Tante Célestine s'était mariée dans une belle robe blanche qu'elle avait cousue avec sa mère six ans auparavant, juste avant que celle-ci ne disparaisse et que Célestine héritât de ses deux petits frères à élever et de la maison de son père à tenir.

Elle avait apporté un soin tout particulier aux manches, qu'elle souhaitait en dentelle depuis le coude et s'évasant sur le poignet. Elle avait passé des heures à en soigner le tomber grâcieux tandis que sa mère bâtissait à grands points l'ajustement de la jupe au corsage. Célestine avait dix-neuf ans à l'époque et pas de fiancé, mais comme disait sa mère «quand le jour viendra, tout sera prêt». Les petits frères avaient grandi, quitté le foyer, et elle avait enfin rencontré le gentil Gabriel, le fils d'amis de son père ; il n'avait pas tenu compte de son âge avancé et lui avait proposé le mariage juste à temps pour lui éviter de coiffer la Sainte-Catherine.

Du mariage lui-même, elle ne gardait que peu de souvenirs : elle avait reçu beaucoup de compliments sur sa robe, sa jolie robe aux belles manches ; son fiancé était doux et gentil, il portait bien l'habit. Un peu gauche, peut-être. Ses collègues des Chemins de Fer étaient venus ; ils riaient un peu fort, chantaient plus fort encore, mais dans l'ensemble ils s'étaient mieux conduits que Célestine ne l'avait craint. Quelques plaisanteries un peu osées avaient salué leur départ aussitôt après que la pièce montée - un cadeau du cousin pâtissier - avait été découpée.

Ce dont elle se souvenait parfaitement en revanche, c'est que c'est ce soir-là qu'elle avait su qu'elle n'était pas comme les autres femmes, qu'elle avait un os supplémentaire. Oui hélas, c'est ce qu'ils avaient découvert son nouveau mari et elle pendant la nuit de noces : Célestine avait un os en travers de "ça". Gabriel s'était présenté à l'entrée de son entrejambe et puis là... impossible d'aller plus loin. Il y avait cet os. Un sacré malheur.

Il avait été gentil Gabriel, il avait enfilé un caleçon sous sa chemise de nuit et s'était recouché sans manifester le moindre reproche à son égard. Il s'était recouché auprès d'elle, de son propre côté du lit, et ne l'avait plus jamais touchée que pour lui tapoter avec affection la main de temps en temps ou lui presser tendrement l'épaule.

De ce jour, Gabriel et Célestine vécurent en parfaite harmonie. Ils étaient parfois un peu tristes en pensant qu'ils ne pourraient jamais avoir d'enfants mais on ne peut pas s'opposer au destin. Ils n'allèrent jamais non plus consulter un médecin : qu'aurait-il pu faire de plus ? Aucun médicament ne dissout les os, pas vrai ?

(A suivre dans le deuxième épisode)