Et c'est quoi encore cette histoire de brevets logiciels dont les blogueurs nous rebattent les oreilles ?
Par Kozlika le jeudi 10 mars 2005, 17:54 - Lien permanent
On en parle aux quatre coins de la blogosphère, le Parlement a dit oui aux brevets logiciels. Euh... C'est quoi cette affaire ? Pourquoi agite-t-elle ainsi tout le monde ? J'ai trouvé, via Framasoft, la chronique de Martin Winckler sur France-Inter (2 mars 2003). Je la reproduis dans la suite de ce billet et vous invite à la lire, elle est très éclairante. Nous sommes tous concernés.
Au fait, vous vous souvenez de du Petit Prince ?
« – Comment peut-on posséder les étoiles ?
– A qui sont-elles ? riposta, grincheux, le businessman.
– Je ne sais pas. A personne.
– Alors elles sont à moi, car j'y ai pensé le premier.
– Ca suffit ?
– Bien sûr. Quand tu trouves un diamant qui n'est à personne, il est à toi. Quand tu trouves une île qui n'est à personne, elle est à toi. Quand tu as une idée le premier, tu la fais breveter : elle est à toi. Et moi je possède les étoiles, puisque jamais personne avant moi n'a songé à les posséder. »
Merci Hémiole !
D’abord, merci à tous les auditeurs qui ont réagi à la chronique de vendredi pour les informations précieuses qu’ils m’ont envoyées... et qui m’ont aidé à composer cette chronique-ci et celle de demain.
Vendredi, je vous ai parlé des logiciels libres, ces programmes informatiques qui, mis au point par une poignée d’informaticiens, sont ensuite copiés, corrigés, mis à jour et redistribués librement par ceux qui les utilisent, contrairement aux logiciels propriétaires, dont la copie et la reproduction sont interdites.
Les logiciels libres leur font, bien entendu, de la concurrence, mais ils font aussi obstacle au monopole de fait de certains fabriquants. Les logiciels libres sont donc aussi importants pour les libertés que la coexistence dans un même pays de radios de service public, de radios privées commerciales et de radios associatives à but non lucratif.
Une collectivité locale, une association, une école ou un hôpital qui utilisent des logiciels libres dans leur parc informatique peuvent mettre à jour et entretenir leurs logiciels seuls avec des informaticiens maison. Or, administrations et hôpitaux en particulier sont des marchés très juteux pour les fabriquants de logiciels propriétaires...
L’une des armes (ce n’est pas la seule) qu’emploient les multinationales de l’informatique pour lutter contre les logiciels libres est de permettre la brevetabilité des logiciels.
Qu’est-ce qu’un brevet ? C’est un titre officiel qui confère les droits exclusifs d’exploitation d’une invention à celui qui s’en déclare l’auteur. À l’origine, on ne pouvait déposer des brevets que pour des inventions matérielles, afin que leurs inventeurs ne soient pas spoliés.
Le dépôt de brevets sur les logiciels est autorisé aux États-Unis et au Japon, mais interdit en Europe. Mais la Direction Générale du Marché Intérieur de la Commission Européenne, très influencée par les entreprises américaines, souhaite étendre le régime des brevets aux logiciels et surtout à leurs algorithmes, c’est à dire aux lignes de programmes qu’ils contiennent.
Ce qui voudrait dire en clair que si quelqu’un dépose un brevet pour l’algorithme permettant d’afficher la lettre « A » sur un écran, il sera en droit de demander des droits à tous les constructeurs dont un logiciel affichera la lettre A ou de faire un procès à ceux qui l’utiliseront sans son autorisation. Evidemment, les fabriquants de logiciels propriétaires trouveront sûrement un terrain d’entente, mais les logiciels libres risqueraient fort de pâtir de ces brevets.
Breveter les logiciels, c’est aussi choquant que breveter les idées. Et on n’en est pas loin : aujourd’hui, des firmes déposent des brevets sur tout, y compris par exemple sur les gènes : ainsi, un test visant à détecter le cancer du sein ne pourra plus être effectué en Colombie-Britannique parce qu’il fait appel à un gène dont le brevet a été déposé par une compagnie américaine.
Et vous imaginez quelqu’un brevetant « Longtemps, je me suis couché de bonne heure ? » et demandant des droits à tous ceux qui citeraient la première phrase d’ À la recherche du temps perdu ? Les idées, le savoir, l’information appartiennent à tout le monde, et il faut rappeler que la majorité des logiciels qui permettent à l’internet de fonctionner sont des logiciels libres. Interdire leur utilisation, ce serait interdire à cet outil de communication extraordinaire de continuer à exister. Ou ce serait le rendre illégal.
Le logiciel libre est si important pour le développement des nouvelles technologies dans les pays en développement que l’UNESCO envisage très sérieusement de les inscrire au patrimoine mondial de l’humanité. Bien entendu, vous pouvez en apprendre plus sur le sujet en vous rendant sur la page d’Odyssée. Demain, je vous parlerai de la sécurité informatique. Martin Winckler, Odyssées sur France-Inter, chronique du 2 mars 2003.
Lire aussi :
- L'ignorance est un bienfait, le billet de Tristant Nitot, qui élargit le débat, vivement contesté par Cyril Fiévet. (M'en fous moi c'est Tristan que j'aime !) Lire aussi chez lui, si vous voulez en savoir plus son résumé des épisodes précédents
- Limiter sa perception du pouvoir des blogs, revue de blogs de Talou sur le sujet. (Merci Talou, j'étais un peu perdue dans la marée d'informations.)
- Vive l'Europe, une lettre que Xave se (et nous) propose d'envoyer à nos dirigeants. (Toujours il nous montrera le chemin vers la lumière...)
Commentaires
Boah, la lettre est de moi, mais pas l'idée. Et comme il n'y avait pas de brevet sur cette idée, je m'en suis resservi.
Je trouve le fond de cette chronique un peu réducteur : les logiciels libres ne seront pas les seules victimes des brevets. Les brevets condamnent également un pan de l'économie européenne : l'industrie logicielle. Je ne parle pas seulement des petits ou moyens éditeurs de logiciels, mais également des sociétés de services et développeurs indépendants.
Quant à Cyril Fiévet, je regrette qu'il fasse autant d'amalgames qu'il souhaite en dénoncer. L'entendre parler de concept d'entreprise et de rentabilité dans un tel billet est une aberration. Et si ce n'est pas par maladresse, cela relève alors de la stupidité.
Houla, la machine à claques fonctionne à plein régime ! Mais je me risquerai quand même à dire que la déprime du camarade Nitot ne suffit pas à faire un raisonnement... Ayant dû lire tout le dossier pour des raisons professionnelles, il me semble que la position de Rocard (que personne ne cite ici ! Ni ches Nitot, ni chez Fievet!) est plutot pragmatique. Fuck la Commission, le dossier reviendra devant nous, Parlement ; et notre critère sera : si ça coute, les entreprises doivent avoir la possibilité d'amortir leurs dépenses. Si ça crée des rentes, on les envoie ballader : voilà un critère simple et efficace pour la légitimité des brevets.
Mais dépassant de plusieurs décennies les contributeurs de cet honorable blog, puis-je me permettre de rappeler que pour faire aboutir des demandes, ya que le rapport de force, camarades, qui s'est avéré en plusieurs occasions plus efficace que la déprime.
(dans le respect des règles démocratiques, fallait-il l'ajouter ?)