En toute fin d'année.

« Bonsoir, mademoiselle C*** !
– Bonsoir maman ! »

Hi hi, Maman a l'air de bonne humeur ce soir.

« Je répète : bonsoir mademoiselle C*** !
– ? ? ?
– Tsssssst, tu ne m'écoutes pas. Note bien que je n'ai pas dit "mademoiselle dite C***"...
– Aaaaaaaah ! Alors ça y est ? J'ai un vrai nom de famille ?
– Oui, presque. Ça a été voté, il n'y a plus qu'à attendre que ça soit appliqué ! »

Ah chouette alors. Comme Maman était en instance de divorce elle n'a pas pu me reconnaître quand je suis née, sinon j'aurais porté le nom de son ex-mari. Mais Maman a appris que maintenant les femmes allaient pouvoir reconnaître leurs enfants hors mariage. D'un côté ça m'aurait un peu plu de porter le même nom que Cassandre, mais pas trop celui de son père. Puis d'ailleurs depuis que Cassandre est mariée elle porte le nom de son mari alors...

« Ah mais non, je ne vais pas m'appeler C***, je vais m'appeler B*** en fait, comme Papa ! Vous allez vous marier. » J'avais toujours pensé que Maman et Papa ne se mariaient pas en attendant que Maman puisse me reconnaître sans son ancien mari, pour que je ne sois pas reconnue que par Papa ; ça serait pas juste que lui aie le droit et pas elle. Et puis le « dite » on ne l'employait que pour les papiers officiels ; au lycée par exemple personne ne l'utilisait.

Maman dit que non, ils ne vont pas se marier, ça sert à rien. Et comme je vis avec elle c'est beaucoup plus simple pour les papiers qu'on porte le même nom toutes les deux. Ah. Je ne veux pas faire de la peine à Maman alors je ne dis pas que j'avais tout prévu pour quand ce jour arriverait. Pas le mariage, même si ça aurait été une vraiment belle fête, mais le nom. Je l'aurais porté à la russe : Anna Fedorovna B***, ça ferait super élégant, comme dans les romans !

« Vous irez quand faire les papiers ? » Maman répond qu'elle ira dès que le décret sera passé. Qu'elle ira à la première heure du premier jour où elle en aura le droit. Et c'est ce qu'elle a fait. Entre-temps des cris dans la cage d'escalier m'auront appris pourquoi mes parents ne s'étaient pas mariés ni ne se marieraient jamais.

Mais jamais mon père ne m'a reconnue ni à cette époque ni plus tard lorsque adulte je lui ai demandé explicitement de le faire. « Les papiers on s'en fout », disait-il. Sûrement pas tant que ça puisque malgré mon insistance ça ne s'est jamais fait. J'en suis arrivée à la conclusion (puisque aucun enjeu matériel ne pouvait entrer en ligne de compte pour l'héritage de ce poches-percées qu'il était) que c'était pour ne pas en rajouter à la douleur d'une autre. Au moins est-elle la seule à porter ce nom.

Je me suis plus ou moins faite à cette idée, me suis plus ou moins nourrie d'un presque-nom grâce à mon pseudonyme ou l'intitulé de telle boîte mail. Mais parfois j'avale un peu de travers.