La nuque
Par Kozlika le jeudi 5 janvier 2006, 20:18 - Lien permanent
En 1903, le peintre Hammershoi reçut commande d'un haut fonctionnaire du portrait de sa fille.
Si la commande de portrait n'était pas vraiment inhabituelle, quoique ce ne fût pas sa spécialité, en revanche les directives précises données par son commanditaire intriguèrent fortement l'artiste. Ainsi l'homme lui fit signer un contrat dans lequel le peintre s'engageait à ne conserver aucun des croquis préparatoires qu'il réaliserait ; il devrait même les laisser sur place et ils seraient détruits à l'achèvement de son travail. En contrepartie, il serait autorisé à travailler dans la maison autant qu'il le faudrait et défrayé en conséquence. Ensuite, le « portrait » serait réalisé... de dos : le peintre devrait attendre dans l'antichambre tandis que la jeune fille prendrait place, les séances se dérouleraient en présence d'une sorte de duègne, du père, voire des deux.
Intrigué, le peintre accepta les conditions qu'on lui imposait et c'est avec la fébrilité due autant à la curiosité qu'à l'excitation qu'il ressentait à chaque pose d'une toile vierge sur le chevalet qu'il se rendit au premier rendez-vous.
Durant les nombreux jours qu'il passa chez son hôte, jamais il ne vit le visage de la jeune fille. Dans l'espoir de la voir manifester quelque réaction, au moins d'étonnement, il demanda qu'elle porte un plateau sous son bras ; nul ne contesta et c'est ainsi qu'il peignit la jeune fille, de dos, dans son austère robe bleu sombre. La nuque devint pour lui l'objet d'un désir intense : il rêvait d'y poser la main, les lèvres, cette nuque un peu ployée qu'elle lui offrait à chaque visite.
Le tableau achevé, on le remercia, on lui donna la somme promise assortie d'une prime conséquente pourvu qu'il promette d'oublier tout à fait et le tableau et le modèle, son existence même. Il promit.
Mais jamais il n'oublia.
Les années suivantes, il peignit de mémoire encore et encore cette jeune fille, sa nuque, l'imaginant devant un clavecin, une table, franchissant une porte ; il tenta aussi de lui inventer un visage mais ne parvint qu'à des contours à peine esquissés.
Quelques mois plus tard, n'y tenant plus et malgré sa promesse il résolut d'aller se poster devant la maison de la jeune fille. Les volets, bien qu'on fut en plein midi, étaient clos. Il y retourna le lendemain puis le surlendemain et presque tous les jours durant plusieurs semaines. Les voisins, qu'il se décida à interroger, lui répondirent étonnés que plus personne n'habitait cette maison depuis plus de cinquante ans.
(Participation à la boîte à rêves de monsieur Ka.)
Post-commentatum : le dernier paragraphe a été supprimé puis restauré. Pour en connaître l'historique lire les commentaires.
Commentaires
Bravo Kozlika ! Un superbe post... délicat et perspicace. Un peu comme quelqu'un a un jour écrit un bouquin sur la jeune fille à la perle...
Je n'avais pas vu que c'était encore un jeu à la con, j'y ai cru jusqu'à la fin, et j'ai trouvé ça magnifique.
Merci !
Mais vous êtes venus trop tôt, je n'avais pas fini l'illustration du billet. Voilà qui est fait. :)
Pareil que Laurent.
Puisque mon nom l'indique, je vais faire le chieur :
Moralité : une seule contrainte respectée sur trois. Et 3 jours de retard. Comme disait (à peu près) Perec, le plus intéressant dans la contrainte, c'est de la transgresser... ;-)
Quel formalisme minable, Monsieur qui porte bien son nom ;-)
Pareil, je me suis fait avoir... Sauf quand je suis arrivé au dernier paragraphe : il n'est pas indispensable à ce très joli texte, je trouve. M'enfin-c'que-j'en-dis-moi-aussi.
moi une cheville entrevue me suffit pour partir, quelle qu'elle soit, désolé pour ce trop plein de lyrisme.
très joli billet, et très belle nuque en effet... sourire...
"belle nuque " une définition peut-être ?
Superbe !
Désiré, tu as absolument raison pour le dernier paragraphe. Je l'ai supprimé et ai redécoupé les phrases pour que le compte reste à dix-sept.
(C'est le chieur qui va être content : 300 signes de moins si ça se trouve...)
427 en moins. C'est encore beaucoup trop :-p
M'en fout, j'connaissais pas les règles. J'y ai cru jusqu'au bout.
moi comme vroumette tiens !!! ;-)
Comme Laurent, Vroumette et Mel'O'Dye...
C'est Superbe !
Je l'avais lu hier avec le dernier paragraphe, et je préférais la première version. Le lecteur butait sur une énigme comme le peintre avant lui avait buté sur l'énigme de la nuque. J'aimais bien la continuité de l'inquiétante étrangeté.
