Nous dirons donc que mon test s'est fait en double aveugle : sans reconnaître ni le visage ni la voix. Eh bien vous savez quoi ? Ce type est extraordinaire ! Je sais aussi pourquoi je ne l'ai pas reconnu vocalement. Il a habituellement un vibrato[1] parfois très gênant, en tout cas il m'avait dérangée dans La Damnation de Faust, même si j'avais été impressionnée par sa puissance et sa justesse. Et aujourd'hui, je ne sais pas s'il était dans une forme olympique ou si c'est la partition qui « libérait » moins ledit vibrato, je n'en ai pas la moindre idée, mais en tout cas il était ébouriffant. D'autant que le monsieur, la soixantaine finissante, est également un très bon comédien et qu'il est un habitué du rôle[2]. Sa scène de la folie et sa mort sont toutes deux à vous coller le frisson.

Je tiens également à préciser pour ma défense que s'ils avaient montré Ramey torse nu, là je l'aurais reconnu ! D'habitude les metteurs en scène se débrouillent toujours pour le mettre à moitié à poil à un moment où à un autre (sur la photo c'est dans Mephistophele mais ça marche aussi avec Attila ou La Damnation...), le jeu consistant alors pour les afficionados à deviner quelle scène va bien pouvoir servir de prétexte pour le strip-tease.

La mise en scène de Francesca Zambello constitue d'ailleurs une bonne surprise, même avec Ramey tout habillé. La dame a la fâcheuse tendance de choisir ses couleurs de décors et costumes comme si ça n'était que pour les photos qu'on prendrait ensuite. Des photos en camaïeux et toile de Jouy de préférence. En découla par exemple dans La Guerre et la Paix de splendides drapeaux français nuit-jaune-bordeaux délavé façon années soixante-dix... Eh bien là, c'était plutôt réussi et elle a même réussi à nous éviter les toboggans (elle aime bien relever une partie de la scène), au profit d'un immense escalier il est vrai, mais qui là se justifie à peu près. La direction d'acteurs en revanche reste désespérément absente. Ramey s'en sort très bien, mais ça n'était pas le cas pour tout le monde.

Je ne peux pas dire que j'étais emballée par la direction d'orchestre. La musique oui, je ne connaissais aucune œuvre de Moussorgsky, il m'a séduite. Mais je trouvais que ça manquait de relief et il me semble que c'était dû à la direction et non à la partition. D'autant que l'opéra russe ne semblant créer aucun engouement démesuré chez les Parisiens, nous avons pu nous rapprocher au quinzième rang du parterre, je ne peux donc mettre en cause l'étouffement du son sous le premier balcon (ma « place habituelle »).

De très beaux moments avec les chœurs, en très gros effectif comme c'est je crois souvent le cas dans les opéras russes. C'est dommage que leurs attaques soient si brouillonnes, du coup il faut bien deux ou trois mesures avant qu'ils soient tous calés ensemble. Et comme je ne pense pas avoir une oreille particulièrement affûtée, c'est que ça ne devait vraiment pas être au point. Ou qu'ils étaient dans un mauvais jour.

Il y a plusieurs très beaux passages musicaux que je retiendrai : un duo entre les deux conspirateurs, la mort de Boris, avec le chœur au loin derrière la scène, presque en sourdine et la voix de Ramey qui domine, l'air de l'Innocent... Et puis d'autres qui me reviendront au fil des jours prochains. Il me faudra un moment avant de séparer les images et le son, les couleurs et les instruments. C'est toujours comme ça pour les opéras que je découvre à la scène sans les avoir jamais entendus.

Vous en voulez encore ?

Notes

[1] Quand le son vibre, disons pour caricaturer, quand ça bêle ;-)

[2] Oui, je sais, je m'enfonce...