Rigoletto (2)
Par Kozlika le jeudi 5 janvier 2006, 15:41 - Lien permanent
Nous disions donc, au détour d'une âpre bataille, que l'ordre de séduction qu'opèrent sur moi les opéras suit ces critères, du plus important au moins important :
- les voix
- la musique
- l'histoire
- mise en scène, décors, etc. (pour le live)
- apport intellectuel
(Désolée pour les deux derniers critères, une formulation plus élégante me manque.)
Parlons donc des voix. Dans Rigoletto comme dans n'importe quel opéra, les chanteurs doivent ou en tout cas devraient remplir les conditions techniques du rôle : la tessiture[1] notamment, et autres machins comme l'agilité, le timbre, le type (léger, lyrique, dramatique...). En dehors de cet aspect technique il y a bien sûr l'interprétation elle-même. Sur le plan vocal strict - chanter juste, par exemple ! - et sur le plan théâtralo-vocal, néologisme de mon cru pour évoquer non les talents d'acteurs des interprètes, mais ce que la voix transmet à elle seule.
Dans Rigoletto, cet aspect théâtralo-vocal sera d'autant plus important que l'exacerbation des sentiments y est un point essentiel et qu'une Gilda qui ne ferait pas pleurer ou un Rigoletto qui n'attirerait pas la compassion tomberaient franchement à plat, même avec des voix intrinsèquement très belles ou une technique de chant infaillible.
Avouons tout de suite et une fois pour toutes que même quand ça n'est pas pour du Verdi j'y accorde une très grande importance, sinon je m'ennuie comme un rat mort, sauf à l'écouter en bruit de fond en faisant la cuisine et exception faite de Montserrat Caballe qui massacra bien des compositeurs sur ce plan mais dont la splendeur excuse tous les écarts.
Oui bon d'accord. Alors ? Rigoletto ?
Bref. Complication supplémentaire pour Rigoletto, de mon point de vue, c'est que les rôles principaux doivent tous les trois présenter deux faces d'un même personnage.
Rigoletto (baryton)
Rigoletto est cruel et cynique. N'oublions pas que c'est un fou du roi et que tant qu'on n'avait pas touché à sa fifille il se faisait très volontiers complice de ses conquêtes.
Rigoletto est un père tendre et aimant. Un peu trop même. S'il n'avait pas surprotégé sa fille elle ne serait pas tombée dans les filets du premier séducteur venu. N'empêche que quand sa fille pleure il est aussi malheureux qu'elle.
Le duc de Mantoue (ténor)
Le duc de Mantoue est séduisant. Si Gilda tombe amoureuse de lui, dernière d'une liste plus longue que ma liste de choses à faire, et bien d'autres femmes plus endurcies qu'elle, c'est qu'il a beaucoup de charme. Et sa méthode de drague passe d'abord par la séduction.
Le duc de Mantoue est un salopard. Une femme lui résiste ? Bah, il pleure un bon coup puis l'enlève pour la violer, on va pas s'emmerder non plus hein ?
Gilda (soprano)
Gilda. Ici le personnage se découpe en « avant » et « après » le viol. La voix doit porter toute la candeur, la fraîcheur – et pour tout dire l'infinie crédulité – d'une enfant surprotégée découvrant le sentiment amoureux au début de l'ouvrage. Mais après la voix doit traduire la fin de l'innocence, le désespoir, une certaine violence même. Elle a pris dix ans en une nuit.
Et donc ?
Et donc, pour ces raisons, je ne peux qu'approuver le choix de mon petit camarade qui recommande ces deux versions, toutes deux de 1963 :
Kubelik / Fischer-Dieskau - Scotto - Bergonzi
Live 1963 à La Scala. Direction Rafael Kubelik. Rigoletto : Dietrich Fischer-Dieskau ; Gilda : Renata Scotto ; Le duc de Mantoue : Carlo Bergonzi.
DFD tout simplement bouleversant, bien que sur le papier il n'aie pas techniquement la voix idéale pour le rôle. Carlo Bergonzi l'une des plus belles et plus onctueuses voix de ténor - correction : LE plus beau timbre de ténor du monde entier interplanétaire, presque trop belle pour ce rôle. Une Renata Scotto à tomber par terre, ce coffret a reçu toutes les récompenses possibles et imaginables.
Solti / Merrill - Moffo - Kraus
Studio 1963. Direction : Georg Solti. Rigoletto : Robert Merrill ; Gilda : Anna Moffo : Le duc de Mantoue : Alfredo Kraus.
