– Mais il n'a jamais été question de lettre d'amour, elle viendra plus tard, pour l'instant c'est un projet de contrat de mariage, rien d'autre. Si tu dis oui, il va bosser dessus, en écrire une vraie.

– Eh bien ça n'est pas l'idée que je me fais de ce qu'aurait dû être sa lettre, voilà. On ne commence pas une relation comme ça. Et puis justement, le contenu me dérange, je n'aime pas la façon dont il voit les femmes.

– Comment peux-tu dire une chose pareille ? D'abord, il te l'a répété souvent : « J'aime les femmes. », et...

– ... Ah ça pour sûr, il aime les femmes. Et moi j'aime les poissons. Avec du citron.

– Oh la la, tu es vraiment déprimée toi, tu te mets à citer du Brel.

– Je ne suis pas déprimée, mais tout cela me met d'une humeur de chien, et ce n'est pas du Brel mais du Bobby Lapointe. Si tu veux du Brel, disons alors que :

Si c'était vrai tout cela
Je dirais oui
Oh, sûrement je dirais oui
Parce que c'est tellement beau tout cela
Quand on croit que c'est vrai.

– Mais enfin, tu voudrais quoi ? Qu'il te promette des lendemains qui chantent sous les cocotiers ? Tu nous fais le syndrome Anna Karenine ? Vronsky n'en fait pas assez ? Enfin voyons, tu n'as plus quinze ans, tu sais bien que l'homme idéal n'existe pas, il faut faire avec ce qu'on te propose et franchement il y a des hommes bien pires que lui.

– Et de mieux, j'en suis sûre, qui ne penseraient pas qu'il suffit de prétendre vouloir faire mon bonheur (mais en en faisant un truc si quelconque !) pour que je morde à l'hameçon. Je n'aime pas ce type, te dis-je, je le trouve cauteleux. Par exemple il annonce au début de sa lettre des océans de tendresse, mais à l'intérieur, rien, c'est froid, vide et matérialiste.

– C'est bien ce que je dis, tu n'as pas dépassé l'adolescence, tu as la tête farcie d'idéaux stupides. Il n'y a qu'à voir ton béret et ton boa vert pomme pour comprendre que tu es une illuminée. Regarde, même ta fille te conseille de lui dire oui.

– Oui, mais ma fille s'est fait embobiner par un conseiller conjugal pendant deux heures au dernier Paris-Carnet. Et il a du bagout le gars. Alors forcément... Et puis attends, ma copine Lola est là et elle est d'accord avec moi, dans trois jours Fifille aura changé d'avis.

– Tu as conscience qu'en disant non tu risques de rester célibataire ?

– Tu as conscience qu'en disant oui je m'interdis de croire en un véritable amour ?

* * * * *

Le 29 mai, je voterai non au référendum.

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Note : ce texte constitue ma participation au jeu Dis-moi dix mots.