(Car si les blogs doivent mourir cette nuit, autant que ce soit beau...)

photo de Kathleen Ferrier La première fois que Kathleen Ferrier avait chanté Le Chant de la terre, en 1947, dirigé par Bruno Walter au festival d'Edinbourg, elle avait pleuré sur les derniers mots[1] de « Der Abschied » (L'Adieu) et s'en était excusée auprès du chef, qui lui avait rétorqué que si chacun avait été aussi artiste qu'elle, tous auraient pleuré. On prend la mesure d'un tel compliment venant de Bruno Walter, l'ami de Mahler qui monta cette œuvre posthume écrite par le compositeur à la mort de sa fillette de quatre ans.

En 1953, se sachant condamnée par un cancer qui devait l'emporter quelques mois plus tard, elle enregistrait l'œuvre avec ce même chef, le ténor Julius Patzak et le Philharmonique de Vienne. On raconte que le ténor et le maestro pleuraient eux aussi à cet adieu de la chanteuse ; l'enregistrement fut long et douloureux car la maladie la laissait épuisée et la douleur la contraignait à interrompre souvent les séances.

Parmi les trois Rûckert Lieder figurant également dans cet enregistrement devenu mythique, un magnifique « Um Mitternacht », auquel certain pseudo n'est évidemment pas étranger.

En 2003, sur l'insistance d'un ami, j'écoute Kathleen Ferrier et j'en suis bouleversée. Le manque total d'affectation renforce l'émotion de cette voix si fragile et si forte. Elle transmet l'émotion parce qu'elle la ressent, il n'y a pourrait-on dire aucune démarche d'interprétation. J'use l'enregistrement au point de ne plus pouvoir l'écouter, le CD saute, je m'y habitue.

Il y a quelques jours, une amie m'en offre un exemplaire tout neuf. La boucle peut reprendre. Ewig.


Toute douceur toute ironie se rassemblaient
Pour un adieu de cristal et de brume,
Les coups profonds du fer faisaient presque silence,
La lumière du glaive s’était voilée.

Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite aux lointains du chant qui s’est perdu
Comme si au delà de toute forme pure
Tremblât un autre chant et le seul absolu.

Ô lumière et néant de lumière, ô larmes
Souriantes plus haut que l’angoisse ou l’espoir,
Ô cygne, lieu réel dans l’irréelle eau sombre,
Ô source, quand ce fut profondément le soir !

Il semble que tu connaisses les deux rives,
L’extrême joie et l’extrême douleur.
Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,
Il semble que tu puises de l’éternel.

(Yves Bonnefoy, « À la voix de Kathleen Ferrier », in Hier régnant désert.)

Gustav Mahler / Kathleen Ferrier
Das Lied von der Erde
- « Abschied »

L'Adieu
(...)
Il descendit de cheval et lui tendit le breuvage de l’adieu.
Il lui demanda où il irait
Et aussi pourquoi cela devait être.
Il parla, sa voix était voilée :
Toi, mon ami,
Sur cette terre, le bonheur ne m’a pas été donné!
Où je vais ? Je vais, j’erre dans les montagnes.
Je cherche le repos pour mon cœur solitaire.
Je vais vers mon pays, mon refuge.
Jamais je n’errerai plus au loin.
Calme est mon cœur et il attend son heure.

Partout, la terre bien-aimée
Fleurit au printemps et verdit à nouveau!
Partout et éternellement, les lointains bleuissent de lumière!
Eternellement... éternellement...

Der Abschied
(...)
Er stieg vom Pferd und reichte ihm den Trunk des Abschieds dar.
Er fragte ihn, wohin er führe
Und auch warum es müßte sein.
Er sprach, seine Stimme war umflort :
Du, mein Freund,
Mir war auf dieser Welt das Glück nicht hold!
Wohin ich geh? Ich geh, ich wandre in die Berge.
Ich suche Ruhe für mein einsam Herz!
Ich wandle nach der Heimat, meiner Stätte.
Ich werde niemals in die Ferne schweifen.
Still ist mein Herz und harret seiner Stunde!

Die liebe Erde allüberall
Blüht auf im Lenz und grünt aufs neu!
Allüberall und ewig blauen licht die Fernen!
Ewig... ewig...

(Traduction de Michèle Saïdi / Mikka trouvée sur le forum d'Abeille Musique.)

Liens

Notes

[1] Ewig, ewig : Eternellement, éternellement.