Qu'est-ce que ça vous dit ? (2)
Par Kozlika le samedi 8 avril 2006, 16:46 - Lien permanent
Je vous avais proposé l'autre jour dans le premier billet intitulé Qu'est-ce que ça vous dit ? d'évoquer les images, situations, scénarios que vous inspiraient un extrait des Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach. J'ai aimé vos textes et commentaires et plusieurs d'entre vous étaient partants pour que je réitère.
Ce que je fais aujourd'hui avec cet extrait tiré de Neptune, de Philippe Manoury (né en 1952), grâce au concours de Bladsurb qui a bien voulu partager un bout de sa riche boîte à musique avec nous.
Alors, qu'est-ce que ça vous dit ?
« Neptune 4 », de Philippe Manoury, par Roland Auzet, Florent Jodelet et Eve Payeur, percussions (Accord).
Commentaires
La pluie
Une grosse averse, que l’on vit lorsqu’on est petit. On est en vacances à la campagne, et d’un seul coup, l’été chaud devient une averse violente. Vite, on court dans le village, en sautant dans les flaques, car c’est amusant, on court, on court, l’atmosphère est très lourde, avec la lourde odeur de l’eau qui frappe la poussière du sol. Il se met à faire sombre, et l’on fini par s’abriter sous une grange. Le sol est en terre battue, sombre et dure, tandis que de grosses gouttes, toujours plus denses, s’écrasent sur la toiture en ardoises, forment des ruisseaux et des rigoles, jaillissent des gouttières. Et d’un coup, tout s’arrête, le soleil revient brusquement et fait fumer le sol, emplissant l’air d’une odeur âcre de terre humide.
La machine à congeler les lacs
La machine se met en marche d'un coup, à la tombée de la nuit. De la partie immergée jaillissent des rayons qui zigzaguant sous la surface de l'eau créent des éclairs de glace, qui peu à peu ensuite s'épaississent. Bientôt, le lac entier est gelé, et sous la pression ça craquelle et ça grince. L'air lui-même, au-dessus, vibre sous l'effet du froid, et se condense en goutelettes d'obscurité qui viennent s'écraser sur la glace.
C'est drôle, j'ai l'impression d'entendre la trame sonore d'un film documentaire sur les insectes ! Je vois le sol d'une forêt grouillant d'insectes, puis l'intérieur d'une fourmillière, bref, un tas d'images de la vie des insectes. Curieux !
C'est l'histoire des automates qui étaient placés derrière la vitrine d'une petite armoire, dns un salon du XVIIe. D'habitude, ils dansaient leur chorégraphie programmée seulement quand on les remontait, les jours où l'on recevait, pour montrer ces petites merveilles mécaniques, ces miniatures richement habillées et souriantes. Mais un soir, peut-être parce que c'était la pleine lune, un rai de lumière est venu se cogner contre la vitre et les automates ont eu une révélation : ils ont pris conscience qu'ils n'avaient pas besoin d'être remontés pour se mettre en mouvement. Ce soir-là, ils furent un peu surpris : tout en dansant leur danse habituelle, ils se rendirent compte qu'ils pouvaient ébaucher des mouvements bien à eux, plutôt que de répéter ceux qu'on avait mis dans leur petit corps. Qu'ils pouvaient coordonner leurs danses et inventer une chorégraphie d'ensemble. Ce soir-là, ils essayèrent aussi de sortir de la petite armoire vitrée, mais ils ne trouvèrent pas les gestes qu'il fallait faire pour ouvrir les battants. Leurs pieds chaussés d'escarpins, de chaussons ou de petites bottes, leurs mains baguées ou gantées, qui dansaient (ils ne savaient faire que cela) percutaient sur tous les tons contre la vitre, et c'était si nouveau pour eux qu'ils finirent par oublier qu'ils avaient envie de sortir. Mais voilà qu'à force de jouer contre la vitrine, elle s'ouvrit par accident, petit à petit mais inexorablement, sans qu'ils puissent retenir les battants, et ils se retrouvèrent à la fin tous bien silencieux au bord de l'étagère.
@René : j'ai aussi pensé aux insectes et par association à Microcosmos.
On pourrait aussi faire un tagcloud sémantique à partir du morceau. Propals de tags : miniature, automate, écarts, réitération, inattendu, fragment, pluie, questions, suspension, bleu, éclat, surprises, ciel, rosée, arbrisseau, ruisselet.
Je crois qu'il s'appelle Neptune par métonymie sonore : le nom concentre les sensations auditoves clé. Il fonctionne comme une sorte d'indication d'audition. Bladsurb, tu en sais certainement plus là-dessus ?
RAV : je suis une fan de John Cage. La première fois que j'ai entendu, je n'ai rien compris et en même temps j'entendais tout (ce qui est bizarre, parce que ne pas saisir un morceau emêche l'audition, comme pour une langue dont on ne connaît rien, et dont ne peut à l'oreille distinguer les mots et les périodes).
Bon, désolé : Je vois un film de SF des années 50, trois ou quatre héros en combinaison argentée avec un pistolet laser à la main qui déambulent dans décor kitch hyper coloré et des monstres informes en caoutchouc un peu flasque, pleins de tentacules et de mandibules qui gigotent un peu partout (remarquez, on retrouve les insectes quelquepart ;).
but où ère votre jukebox ?
Ca doit être mon côté schizophrène, mais j'y vois des hommes et des femmes se bousculant et se jetant contre des parois en verre.
