Lucia di Lammermoor (la représentation 1)
Par Kozlika le samedi 23 septembre 2006, 16:24 - Lien permanent
C'était donc hier soir ma première Lucia en représentation. J'avais assisté à la générale grâce à Traou mais j'avais préféré réserver la pleine disponibilité de mes oreilles pour les véritables représentations car à l'opéra les chanteurs et musiciens ne « donnent » pas forcément tout à la répétition générale. Sans doute d'ailleurs faut-il y voir l'une des raisons qui m'ont fait me concentrer sur la mise en scène et me livrer ici à quelques pestouilleries à l'égard de ce pauvre Andrei Serban (lire ici et là)...
Il y avait de la magie - et de l'appréhension aussi - à se rendre à la Bastille pour y écouter-voir mon opéra préféré avec ma chanteuse en activité préférée. Le risque de la déception pour un bonheur trop attendu, la comparaison inévitable avec les témoignages au disque de multiples versions excellentes, mille fois écoutées, au rang desquelles mes trois préférées : Shippers/Sills, Prêtre/Moffo, et le mythique live de Berlin Karajan/Callas, dont je vous ai déjà parlé avec ferveur.
(En aparté : au risque de laisser croire que ma libido est placebotable dans le lyrique, dois-je avouer que je portais pour cette exceptionnelle circonstance une tenue spécial rendez-vous prometteur bien que mes charmants accompagnateurs soient féminins, total gays ou que la morve leur sorte encore du nez ? Du lard aux cochons, j'vous dis.)
Une femme broyée par un univers d'hommes. La fraîcheur d'une enfant putréfiée par les intérêts familiaux et les alliances politiques. Par la mise en scène et la voix de Natalie Dessay, la Lucia d'hier soir était très proche d'une Juliette transposée en Ecosse, offrant une autre facette possible de l'œuvre, après la naïveté évaporée d'une Sills, la neurasthénie fataliste d'une Moffo, la tragédie antique d'une Callas. Merveilleusement servis par les compétences acrobatiques et le timbre de l'interprète principale, le chef Pidò et le metteur en scène Serban nous offrent une Lucia de quinze ou seize ans encore dans l'enfance (jeux de balançoires, cordes, escalades, déguisements...) mais à la passion amoureuse pleine et fervente. En déséquilibre perpétuel, au propre comme au figuré, elle chante et nous craignons la chute, inévitable.
Natalie Dessay ne bride rien, ni sa joie de chanter ce rôle ni sa voix. A cloche-pied ou debout sur une balançoire, à califourchon sur la poutre d'un échafaudage à six ou sept mètres du sol ou debout tout au bord d'un précipice lit superposé, rien ne semble pouvoir entamer le legato de son chant, ni le risque de tomber ni les coups de pied au sol pour relancer sa balançoire ni sa progression rampante, à plat ventre aux pieds de son frère. Je me suis désormais habituée au contraste que forment son petit gabarit et sa tessiture légère avec la force et la projection de sa voix, il ne me surprend plus. Mais je suis toujours aussi émerveillée de sa façon de se jeter tout entière dans le rôle qu'elle investit, chantant chaque soir comme si c'était pour la dernière fois. Les aigus sont là, moins lumineux qu'ils ne le furent pour Lakmé, mais moins désincarnés aussi. La fée s'est faite femme, l'éther laisse la place à la chair, mais toujours avec la même facilité. Je n'ai eu que très peu de fois l'impression qu'elle « allait chercher » telle ou telle périlleuse note.
Peu de choses à dire sur la seule autre interprète féminine, qui tient d'ailleurs un tout petit rôle (et carrément absent dans la version française). En Alisa, la dame de compagnie de Lucia, Marie-Thérèse Keller, chante juste et possède une voix agréable mais je regrette qu'elle soit couverte dans tous les airs d'ensemble, notamment dans le sextuor. Chez les hommes, seul Christian Jean (Normanno, l'aide de camp du frère de Lucia) se révèle vraiment décevant : petite voix, jeu un peu brouillon, mais peut-être était-il en méforme ce soir-là. C'est dommage car ce personnage est (ou en tout cas devrait être, j'y reviendrai) le seul rôle 100% noir de l'œuvre, le salaud pur jus. Le manque de moyens de son interprète « délavait » hier considérablement le personnage.
