... qu'on a pour évoquer les perversions de peuplades étranges, le même ton en fait que celui qui sera employé pour me demander cet après-midi ce que sont ces « Paris-Carnet »...

Une chouquetterie, c'est le rendez-vous parisien mensuel des toqués lyriques, folles opératiques et amoureux des castafiores qui se fréquentent virtuellement via l'un ou l'autre des forums où l'on en cause. Les chouquetteries ne se déroulent pas dans un bistrot ou un restaurant ni aucun autre lieu public. Non, pour pratiquer nos rites nous avons besoin d'intimité car ce que nous y faisons pourrait choquer un public non averti, spécialement les jeunes. Ceux qui par inconséquence de leur mère (Catherine, la prêtresse du temple) se sont trouvés parmi nous pendant l'office en ont beaucoup souffert, leurs témoignages sont poignants.

Je ne pourrai tout vous raconter car bien sûr tout ne peut être révélé aux béotiens, mais sachez que chaque coréligionnaire doit venir avec, d'une part, des chouquettes ou autres choses douces au palais, et, d'autre part, une pile d'objets du culte, que nous nommons CD ou DVD selon que l'effet qu'ils produisent se porte sur les oreilles seulement ou sur les yeux et les oreilles tout à la fois. La boisson recommandée - quoique non obligatoire - est le cidre, la tenue conseillée est sans chichis, du moment qu'on a les oreilles bien propres.

Les chouquetteries se déroulent dans un brouhaha total, c'est la condition sine qua non pour le bon déroulement du rituel. L'un d'entre nous pose un CD sur la platine ou un DVD dans le lecteur, appuie sur le bouton « Marche » et à ce moment précis où la musique commence il est impératif que les conversations aillent bon train, couvrent autant que faire se peut les décibels qui sortent des hauts parleurs. Pourquoi ? parce qu'on reconnaît que la communion est totale lorsque, au beau milieu de ce charivari, toutes les conversations se taisent d'un coup et qu'un silence que je ne peux qualifier autrement que religieux se fasse au moment précis où LA difficulté de l'extrait se fait entendre. Un doigt se lève (bien souvent celui de Monsieur X., mais notez bien que les fidèles n'en avaient nul besoin), les respirations s'arrêtent brusquement pendant ces quelques secondes bénies entre toutes d'un contre-fa prodigieux, d'un ut miraculeux ou d'un mélisme ravageur. A l'issue duquel un râle de satisfaction sort des lèvres de l'assemblée, un seul souffle, harmonieux, libérateur - osmose, recueillement. Et les conversations reprennent au train où l'on les avait laissées...

Je vous raconterai demain les piliers de notre congrégation, Monsieur X., Dame Catherine, Son Excellence JdeB et bien d'autres, mais il faut pour l'heure que je réfléchisse à ma sélection de ces quelques poignées de secondes que je porterai tantôt sur l'autel.