Ouh la la, marteau-piqueur dans le crâne, ça j'ai jamais pensé, et pourtant ! quoi que... je me demande si le marteau-piqueur est capable d'arranger les choses quand les conceptions diffèrent.. Allons, allons, je sais que c'était une image, pour parler surtout d'un sentiment provoqué par le différend, mais disons que ça m'a frappé, à l'heure où j'ai moi-même des envies de juguler ma propre rage quand je pense à ma conception de la parentalité, et à l'absence de conception que je ressens de la part de l'autre parent de ceux que je parente.
Merci Cassandre...
Là ce n'est plus un billet, c'est un épisode. Il faut nous en dire un peu plus sur ces différences de conceptions de la parentalité justiciables du marteau-piqueur, sous peine de grave frustration des lecteurs
Outre le fait que je n'en avais aucune envie en rédigeant le billet. Que l'un de mes enfants me lise régulièrement et que l'autre pourrait avoir envie de le faire exclut définitivement toute possibilité que je développe ce point sur mon blog.