En tout cas, bravo ! ;-)
Oui, la première version était mieux. Oublie les parcimonieux à la M. Chieur.
Moi c'était juste pour dire un truc hein, parce que je commente peu sur les blogs en ce moment. En fait je voulais faire mon intéressant qui a un avis sur tout, c'est pour ça. Il faut sans doute faire davantage confiance au club du "c'était mieux à vent" sur ce coup là, z'ont l'air quand même hyper déçus. M'enfin-c'que-j'en-dis-moi-bis. Ah oui pis bonne année aussi donc grosses bises.
Je rebondis sur la question de Désiré. Koz : que penses-tu des vents dans Rigoletto ? :)
Pardonnez la verdeur de l'expression, mais les parcimonieux vous chient au nez, moussaillon. Elevé dans la rigueur d'une discipline toute militaire, entre Papa (qui transformait tous ses troufions en hommes) et maman (qui, dès que Papa avait le dos tourné, vérifiait le succès de ladite transformation avec des critères assez personnels), je n'aime rien tant que l'ordre, la rigueur, la soumission à l'autorité et l'uniforme bien repassé. Monsieur Ka avait dit "1500 signes maximum", j'abats le petit doigt sur la couture du pantalon et je ponds moins de 1500 signes. Et quand je vois une madame Kozlika qui se répand en 2503 signes, alors qu'elle est elle-même une organisatrice patentée de ce genre d'amusements où l'oisif préfère s'égarer plutôt que d'avoir de saines récréations (à base de bière tiède, de cirage et d'organes virils) avec ses camarades du foyer du soldat, je m'insurge et je monte au front, baïonnette en avant, pour calmer le bordel et mettre un terme à la mutinerie ! Si les officiers eux-mêmes ne respectent plus les règles, les bleu-bites vont bientôt refuser d'aller étriper l'ennemi sous le premier prétexte venu, et ce sera la débandade, la chienlit, l'anarchie, en un mot : le chaos.
Voilà, marin d'eau douce, ce qu'ils vous disent, les parcimonieux.
Et puis d'abord, qui êtes-vous, pour juger qu'une version est "mieux" qu'une autre, sans autre argumentation que votre laconisme et votre suffisance ? Comme disait le Maréchal Baderne à ses hommes, dans un message adressé à dos de pigeon voyageur vers les rieuses tranchées de l'été 17 : "soldats, le premier qui conteste la hiérarchie se retrouvera collé au poteau, les roustons troués d'une douzaine de balles du catalogue Manufrance" (toujours soucieux de préciser sa pensée, il ajoutait : "Je ne m'en occuperai pas personnellement, parce que j'ai à faire ici au golf de Vierzon, mais j'ai toute confiance dans l'agressivité psychotique de l'imbécile que j'ai nommé pour vous commander sur place").
Monsieur Vents-humides-qui-vous- cinglent-le-visage-en-ramenant- des-odeurs-de-poisson-pas-frais, l'autorité, en l'espèce, ici, c'est Madame Kozlika. Alors si elle dit que c'est mieux, c'est mieux. Rompez.
Il a de la répartie, ce Chieur qui préfère l'industrie armurière aussi française qu'un beret aux produits d'importation malfaçonnés ! Voudrait-il prendre en charge le Courrier des lecteurs de la Boîte où parfois se répandent quelques importuns ? Il s'agirait, bien sûr, d'un stage gratuit qui ferait luire son CV de mille feux…
Yeah ! Ca promet d'être sanglant. J'aime bien les combats dans la boue !
Ouh la la lala !!! Ça va chier !
J'ai pas vu la première version. La seconde étant déjà excellente. La première touchait-elle à la perfection ?
On dirait du Edgar Allan Poe.
Bon j'ai remis le dernier paragraphe, vous n'aurez qu'à faire votre sauce vous mêmes :)
M. Ka > à vos ordres je suis, à vos ordres je reste. Sifflez-moi, et j'accours, groin au vent et couteau entre les dents, pour rétablir la paix et l'harmonie dans votre boîte.
M. le Vasco de Gama du net (à moins que vous ne fûssiez qu'un vulgaire La Pérouse, des promesses plein la bouche au départ, des coraux plein la boîte cranienne avant l'arrivée) > "Ouh la la lala !!! Ça va chier !", dites-vous ? Avez-vous bien lu mon nom ?
Je suis déçue, déçue, déçue....
Attendez que je dispose de 15 minutes pour régler le sort de ce paltoquet.
J'ai aimé le post, j'ai adoré les réactions! Monsieur le chieur, bravo pour votre prose. Je suis fan et je m'engage!