Pour les autres hommes, qu'il s'agisse du frère de Lucia (Enrico, interprété par Ludovic Tézier), du chapelin (Kwangchui Youn dans le rôle de Raimondo Bibedent), du fiancé choisi par son frère (Arturo, Salvatore Cordelia) ou de son amoureux Edgardo (Matthew Polenzani), tous - à des degrés divers - tenaient très convenablement leur rôle. Ludovic Tézier était toutefois fort emprunté, ce n'est pas le souvenir que j'avais gardé de lui, ne faisant passer quasiment aucune émotion dans sa voix et le corps dans une posture immuablement rigide. Je ne sais si ça tient à lui seul ou aux consignes du metteur en scène, mais j'ai tendance à pencher pour la deuxième hypothèse car Andrei Serban a choisi de noircir tous les personnages masculins à l'exception d'Edgardo. Cette vision « tous-des-salauds » ne correspond pas à la mienne. Enrico aime sa sœur, le chapelin croit l'aider à choisir ce qui est le mieux pour elle et Arturo est tout prêt à faire de ce mariage arrangé une union affectueuse. Ils sont bourreaux mais également victimes des contraintes sociales et financières de l'époque dans laquelle ils vivent. Les mariages arrangés étaient fréquents jusqu'à une période récente et on croit là tomber dans la famille Borgia. (Ahem, encore que Lucrèce n'eût certes pas eu la faiblesse de Lucia...) C'est dommage de dénaturer ainsi le propos par une simple réduction gentils vs. méchants je trouve. Et ça se ressent dans la caricature dans le jeu vocal et d'acteur des interprètes.
Plus gâté par une construction non manichéenne du personnage d'Edgardo et également par son talent et sa très belle voix, Matthew Polenzani, dont c'était la première apparition à l'Opéra de Paris, sait se faire caressant ou coléreux. Qu'il s'agisse des duos avec Lucia, de la stupeur et la colère en découvrant ce qu'il croit être sa trahison ou le désespoir en apprenant sa mort, Matthew Polenzani est convainquant et émouvant dans tous ses airs - notamment dans le suberbe « Tombe degli avi miei » du troisième acte.
Comme à son habitude, le chef Evelino Pidò bichonne les chanteurs et à de rares exceptions près place systématiquement la musique en écrin du chant, l'enveloppe délicatement, sans affadir pour autant un orchestre de l'Opéra de Paris qui semblait tout à son aise hier. Son choix de faire accompagner la scène de la folie au glassharmonica permet de découvrir le son étrange de cet instrument prévu par Donizetti mais la plupart du temps remplacé par la flûte traversière.
Je suis contente d'avoir assisté à la répétition générale avant de me rendre hier soir à Bastille. Les trucs qui m'énervent dans la mise en scène auraient pris le devant et m'auraient empêchée de profiter pleinement de la musique et du chant tandis qu'hier il m'a suffit de « déconnecter » le canal mise en scène aux moments cruciaux pour jouir du reste !
Rendez-vous le 6 octobre pour ma dernière Lucia de cette saison ! ;)
Diffusion radiophonique :
Cette production de Lucia di Lammermoor sera diffusée le 7 octobre à 19 heures sur France-Musiques.
Encore Lucia !
- L'avis des blogueurs :
Zvezdoliki - Véhesse - Matoo - Palpatine - Juju - le lapidaire mes bouquins refermés ;) - Un amateur - Oli - Laurent (paris-broadway) - Ikkare - et (que je découvre à cette occasion) Astorg, etjedanse, Rameau (mais lui je l'ai déjà croisé sur les forums), lechtiparigot - blosphère - Operanight - Sarastro - Blabla.
- Critiques on the web : Concertonet - Le Journal des spectacles - Le Monde - Concertclassic - Les Echos - Le Figaro
- Sur les forums : fil Opéradatabase - fil Opéra Giocoso
- Pour sourire : L'histoire de Lucia racontée par L'opéra farfelu en trois parties (1, 2, 3).
Lire aussi l'interview de Natalie Dessay par Altamusica.
Commentaires
Ca c'est de la critique, mazette !
Et youpi, de nouveaux blogs à mettre dans l'agrégateur pour la rubrique musicale (quoique : Mahler et Ravel "deux des compositeurs que je déteste le plus, chacun incarnant à sa manière le mauvais goût petit-bourgeois du début du vingtième siècle", ça promet de franches rigolades !)
oué ! super-billet. Maintenant que tu as vu la générale et une vraie représentation, tu confirmes que vocalement les chanteurs s'étaient économisés le soir de la générale ?
