La petite était parvenue à un niveau d'études qui ne permettait plus à Célestine de contrôler l'exactitude de ses devoirs mais elle veillait néanmoins à ce que les cahiers soient scrupuleusement tenus, les livres maintenus en leur état neuf et le cartable rangé avec soin et ciré régulièrement. De temps en temps elle le vidait pour s'assurer qu'aucune tâche d'encre n'en maculait les parois intérieures et en inspecter le contenu.

Elle ronchonnait parfois d'y trouver des objets n'y ayant pas leur place : des feuilles volantes avec quelques vers ou de petits dessins, un emballage de confiserie... Or, en ce jeudi, vidant le contenu du cartable sur la table, elle trouva quelques photos. Et celle qui se trouvait sur le dessus, celle-là lui fit lâcher la pile avec consternation.

Un homme nu.

Geneviève, onze ans à peine, promenait dans son cartable des photos pornographiques. On croit bien connaître un enfant, s'être assurée qu'il respecte les règles de politesse et de bienséance, qu'il soit propre et soigneux, l'envoyer au cathéchisme, un beau jour on ouvre un cartable et l'on trouve des photos d'hommes nus.

« Geneviève !

– Oui Ma Tante, j'arrive.

– Que font ces... photos (geste de la main vers le tas éparpillé sur la table) dans ton cartable ?

– Oh ! Oui, pardon, j'aurais dû les ranger dans ma chambre. C'est Papa qui me les a données dimanche.

– Ton père ! Jeune fille, tu essaies de me faire croire que ton père aurait pu te donner des photos pareilles ! Au dévergondage tu ajoutes le mensonge ! Est-ce ainsi que je t'ai élevée ?

– Mais Ma Tante, je t'assure...

– Plus un mot. Tu me déçois beaucoup, Geneviève. Tu me déçois beaucoup. »

Célestine se saisit des photos avec quelque dégoût et les jeta dans un tiroir du vaisselier sans plus commenter sa déconvenue. Le silence réprobateur pesa dans l'appartement jusqu'au week-end suivant, que Geneviève accueillit avec soulagement. Lorsque son père vint la chercher le samedi matin, Célestine plongea la main dans le tiroir et jeta les objets du délit sur la table :

« Regarde ce que j'ai trouvé dans son cartable jeudi ! Et elle ose prétendre que c'est toi qui les lui a données. Je ne voulais pas décider de la punition qu'elle mérite avant de t'en avoir parlé. »

Adrien se pencha sur la preuve en fronçant le sourcil et se redressa, jetant un regard inquiet à sa fille. Et ce regard disait : « Attention à la foudre ! »

Car c'est sur lui qu'elle allait retomber ; tout dans l'attitude impérieuse de sa sœur et ses efforts manifestes pour ne pas exploser laissait présager que sa réponse ne serait pas conforme à celle qu'elle attendait.

« Elle t'a dit la vérité ! Ce sont les photos que nous lui avons achetées dimanche dernier Justin et moi quand nous l'avons emmenée au Louvre pour lui faire un souvenir de l'exposition. Des reproductions. »

Célestine se pencha à son tour brièvement sur l'image incriminée. Et constata qu'en effet c'était une photo de sculpture qu'elle avait sous les yeux et que la légende attestait de sa provenance. Elle ne vit pas là raison de se calmer :

« Reproduction ou pas, c'est un homme nu, Adrien ! Où aviez-vous donc la tête ton beau-frère et toi ? On n'emmène pas une enfant de cet âge voir de telles choses ! Elle est beaucoup trop jeune !

– Ce sont juste des sculptures, Célestine... »

Il y avait dans la voix de son père quelque chose qui rappella à Geneviève que son père avait été élevé en grande partie par sa grande sœur. Papa était piteux, Papa ne savait pas comment s'en sortir. Ah si !

« Enfin tu sais, j'avais bien dit à Justin que ce n'était pas raisonnable mais il a beaucoup insisté ! Et c'est lui qui a eu l'idée d'acheter ces cartes à Geneviève. Tu as raison. Confisquons-les. » Et d'un geste preste, Adrien enfourne les cartes dans sa poche. Un claquement de langue de Célestine et un toussotement discret de l'oncle Gabriel signifièrent l'incident. On n'en reparla plus.

Geneviève ne retourna au musée du Louvre que bien des années plus tard. Au premier planton qu'elle avisa, elle demanda : « Pardon monsieur, où se trouve Le Discobole s'il vous plaît ?

le discobole