Et je dois avouer qu'au moins deux facteurs non musicaux ont tenu une bonne part dans la réussite de ma soirée : le plaisir sans chichis du Péruvien de nous régaler de son chant ainsi qu'en témoignait son sourire rayonnant, et le bonheur au moins égal qu'avait à l'entendre mon compère de la soirée, Monsieur X. en personne.

Plutôt joli garçon non ?

L'atout majeur de Flórez c'est d'allier de magnifiques aigus à un très beau timbre. Généralement c'est l'un ou l'autre, très rarement les deux. C'est considérable.[1]

Ensuite, il nous a offert un programme généreux au regard de ce type de concert. Des airs connus et d'autres moins connus (dont l'éclatant « Allegro io son » qui enrichira le juke-box dès demain ou après-demain), des quadruples boucles piquées-triple salto arrière sans les mains comme le rare « Cessa di piu resistere » de Rossini et le déca-lancer de javelot que constitue « Pour mon âme », extrait de La Fille du régiment de Donizetti.

Il nous a donné tout ça et aussi le tendre extrait des Capulets de Bellini et un « Una furtiva lagrima » certes moins craquant à mon goût que ceux de notre Roberto Alagna national, tout trognon, ou de Marcelo Álvarez, archi-fondant, mais tout de même bien agréable à entendre.

Le seul truc qui aurait pu gâcher mon plaisir c'est l'orchestre. Je vais prendre des tas de précautions oratoires et répéter une fois encore que je n'ai aucune compétence musicale, ajouter que j'étais peut-être mal placée dans la salle (puisque Monsieur X et Placido Carrerotti[2] partageaient mon avis), admettre que je n'y connais rien de rien. Ah et puis j'ajoute aussi - et je le pense vraiment - que je connais trop mal cet orchestre pour me prononcer sur ce qu'il vaut en général. Mais là, en ce soir du 20 octobre 2004 au Théâtre des Champs-Elysées, ça ne m'a pas plu, voilà. Les vents notamment, hormis la flûte et la clarinette, ont produit un nombre de couacs, y compris dans les solos, absolument ahurissant. Mais j'ai peut-être mal entendu.

Ils ne m'ont pas gâché mon plaisir car la voix du jeune ténor et cette façon qu'il a de chanter-donner sont enthousiasmants. Et ne comptez pas sur moi pour développer ce concept, j'en suis incapable. Il ne chante pas pour nous épater mais pour qu'on se régale avec lui. Et il se réjouit bien plus qu'il ne s'ennorgueuillit de nous cloquer un contre-machin, vous voyez le truc ?

De toute façon, si j'avais été tentée pour une raison ou pour une autre de n'écouter que d'une oreille distraite et - partant - risqué de perdre les mesures les plus marquantes de la partition, si j'avais été tentée de fermer un œil et puis l'autre en dodelinant de la tête puis m'assoupissant dans la béatitude que confère une voix de velours dans une salle surchauffée (au sens propre, ça doit être pour que les dames puissent porter le décolleté), bref si mon attention avait eu quelque propension à se relâcher, la présence de Monsieur X. à mon côté m'en aurait dissuadée derechef.

Car Monsieur X. n'assiste pas à un récital : il le vit.

Monsieur X. connaît les airs qu'il entend sur le bout des oreilles, il anticipe, il suspend sa respiration et comme il n'est pas égoïste il vérifie que vous avez bien les sens en alerte, que vous n'allez pas rater LE saut périlleux arrière qui s'annonce. Et Monsieur X. il est à la noce parce que Juan Diego les chante exactement comme il rêve qu'on les chante. Et il fait toutes les reprises et les cabalettes, si si.

Avant chaque passage pour lequel Monsieur X. pressent qu'il va défaillir, il empoigne la rambarde qui se trouve devant lui et tout son corps se tend, se tend. Et puis quand c'est fait, que l'artiste a rattrappé son trapèze, il pousse un soupir, mais un soupir que je ne pourrais vraiment pas vous décrire sans tomber dans la pornographie. Monsieur X. prend son pied.

Alors vous voyez, quand Monsieur X. m'annonce à la fin de « Pour mon âme » et de ses neuf contre-uts que c'était tellement super extraordinaire, que c'était un tel bonheur qu'il s'est donné une crampe au mollet... Quand Monsieur X. me dit ça, je me dis qu'il me prend vraiment pour une oie blanche !

Notes

[1] S'il n'arrivait pas parfois à certains chouquetteurs de s'égarer par ici je vous dirais que les aigus de Rockwell Blake me laissent de marbre tant son timbre est laid. Mais mes enfants ont encore besoin de moi quelques années, je compte donc sur votre discrétion.

[2] Pas mal comme pseudo n'est-ce pas ?