Interior de Hammershoi En 1903, le peintre Hammershoi reçut commande d'un haut fonctionnaire du portrait de sa fille.

Si la commande de portrait n'était pas vraiment inhabituelle, quoique ce ne fût pas sa spécialité, en revanche les directives précises données par son commanditaire intriguèrent fortement l'artiste. Ainsi l'homme lui fit signer un contrat dans lequel le peintre s'engageait à ne conserver aucun des croquis préparatoires qu'il réaliserait ; il devrait même les laisser sur place et ils seraient détruits à l'achèvement de son travail. En contrepartie, il serait autorisé à travailler dans la maison autant qu'il le faudrait et défrayé en conséquence. Ensuite, le « portrait » serait réalisé... de dos : le peintre devrait attendre dans l'antichambre tandis que la jeune fille prendrait place, les séances se dérouleraient en présence d'une sorte de duègne, du père, voire des deux.

Intrigué, le peintre accepta les conditions qu'on lui imposait et c'est avec la fébrilité due autant à la curiosité qu'à l'excitation qu'il ressentait à chaque pose d'une toile vierge sur le chevalet qu'il se rendit au premier rendez-vous.

Durant les nombreux jours qu'il passa chez son hôte, jamais il ne vit le visage de la jeune fille. Dans l'espoir de la voir manifester quelque réaction, au moins d'étonnement, il demanda qu'elle porte un plateau sous son bras ; nul ne contesta et c'est ainsi qu'il peignit la jeune fille, de dos, dans son austère robe bleu sombre. La nuque devint pour lui l'objet d'un désir intense : il rêvait d'y poser la main, les lèvres, cette nuque un peu ployée qu'elle lui offrait à chaque visite.

Le tableau achevé, on le remercia, on lui donna la somme promise assortie d'une prime conséquente pourvu qu'il promette d'oublier tout à fait et le tableau et le modèle, son existence même. Il promit.

Mais jamais il n'oublia.

Les années suivantes, il peignit de mémoire encore et encore cette jeune fille, sa nuque, l'imaginant devant un clavecin, une table, franchissant une porte ; il tenta aussi de lui inventer un visage mais ne parvint qu'à des contours à peine esquissés.

Quelques mois plus tard, n'y tenant plus et malgré sa promesse il résolut d'aller se poster devant la maison de la jeune fille. Les volets, bien qu'on fut en plein midi, étaient clos. Il y retourna le lendemain puis le surlendemain et presque tous les jours durant plusieurs semaines. Les voisins, qu'il se décida à interroger, lui répondirent étonnés que plus personne n'habitait cette maison depuis plus de cinquante ans.

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(Participation à la boîte à rêves de monsieur Ka.)

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