D’abord, merci à tous les auditeurs qui ont réagi à la chronique de vendredi pour les informations précieuses qu’ils m’ont envoyées... et qui m’ont aidé à composer cette chronique-ci et celle de demain.

Vendredi, je vous ai parlé des logiciels libres, ces programmes informatiques qui, mis au point par une poignée d’informaticiens, sont ensuite copiés, corrigés, mis à jour et redistribués librement par ceux qui les utilisent, contrairement aux logiciels propriétaires, dont la copie et la reproduction sont interdites.

Les logiciels libres leur font, bien entendu, de la concurrence, mais ils font aussi obstacle au monopole de fait de certains fabriquants. Les logiciels libres sont donc aussi importants pour les libertés que la coexistence dans un même pays de radios de service public, de radios privées commerciales et de radios associatives à but non lucratif.

Une collectivité locale, une association, une école ou un hôpital qui utilisent des logiciels libres dans leur parc informatique peuvent mettre à jour et entretenir leurs logiciels seuls avec des informaticiens maison. Or, administrations et hôpitaux en particulier sont des marchés très juteux pour les fabriquants de logiciels propriétaires...

L’une des armes (ce n’est pas la seule) qu’emploient les multinationales de l’informatique pour lutter contre les logiciels libres est de permettre la brevetabilité des logiciels.

Qu’est-ce qu’un brevet ? C’est un titre officiel qui confère les droits exclusifs d’exploitation d’une invention à celui qui s’en déclare l’auteur. À l’origine, on ne pouvait déposer des brevets que pour des inventions matérielles, afin que leurs inventeurs ne soient pas spoliés.

Le dépôt de brevets sur les logiciels est autorisé aux États-Unis et au Japon, mais interdit en Europe. Mais la Direction Générale du Marché Intérieur de la Commission Européenne, très influencée par les entreprises américaines, souhaite étendre le régime des brevets aux logiciels et surtout à leurs algorithmes, c’est à dire aux lignes de programmes qu’ils contiennent.

Ce qui voudrait dire en clair que si quelqu’un dépose un brevet pour l’algorithme permettant d’afficher la lettre « A » sur un écran, il sera en droit de demander des droits à tous les constructeurs dont un logiciel affichera la lettre A ou de faire un procès à ceux qui l’utiliseront sans son autorisation. Evidemment, les fabriquants de logiciels propriétaires trouveront sûrement un terrain d’entente, mais les logiciels libres risqueraient fort de pâtir de ces brevets.

Breveter les logiciels, c’est aussi choquant que breveter les idées. Et on n’en est pas loin : aujourd’hui, des firmes déposent des brevets sur tout, y compris par exemple sur les gènes : ainsi, un test visant à détecter le cancer du sein ne pourra plus être effectué en Colombie-Britannique parce qu’il fait appel à un gène dont le brevet a été déposé par une compagnie américaine.

Et vous imaginez quelqu’un brevetant « Longtemps, je me suis couché de bonne heure ? » et demandant des droits à tous ceux qui citeraient la première phrase d’ À la recherche du temps perdu ? Les idées, le savoir, l’information appartiennent à tout le monde, et il faut rappeler que la majorité des logiciels qui permettent à l’internet de fonctionner sont des logiciels libres. Interdire leur utilisation, ce serait interdire à cet outil de communication extraordinaire de continuer à exister. Ou ce serait le rendre illégal.

Le logiciel libre est si important pour le développement des nouvelles technologies dans les pays en développement que l’UNESCO envisage très sérieusement de les inscrire au patrimoine mondial de l’humanité. Bien entendu, vous pouvez en apprendre plus sur le sujet en vous rendant sur la page d’Odyssée. Demain, je vous parlerai de la sécurité informatique. Martin Winckler, Odyssées sur France-Inter, chronique du 2 mars 2003.

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