Je ne vous dirai rien de l’histoire : si je vous la raconte, vous la trouverez affreusement plate et conventionnelle, scandaleusement imbibée de tous les poncifes coloniaux orientalistes, bref si vous y tenez vous pouvez toujours lire le synopsis (pas trouvé de lien) mais ça ne vous dira rien de la féérie créée par Léo Delibes, de l’envoûtement de la voix de Natalie Dessay,[1] magique, irréelle, immatérielle. Sachez seulement que ça se passe en Inde, que Lakmé, jeune prêtresse, est la fille du brahmane Nilakantha. Evidemment elle tombe amoureuse d’un jeune militaire anglais, évidemment le jeune homme est sous le charme, évidemment le père (Van Dam, presque aussi parfait que Baquier dans la version avec Joan Sutherland, rhâââ «Lakmé, ton doux regard se voile») se fâche, évidemment l’amoureux finira par choisir sa carrière (ou son devoir, vous direz ce que vous voudrez) aux dépens de Cupidon. Evidemment ça finit mal, très mal, et Lakmé croquera la fleur mortelle du datura et mourra dans les bras de son amant sous le regard de son père.

Le livret n’a pas l’intelligence de ceux qu’Hoffmannsthal écrivit pour Strauss ni le lyrisme d’une Traviata, la grandiloquence[2] d’un opéra de Wagner, la violence tragique d’une Lucia di Lammermoor. On ne peut savourer Lakmé qu’en retrouvant en nous la part d’enfance qui nous fit aimer les contes de fées, les princesses évanescentes et les princes charmants. Vieux briscards endurcis par les brises, passez votre chemin.[3]

Vous connaissez probablement au moins l’un des deux plus célèbres airs de cette œuvre : le «Duo des fleurs» et «L’air des clochettes» (je les mets dans le juke-box dès que possible). «L’air des clochettes», sorte de performance acrobatique vocale, figure dans à peu près toutes les discographies des sopranos légers coloratures[4] et moins légers. La Callas elle-même s’y est collée, expérience peu concluante à mon goût.

La force de Natalie Dessay, c’est d’allier à une voix aérienne et planante des dons d’actrice réels, de faire passer (dans cet air par exemple) autre chose qu’une rossignolade pour poupée chantante virtuose. Lakmé est contrainte par son père à chanter cette incantation pour forcer l’amoureux à se trahir : aimer une prêtresse est un sacrilège qui mérite la mort. Tristesse et peur.

Lakmé-Dessay

Mais d’autres aussi ont su donner une dimension réelle au personnage. Je pense par exemple à Joan Sutherland – et c’est là tout l’intérêt des versions différentes d'un même opéra, comme d'assister à plusieurs mises en scènes/interprétations d'une pièce de théâtre. La Lakmé de Dame Joan est une jeune fille avant d'être une prêtresse, dont le premier amour révèle la sensualité, elle est charnelle, à l'inverse de celle de Dessay où la magie - la féérie - naît justement de la désincarnation. Bon, flûte, j'arrive pas à expliquer, c'est énervant.

Michel Plasson, chef d'orchestre que je n'apprécie que modérément habituellement (je le trouve un peu trop mou-guimauve), à la tête de son orchestre du Capitole, rend très bien l'ambiance un peu surranée de cette Inde d'Epinal de la fin du XIXe siècle (Lakmé a été créé en 1883), les partenaires de Dessay sont tous au moins convaincants sinon superlatifs - petite réserve cependant pour Patricia Petibon qui incarne une Ellen trop naïve à mon sens.

Bref, tout est parfait, et je barbote dans la félicité totale, ma boîte de mouchoirs en papier est à portée de main et c'est heureux car voilà la dernière partie qui s'annonce... «Tu m'as donné le plus doux rêve...».[5]

Au fait, je ne sais plus si je vous ai dit : vous savez que Natalie Dessay est merveilleuse ?

Notes

[1] Comment ? Rien sur ma Natalie dans Wikipédia ? Quelle honte !

[2] J’essaie de trouver un terme non péjoratif, mais c’est dur ;-)

[3] Encore que j’en connais un qui s’y est laissé prendre... (bouteille à la mer) Jymmi, où es-tu? Tu me manques!(/bouteille à la mer).

[4] «Soprano léger» est le registre le plus aigu de la voix ; «colorature» , souvent utilisé pour désigner la-plus-aiguë-des-plus-aiguës, n’indique en fait que la capacité à moduler le son (vocaliser). Stricto sensu, on peut être basse colorature.

[5] Si quelqu'un sait découper des plages MP3 avec un Mac, je veux bien qu'on m'explique, je voudrais vous faire écouter cet air mais il est au milieu d'une piste.