1960:00 Jésus et moi
Par Anna Fedorovna le lundi 25 décembre 2006, 15:07 - Mes petits cailloux - Lien permanent
Ce billet est dédié à Luciole, François et leur petite Louise, née ce matin, à 0h50 2h50.
Fin décembre 1960. La maternité nous laisse enfin sortir ma mère et moi, pour que nous puissions passer Noël avec Cassandre dans le petit studio où elles viennent d'emménager. Pendant les cinq semaines de mon séjour en couveuse, « madame Dix-Sept » n'a pas eu le droit de sortir et périssait d'ennui à l'hôpital, sauvée un seul après-midi en raison d'une réunion de parents dans l'établissement de ma sœur à laquelle on l'autorisa à se rendre sous le haut patronnage d'une infirmière-duègne chargée de veiller à ce qu'elle ne prenne pas la fuite en abandonnant le « bébé Dix-Sept ». Durant ces cinq semaines et malgré la crainte de l'abandon de son enfant illégitime au sort incertain par une femme de si mauvaises mœurs, on ne l'autorisa pas à me rendre visite. C'est avec la complicité d'autres mères qu'elle parvint à entrer dans la salle des couveuses la première fois au bout de deux semaines et à quelques rares reprises ensuite. C'est donc avec un réel sentiment de fête qu'elle rentre à la maison, décidée à ne pas s'alarmer à mon sujet malgré mes moins de 2,5 kg et l'annonce que les deux prochaines années seraient à surveiller de près car il était possible que l'anoxie ait endommagé mon cerveau.
Je m'appelle Anne, car Maman avait adoré Marie Déa dans « Les Visiteurs du soir » et que ça plaisait bien à Papa, notre visiteur du soir à nous, que je m'appelle comme sa mère Hannah.
13 novembre 1960 après-midi. Maman et Cassandre sont au cinéma[1] lorsque Maman ressent les premières contractions. Elle envoie ma sœur chez Mamie Louise et fonce à l'hôpital. Vingt-huit semaines ça fait beaucoup trop court, même si une naissance avant terme était prévue en raison d'un fibrome squatteur. On lui administre aussitôt des médicaments destinés à stopper le travail. Las, rien n'y fait. L'équipe médicale décide de procéder dans l'urgence à une césarienne et la machine se met en branle jusqu'au badigeonnage du ventre de la parturiente, totalement groggy par les médicaments. C'est à ce moment qu'on se rend compte que je suis engagée sur la voie naturelle et qu'il faut abandonner le projet du scalpel.
Maman est donc enjointe à renoncer à son apathie et à poussez, madame ! mais enfin poussez ! ne vous endormez pas !. On lui annonce une souffrance fœtale, on la somme d'y mettre du sien « si vous voulez avoir une chance qu'il soit vivant ». L'adrénaline déclenchée par cet avertissement et les spatules réussiront à me faire mettre le nez dehors vers 20h30.
L'autre jour, tandis que xave et moi parlions de ma peur de la mort. Il disait que pour sa part l'avoir vue de si près lui faisait considérer la vie tout autrement depuis. Le fameux carpe diem : profite du jour présent parce que tu ne peux compter sur demain. Je lui rétorquai en riant en évoquant ma naissance que pour ma part je pense qu'on n'a qu'une seule deuxième (et donc seconde, les esthètes de la langue française apprécieront) chance et que j'avais déjà « dépensé » la mienne, trop tôt pour en tirer si riche enseignement. Comme il me demandait si c'était une blague ou si je le pensais réellement, je me suis rendue compte à ma propre grande stupéfaction que je ne plaisantais qu'à moitié.
Lorsque je suis née, je pesais royalement 2,120 kg, j'avais le cordon ombilical doublement entouré autour du cou, les voies respiratoires obstruées ; au bout de quatre minutes sans crier on me jugea morte. Une puéricultrice tenta toutefois une opération de la dernière chance tandis que vers la table d'accouchement on déclenchait le branle-bas de combat car ma mère faisait une hémorragie.
Voyez-vous, Jésus et moi avons un point commun. Tous les deux avons été donnés pour morts et avons réssuscité. Sauf que pour lui on n'a pas de preuve, tandis que pour moi, si.
Notes
[1] Je ne sais pas quel film elles étaient allées voir. En attendant que je le leur demande, on n'a qu'à dire que c'était Zazie dans le métro, sorti quelques jours auparavant, parce que ça me plairait bien !
Commentaires
T'es trop forte ! J'ai une larme émue au coin de l'oeil !
Tu es une survivante, je le savais déjà, mais ce billet me le confirme. Tu n'as aucune raison d'avoir peur de la mort puisque tu l'as déjà bravé !
Je t'embrasse,
François
il eût été dommage que tu ne ressuscitât point : En effet, quel thème aurait donc eu mon blog dans cette funeste hypothèse ?
Né de père non certifié : ça fait un deuxième point commun avec Jésus !
Merci pour toutes ces chroniques. C'était un plaisir de revenir chaque jour.
