Suite et fin de la présentation de Mignon commencée hier offerte par Monsieur X.

Un embryon d’analyse

Comme l’essentiel des opéras français du XIXe siècle, Mignon est construit sur un contraste entre des parties brillantes et légères, d’inspiration bel cantiste italienne, et des parties plus sentimentales, en l’occurrence, fondées sur une déclamation syllabique et une construction harmonique d’influence germanique. A ces deux styles correspondent les deux personnages féminins, respectivement Philine et Mignon.

On retrouve cette dichotomie dans les principaux ouvrages antérieurs, comme Les Huguenots (Marguerite vs. Valentine) ou La Juive (Eudoxie vs. Rachel). Mais comme nous sommes à l’Opéra-Comique, l’héroïne « sérieuse » n’est pas un personnage tragique. Bien que son histoire soit digne d’un drame, Mignon est surtout, comme on l’a dit, un personnage sentimental : sa musique est toute en ligne et en phrasé. On est loin du format de falcon avec ses sauts d’octave et son impact dramatique fort tel que le grand opéra l’a illustré.

Au milieu de ces deux pôles évolue le personnage de Meister qui, tel Raoul des Huguenots, change de style en fonction de la femme à qui il s’adresse. Bien sûr, au final, c’est la véritable héroïne, Mignon, qu’il choisira, tant dans l’intrigue que musicalement.

L’originalité de Thomas est d’avoir cependant réussi à fondre cet antagonisme en créant un ton paradoxalement homogène. Ce succès est dû en grande partie à une invention mélodique foisonnante, certes inscrite dans des numéros traditionnels (airs à couplets, rondo, polonaise, styrienne, valse) mais qui, telle une Carmen pastel, fait de Mignon une succession de tubes.

C’est cette veine mélodique qui a assuré à cette œuvre près de cent ans de succès ininterrompu. Mignon, à l’égal de Carmen ou Manon, a en effet été un véritable pilier du répertoire de l’Opéra-Comique (et au-delà : Mignon a été donné régulièrement au Metropolitan Opera de New York jusqu’à la fin des années 40).

Aujourd’hui, une intrigue souvent taxée de mièvrerie et, justement, la facilité mélodique de l’œuvre, apparaissent décalées dans un panorama lyrique en quête de sens et de déconstruction dramatique. Mignon peut pourtant apporter bien des satisfactions à ceux qui savent encore goûter des plaisir simples.

Discographie

(Editeur, chef, Mignon, Meister, Philine, Lothario, Frédéric (t/ms), Laërte.)

En priorité :

CBS, A. de Almeida, M. Horne, A. Vanzo, R. Welting, N. Zaccaria, F. Von Stade (ms), C. Meloni.

Même si on pourrait espérer une Mignon au timbre un peu plus léger, un Lothario un peu plus idiomatique et un chef plus brillant dans les passages légers, cette intégrale est de très grande qualité, chantée et enregistrée avec un réel souci du travail bien fait par une équipe manifestement amoureuse de ce répertoire. Très complète, elle contient en outre en appendice plusieurs morceaux alternatifs qui mettent un peu plus en valeur la très charmante Philine de Ruth Welting. Elle offre enfin le luxe d’entendre Frederica Von Stade dans le rôle de Frédéric.

A éviter

Accord, S. Denève, L. Vignon, A. Gabriel, A. Massis, JP. Courtis, F. Cassard (t), P. Ermelier.

Cette version, captation d’un spectacle du théâtre de Compiègne, vaut seulement pour la Philine d’une Annick Massis alors débutante. Même si dans la salle on devait être ravi d’entendre cette oeuvre rare, ni le Mignon de Lucile Vignon ni le Meister d’Alain Gabriel ne méritaient d’être préservés pour l’éternité. A noter que le disque se proclame le premier enregistrement de la version originale alors qu’il donne en fait la version remaniée, certes dotée de la fin de l’histoire originale.

A connaître

Preiser (enregistrement Decca), G. Sébastian, G. Moizan, L. de Luca, J. Micheau, R. Bianco, F. Deschamps (t), R. Destain.

Réédition techniquement très réussie d’un vieil enregistrement mono réalisé dans les années 50. Le français et le style sont d’un naturel confondant. Revers de la médaille, dans un contexte lyrique international, cela peut paraître un peu daté. Autre défaut, quelques coupures dont deux très regrettables : le premier air de Meister (Oui je veux par le monde) et la première strophe de son deuxième air (Elle ne croyait pas). C’est d’autant plus regrettable que Libero de Luca est un Meister aussi beau de voix que bien chantant. Geneviève Moizan est quant à elle sans doute la voix idéale pour Mignon.

Pour les amateurs

EMI, JC. Hartmann, J. Rhodes, A. Vanzo, A. Esposito, M. Roux, extraits in 10 opéras français.

Si ce disque n’était pas vendu dans un coffret important (bien que d’un prix modique pour les merveilles qu’il contient), il serait à conseiller en priorité à tous ceux qui veulent découvrir l’oeuvre sans investir dans une intégrale. Tout au plus peut-on relever que Jane Rhodes, plus femme que jeune fille, n’a pas la plus belle ligne de chant qu’on ait entendue et que Michel Roux est doté d’une voix un peu banale. Mais Vanzo, alors jeune, est souverain et les 48 minutes de ce disque coulent de source.

Exotique

DG, J. Fournet, I. Seefried, E. Haelfinger, C. Gayer, K. Engen, extraits en allemand.

Succès international que Mignon, comme le prouve ce disque d’extraits en allemand. Jean Fournet à lui seul sauve l’esprit de l’oeuvre, malgré la langue. Seefried, naguère soprano lyrico-léger, se confronte à un rôle d’où elle sort avec les honneurs. En revanche, la voix de l’évangéliste Haelfinger laisse plus sceptique ceux qui attendent un ténor de demi caractère un tant soit peu viril. Les deux autres protagonistes, moins connus, ne s’en sortent pas plus mal pour autant.

Rareté

K. Montgomery, F. Von Stade, B. McCauley, G. Rolandi, R. Lloyd, C. Alliot-Lugaz (ms), pirate capté lors d’un concert au Carnegie Hall de New York le 8 avril 1984.

Disponible uniquement via les circuits parallèles, cette captation, aux standards techniques sans commune mesure avec les enregistrements précédents, est d’une grande qualité artistique. Frederica Von Stade y prouve ce que l’intégrale Almeida et son Connais-tu le pays (récital CBS dirigé par J. Pritchard) laissaient penser : elle est un Mignon superlatif ! A ses côtés, Barry McCauley est un Meister sans trop de personnalité mais généreux, tout comme l’est la Philine de Gianna Rolandi, manifestement inspirée par Beverly Sills, un cran en dessous. A noter par ailleurs que cette version concert, dirigée avec vivacité, est très complète avec notamment le rondo de Trebelli très bien chanté par Colette Alliot-Lugaz.

Pour mémoire

Il existe en outre un enregistrement capté à La Scala de Milan en 1947, en italien. Cette série de représentation consacra Giulietta Simionato aux côtés du jeune Giuseppe Di Stefano.

Enfin circule une bande pirate avec une distribution similaire à celle de l’enregistrement CBS dont elle est à peu près contemporaine, Renzo Casellato y remplaçant Alain Vanzo dans le rôle de Wilhelm Meister.