M. Le Chieur, vous n'êtes qu'un rond-de-cuir, un fonctionnaire, un comptable étriqué des jeux littéraires (et n'est pas Maître Capello qui veut). Vous n'êtes qu'un misérable commissaire aux comptes dont l'étroitesse d'esprit dispute à l'intransigeance dogmatique. Devant la performance de la Dame, hôte de céans, vous eussiez dû vous incliner dans un respectueux silence, une mutique admiration, plutôt que de la ramener avec vos comptes d'apothicaire psychorigide.
Madame Kozlika a tous les droits, car elle n'est pas la caporale de la blogosphère, elle en est la reine, à qui la rose fraîchement éclose convient mieux que la calculatrice. Je reprends la citation du général, puisque vous ne comprenez que le vocabulaire martial, "soldats, le premier qui conteste la hiérarchie se retrouvera collé au poteau, les roustons troués d'une douzaine de balles du catalogue Manufrance". Que faites-vous d'autre que contester la hiérarchie ? Ne tenez-vous donc si peu à vos bijoux de famille que vous, sombre vermisseau, osiez donner des leçons de calcul à la Généralissime en chef de notre bien aimée blogosphère ?
Monsieur Vents-secs-qui-vous-ramènent-au-visage-des-odeurs-de-chambrée-et-de-testostérone, je ne vous salue point et je retiens votre nom.
@Obni : "Koz : que penses-tu des vents dans Rigoletto ?" Y a-t-il aussi un pétomane dans l'effectif ?
C'est quand même incroyable : on ne peut pas avoir le dos tourné cinq minutes. Je m'absente, je reviens, et que vois-je ? Le capitaine Haddock de paccotille a profité de l'intervalle pour tenter de faire passer sa pauvre écume pour une légitime indignation, et ses pitoyables postillons pour d'authentiques embruns...
J'applaudirais presque la prose de ce tartuffe à faible tirant d'eau, si son argumentation au lyrisme de carton-pâte ne souffrait d'un grave défaut : mon cher petit Monsieur Paquets-de-Mer, que n'avez-vous commencé à souiller vous-même les écrits de notre hôtesse, avec vos commentaires lapidaires ? Que n'avez-vous osé écrire "la première version était mieux", suggérant ainsi que Madame Kozlika pouvait s'égarer en chemin, comme un vulgaire navigateur en mal de GPS ? Vous ignorez sans doute, dans l'étroite cabine qui est la vôtre, et d'où vous croyez observer le monde quand vous n'apercevez que le reflet las de votre propre médiocrité, qu'elle n'a point besoin de boussole : elle sait où elle va, sans tenir compte des flapis du bulbe qui croient pouvoir dresser leur avis atrophiés et leurs commentaires inutiles en travers de son chemin.
Vous n'avez raison que sur un point, matelot : Kozlika est une reine. Et la véritable élégance, devant un écrit d'icelle, c'est de s'abstenir de ramener Son oeuvre à de pathétiques "j'aime" ou "je n'aime pas". Votre opinion, on s'en tape le coquillard à grands coups d'aviron, monsieur le futur naufragé. Vous n'avez pas l'apanage du bon goût. Sinon, ça se saurait, et l'on croiserait à longueur de journée des gens ornés de barbes d'épouvantail breton, pavanant dans leur pull marin comme une vigie dans sa hune ; une épreuve qui nous est heureusement épargnée la plupart du temps.
En rappelant les règles du jeu à Sa Majesté, je ne faisais qu'évoquer des contraintes formelles, sans exprimer de jugement sur la qualité littéraire de son texte. Tandis que vous, en glapissant votre insubmersible admiration de plancton béat, vous tentiez de laisser croire que les écrits d'une Fée peuvent se laisser juger par un dérisoire de votre acabit. Comme si les cancrelats pouvaient décider du brillant d'une étoile.
j'en ai marreuh, chaque fois y a des supères discutes quand j'chuis pô là !
ps : Koz, si un de mes jours non salariaux tu as besoin, histoire que plus personne après il ose t'embêter, sache que je suis la dégraisseuse de textes la plus impitoyable de tout le Mexique (sur les textes des autres, oui, je sais :-) ...)
Oh, c'était un jeu ! J'y ai cru, quoique la fin paraissait un peu étrange. Et de qui sont donc ces beaux tableaux de dos ?
Monsieur le Chieur, ne changez rien, je crois que je tombe amoureux.
Allez, juste histoire de faire chier Monsieur le Chieur (d'où fiat lux, chers Frères Lumière, pour votre Arroseur arrosé) : "pacotille" ne prend qu'un "c". Pourtant je suis plutôt d'accord avec ou amusé par vos sorties.
Sinon, personne n'en parle, mais Hammershoi est l'un des plus beaux cadreurs de l'histoire de la pointure.
Ouhlala... ça me rappelle une histoire avec un cochon... ou était-ce une tirelire ?
Les peintures sont l'oeuvre de Hammershøi et sont visibles, notamment, par ici et par là.
Le prochain jeu d'écriture de la Boîte à Images débutera le dimanche 15 janvier.