Lire par exemple http://www.theatresqy.org/2003/spectacles/neptune.html
Il fait nuit. Il pleut. L'homme court, s'engouffre dans une ruelle, une autre, jetant de fréquents regards en arrière. Il parvient aux escaliers mécaniques du grand immeuble de fer et de verre, en grimpe les marches quatre à quatre, se jette dans l'angle du couloir voisin.
Il reprend sa respiration à longues goulées profondes. Mais le reflet du pilier métallique l'avertit que ses poursuivants sont à leur tour engagés dans l'escalier et sa fuite reprend. Il se glisse d'une encoignure à la suivante. Il pleut toujours, la grêle tombe à bruit violent sur les vitres et soudain, tandis qu'il atteint et verrouille le refuge de la pièce où nul ne pourra l'atteindre et s'affaisse à son bureau, l'orage cesse, d'un seul coup.
Clap.
Le verre était froid. La buée était froide. L'haleine était des poinçons. Même les lèvres étaient de velour rouge glacé. Les saillis des os étaient autant d'épines de glace où la peau se déssechait, se déchirait. A la pointe des seins, vifs et percants, les doigts se dépiautaient, les bouches s'ensanglantaient. Et les yeux noirs du plus froid des froids médusaient tous ceux qui regardaient le bocal à poisson.
Un homme court le long d'une rue, dans un quartier résidentiel, les maisons sont protégées de grilles vertes, en fer forgé ... Il laisse courir ses mains le long des barreaux. Soudain, il débouche sur une place. Il s'assied sur un banc, il est seul, il attend. Il se ronge les ongles. Il sait qu'il est en retard, il reste assis là, perdu dans ses pensées entêtantes.
ça me fait penser à des lieux. la maison de la radio l'avenue de la grande-armée. les tunnels vers la voie georges pompidou avec des panneaux en rectangles verticaux d'une lumière soit blanche, soit orange. les aires d'autoroutes avec presque rien dessus, des toilettes bizarres avec des losanges inclinés pour fenêtres et des tables à pique-nique en bois avec banc, le tout scellé au sol. la défense, la porte maillot, le palais des congrés. le béton brut travaillé en ondulations, les grilles à carrés fins qui recouvrent sur le sol des bouches d'aérations dans les zones de bureaux. les entrées "minérales" dans certaines "résidences".
Très intéressant de lire tout ça. Nouvelle démonstration que chacun, avec son imagination et son vécu propre, peut mettre des choses différentes sur une même source...
Et bien heu... Moi j'ai tout de suite vu un truc : alors imaginons un petit film, tourné à l'aide d'une caméra fixée sur la tête d'un renard... En trai de pourchasser un lapin. En fait, on verrai le lapin de dos dans un long plan au raz du sol en train de galopper comme un malade. Les cordes (pincées) au rythme rapide accompagneraient le mouvement rapide de sa course, les moments où ses pattes frôleraient le sol. Les sons de "cloche" (xylophone ?) ponctuels accompagneraient les moements où il ferait des écarts pour échapper à son prédateur (comme le font souvent les proies quand elles sont poursuivies). Le rythme ralenti au cours du morceau de musique parce que le lapin s'essouffle... Et son prédateur aussi. A la façon dont la musique se termine, je crois que le renard a loupé son coup : à la fin, j'ai vu le cul du lapin disparaitre dans les herbes lointaines !
C'est grave docteur ???
Et Philippe Manoury, il y voit quoi, lui ?
Voici ce qu'il explique dans le livret du CD :
Pour répondre à flo, le cycle "Sonus ex machina" est composé de 4 pièces. "Jupiter" pour flûte, que Manoury décrit comme "comtemplatif, lumineux, calme" ; puis "Pluton", pour piano, "agité, sombre". Y voir un portrait des deux frères divins n'est pas exclu. Mais l'astronomie peut aussi servir de réservoir d'images (surtout pour Pluton). Le troisième volet est "La Partition du Ciel et de l'Enfer", où partition doit s'entendre en partage, en répartition ; les deux univers précédents s'y confrontent. Enfin, "Neptune", pour percussions, qui invite le troisième frère, et où les progrès des programmes informatiques permettent de produire une musique plus ... fluide, peut-être !
Merci ! La métaphore polythéiste est vraiment superbement créée. "Sonus ex Machina", avec tout l'arrière plan philosophique en plus... Je vais faire une acquisition musicale ce WE !
C'est le bruit de l'eau qui devrait remplir goutte à goutte mon arrosoir métallique que je mets sous le robinet de la grosse citerne qui récupère l'eau de pluie de mon toît, quand j'ai mal positionné le dit-arrosoir et que l'eau tombe sur l'arrosoir lui-même et non dans le trou de remplissage. C'est évident, non?
Des cafards dans un tube. Tombés, nombreux. Improvisation et survie. Carapaces luisantes sous la lumière verte. Rapides. Un oeil énorme s'agite au dessus d'eux. Mobilités. Sur les lamelles étroites du xylotron, les blattes zigzaguent, vont et viennent. Musicalité aléatoire. Se regroupent, s'agglutinent, nerveuses, coques noires, coagulées, derrière la plaque. Électrique.
Des enfants munis de batons qui les font glisser le long des grilles du square… Ils rigolent bien d'ailleurs. Ils essaient de nouveaux bruits, vont vite, puis lentement, puis vite à nouveau. Et puis il finissent par se faire engueuler parce que vraiment, ils font trop de rafus… :-)