Très mal étiquetté sur les sites de la FNAC et d'Amazon, qui s'emmêle les pinceaux dans la liste des interprètes, c'est bien de cette version qu'il s'agit. A tout petit prix (16 euros), vous pourrez défaillir sous la voix d'Anna Moffo, admirer la brillance et la prestance d'un splendide Alfredo Kraus et pleurer avec Robert Merril. Que du bon, vous dis-je malgré les critiques autorisées moins enthousiastes que moi (mais ils n'y connaissent rien c'est évident), mais qui la classent quand même dans les meilleurs.
Pour un DVD, économisez vos sous ils sont tous nuls ou au mieux potables.
Notes
[1] Gilda chantée par Ivan Rebroff, c'est envisageable mais ça risque de ne pas tout à fait donner l'effet souhaité par Verdi.
Commentaires
Bon, étant compétente dans l'opéra à peu près autant que Minnie Mouse dans la réparation automobile, je me garderai bien de contre-critiquer ton appréciation des personnages et des versions discographiques (ce qui ne m'empêche pas de suivre les débats trop passionnants ;) qui ont lieu ici-bas) de Rigoletto, mais pour en revenir à ton introduction, je proposerais en point 4°) la scénographie... et pour le 5°) la mise en perspective (historique, sociale, politique, bref, contextuelle)... Et voilà :)
merci pour la seleccao (vais choisir Moffo)
Génial. Voilà ce que j'attendais pour pouvoir chanter en même temps que les interprètes. Et dis, à quel moment on allume les briquets ?
"Elle a pris dix ans en une nuit.", ah ben tiens, je comprends mieux pourquoi ça m'arrive si souvent. Ca doit tenir de la force du destin ;-)
PS : le personnage de Gilda chanté par Ivan Rebroff, je demande
à voirà écouter !!S'il te plait laquelle des deux ? Ton choix à Toi ...
J'espère que je pourrai venir avec vous, et encore Merci de ton aide précieuse (si je me libère vendredi je te tiens au courant aussi).
J'adorerai être à côté de Vroumette ;-)) next time !
Ps : J'ai vérifié, je n'ai pas que des complies, ouf !
Comment ça quel choix à moi ? Mais enfin Anna Moffo bien sûr ! quelle drôle de question... je vais te réserver la place près du poêle toi :)
@Nawal : on voit que tu n'as pas peur de m'entendre chanter ! Mais oui Koz, je promets d'être sage durant l'opéra.
Ben je voulais que tu l'écrives ... en gras ;-) Et puis tu es quand même élogieuse pour les deux.
Ah ! "LA" place près du poêle, j'en rêve depuis toute petite ...
hi hi hi ! Ps : Si je viens (ce que je souhaite) moi aussi je promets d'être sage !!! ... durant l'Opéra aussi ;-) C'est Vroumette qui a dit ça.
Je suis revenue y lire de plus près (je crois que je vais tenter de me procurer la version avec dame Moffo) et je me dis en riant que décidément ta description du duc de Mantoue est assez géniale (surtout la fin) catégorie on ne peut pas mieux dire, et que les Gilda de 1963 sont effectivement un excellent millésime :-) :-) !
ah zut j'ai peut-être doublonné mon commentaire, je n'avais pas lu le "it will be online soon" et j'ai cru qu'une fois de plus ma bécane s'était bloquée.
Gilda, voui, je suis allée repêcher ton commentaire dans la centrifugeuse. Mais bientôt un Spamplemousse aux petits oignons auquel on pourra dire : celle-là, tu touches pas, c'est ma copine !
J'ai emprunté rigoletto en CD, 1963, avec le superbe DFD, le géniale Bergonzi... etc ..
Mais Je suis désolé mais tous les aigues de Scotto sont moches au possible et gâchent pas mal de passages.
Honnetement, je suis musicien mais novice dans le lyrique mais je pense etre objectif quand je dis que c'est presque faux. Exemples:
CD 1 Rigoletto Che m'ami, deh, ripetimi : à la fin
Après cette piste, on fait plus attention à Scotto et on se rend compte que c'est bof le reste.la piste suivante d'ailleurs quel supplice.
CD 2 piste 10(time 2:48) là si c'est pas moche mais oreilles vont mal.
Peut être est ce le passage de vynile à cd qui a altéré certaine fréquence ?