Nathalie Desssay, c'est la Sylvie Guillem du lyrique non ?
flo, c'est ça oui ;) Zvezdo, oui je confirme. Ça tient à des petits riens, l'essentiel était là à la générale, mais plus de prise de risque dans les aigus et d'ornements dans la folie pour Dessay (et sans le cri et les rires de démente, glaçants hier soir), l'orchestre plus homogène, enfin je sais pas si c'est comme ça qu'on dit mmmm plus « dense », « rassemblé » (???), Tézier plus sonore, des choses comme ça. Il est possible aussi que tous prennent plus d'assurance aussi au fil des représentations. Je pense en particulier à Matthew Polenzani qui faisait son baptême parisien, ça doit être source de trac supplémentaire de débuter dans une « grande » salle d'opéra.
Moi même, à mon premier Paris-Carnet... :-P
C'était Sublime !!! Ps : Le 06 Octobre je penserai à toi, car cela m'aurait plu aussi de remettre ça, si je puis m'exprimer ainsi ;)
hhmmm.... Chuis pas gay....
Alors tu entres dans l'une des deux autres catégories...
Ce doit être mon côté féminin, je sais, c'est trompeur (j'étais rasé pour une fois, au moins ? Même pas sûr...)
Bon mais alors tu lui mets combient finalement à Natalie pour les barres asymétriques et la poutre ? Et Nadia Comaneci (oui je sais on a les références de son âge, que voulez-vous ?) a-t-elle bien chanté ?
A part ça je remarque que la madonne des blogs assume presque d'avoir "la libido placebotable dans le lyrique" et que Palpatine en profite pour faire son coming out (je vois pas pourquoi l'expression serait à sens unique(s :-) ). Ça doit être une sorte d'effet Dessay-retard, cette vague de confidences aussi osées qu'inattendues. Elle a dû vous émouvoir pire qu'un enchanteur la potion magique dans sa marmitte.
Elles étaient symétriques, les barres. J'ai passé ça au bac, bah je veux dire, elle aurait pu chanter en faisant une chandelle, c'est décevant. Et puis, y'avait bien un cheval d'arçon au début, mais elle n'était pas là. Sinon le metteur en scène nous a même casé des rubans et des ballons, c'est de la gymnastique rythmique, cette mise en scène, il a dû la faire (commettre ?) en regardant les championnats de Bercy, ou les JO, c'est pas possible autrement...
Y'avait un symbole là-dedans, au fait ? Ça a dû m'échapper -_-. Natalie chante tellement bien, en tout cas, que ça nous ferait presqu'oublier tout les agrés hors sujet au milieu... :)
Les barres sont parallèles pour les garçons, et asymétriques pour les dames :-)
Au début, je me suis demandée si tu ne t'atis pas trompée et que tu n'avais pas attéri au cirque !
Bon, ce billet me rassure un peu. Tu m'avais foutu les chocottes après la générale.
Prête pour le 6 !
Merci pour le lien, je fais de même !
C'était un moment Merveilleux .....La symbolique, vous comprenez ? si non n'allez pas voir le spectacle ... écoutez-le... c'est moins cher !!!
Désolé les enfants, mais pour avoir vu les trois productions (Anderson, Devia et maintenant Dessay), la moins italienne et de très loin la moins belcantiste est bien Dessay. Certes, c'est brillant, mais en rien Lucia. La production paraît très acrobatique, mais pas tant que ça (les metteurs en scène sont souvent un peu frappés de la tête mais quand même) et puis si Devia s'en est très bien sorti, imaginez Dessay.... Bref, une superbe artiste... très médiatique mais en rien une grande prêtresse du bel canto avec ses longues phrases et ses sons piani. Donc pour mémoire, revoyez Anderson en 1982 à Genève, Devia à la Scala et vous comprendrez (peut-être) ce que Bel Canto veut dire. Attention, ce n'est en rien une critique, c'est même honorant d'être comparé à une anderson, sutherland, devia et autres... mais hélas on est très loin du niveau. Quant au choix de la version Sills Schippers, c'est effectectivement un choix royal ! Sills y fait preuve comme toujours d'une sensibilité, d'une délicatesse et d'une vocalité époustouflantes que même sutherland n'a jamais égalées. Écoutez enfin les longues phrases sans fin, le souffle infinie, les notes jamais prises "par en dessous", ses aigues sans effort. Du coup, je file sur le champ écouter le duo Sills/Diaz et me délecter du contre-fa en boucle !
Bonjour je vends des places de l’Opéra « il dissoluto punito ossia il don giovanni » avec l’orchestre et chœurs de l’opéra national de Paris pour samedi 20/01/2007 à Opéra Bastille, elles sont au 1er Balcon, à 117 euro/place.
Si vous êtes intéressé veuillez me contacté au plus vite : Ric.alain@yahoo.fr , les places seront remisent en main propre sur Paris.