Quelle fin pour un début !
Je te bizoute très fort, ma soeur d'âge - ou presque - :)
Je rêve, ou je lis ressuscitation dans le carnet ?
Elle a ressuscitationné ! Allez Louïa !
Ka, tu sais que quand on est ressuscitationné, ça donne pas mal de droits ? On peut voler dans les airs, avoir des bottes de sept lieues, écrire les mots comme on veut, voire même en inventer...
Kozlika Tu étais en avance sur la date prévue ! On avait dit février 1961 ... ;-)
(Moi je suis arrivée à rester planquée in utero un peu après la date prévue, du coup ça fait un décalage)
Diable (si je puis dire), tu as bien raison tehu !
Samantdi, si j'étais née à terme ça aurait été dix semaines plus tard, donc vers le 20-25 janvier (ou un truc comme ça), flemme de compter et toi si tu n'étais pas née en retard ça aurait fait quelle date ? Si ça se trouve on serait vraiment jumelles et on s'appelerait toutes les deux Louïa (pas vrai Ka ?)
Hey, Shaggoo on ne te voit plus aux Paris-Carnet ? :(
Swâmi :_ tu parles de ce thème que je n'aime pas et sur lequel tout le monde se jette ? ;)
Il en faut pour tous les goûts :-}
Il ne reste donc plus qu'à fonder une religion, dont le symbole serait une chèvre ou un chou ?
Quand même, tu aurais pu faire un effort pour attendre un jour de plus :-) :-) ! (je veux dire pour naître le 14 au lieu du 13, car pour ce qui est de l'édition du billet, quelle coordination remarquable !!)
Dans la série naître en ce temps-là n'était pas sans risque, ma mère m'a un jour gentiment expliqué que pendant les 5 premiers jours d'un bébé que sa mère avait choisi ou subi de ne pas allaiter, on ne donnait rien de rien à manger pour éviter toute incompatibilité ou intolérance alimentaire. J'ai du mal à croire que c'était 5 jours entiers, mais aucun à penser que j'ai commencé ma vie par pleurer en vain.
Peut-être aussi (rejoignons Xave) que c'est pour ça que j'ai toujours cru mourir demain, d'aussi loin que je me souvienne. C'est très bien pour savoir profiter du bon de la vie, mais ça n'aide vraiment pas à tenir le coup en période sombre (pas moyen de se dire que ça s'arrangera avec le temps qui passe).
PS : tu nous diras quand on pourra à nouveau retrouver Anna (Moffo) comme thème (ou alors c'est ma nouvelle bécane qui me bizuthe) ?
Merci Anne pour ton témoignage, qui me rappelle mon histoire.
J'ai aussi été prématuré, et ma mère interdite de visite car contagieuse. Pendant mes deux premières années, j'ai aussi été surveillé de près, pour une raison que j'ignore.
De mes deux premières années de vie, je garde un souvenir de visite d'hôpital et probablement une séquelle mentale de n'avoir pas été au contact de ma mère avec 3 semaines.
Je me rend compte aussi que des deux accouchements qu'elle a eu - je suis le seul survivant - se sont passés dans des conditions difficiles (même en 1974) et me font ouvrir les yeux sur ses séquelles à elle.
Fin décembre 1960.
Tu es pas née le 25 quand même ?
Si ?
Hum, Somebaudy, tu n'es pas obligé de tout lire non plus hein, mais juste ce billet avant de le commenter, ça serait un bon préalable :-P
Luciole ne peut acceder à un ordinateur. Les maternitées ne sont pas encore très équipées en OuiFi ;-) Et puis elle a d'autres occupations...Mais je lui transmet vos billets, commentaires et pensées à chaque visite et elle en est très émue et heureuse...
Oué ben un post qui parle de naissance avec une date comme première phrase, avec une structure pareille va t'étonner que je sois enduit en horreur.
Mais bon comme je n'ai pas rédigé un post-surprise pour ton anniversaire le mois passé et que depuis je ne découvre pas du tout la puissance des mots "femme" et "charme" ensemble dans un titre de post, j'ai vraiment aucun moyen de savoir que tu es née en novembre...
Une fée... euh, pour de vrai ?!
(oh, sympa ce truc pour changer la taille de la case :) )
et tu multiplies les pains aussi ? tu devrais essayer ca doit être pratique en cuisine (et explique-le ensuite pour le food fainéasses blog)
mon carnet de santé aussi témoigne d'un truc rigolo : je pesais 3000kg à la naissance. ma mère va bien, merci pour elle !
Voilà un billet plein d'échos dans mon histoire personnelle, mais je ne me sens pas de m'étaler dans tes commentaires... On en discutera plutôt de vive voix la prochaine fois qu'on se verra !
Tu es douée pour la survie, oui, oui, c'est cela !
Je t'embrasse Anne.
Une scorpionne... évidemment !
Louise est née à 2h50 et non pas à 0h50, mais on s'en fou! Rire !
Merci pour la dédicace. Bisous !!!