Au revoir Bereno, et merci
Par Kozlika le dimanche 8 octobre 2006, 09:38 - Lien permanent
A la demande de sa hiérarchie suite à la parution d'un billet (je ne sais pas lequel, mais vous pouvez suivre la discussion à ce sujet chez Maître Eolas), Bereno a fermé son Journal d'un inspecteur du travail. Il ne souhaite pas s'opposer à cette injonction et a demandé aux blogueurs qui avaient commencé un mouvement de soutien de s'en abstenir et d'arrêter de republier ses billets. Dont acte, j'ai aussitôt « vidé » le billet que j'avais écrit en apprennant la nouvelle, mis hors ligne les quelques commentaires qui l'accompagnaient et en ai remplacé le contenu par un renvoi vers le billet de Maître Eolas, le temps de le réécrire en tenant compte de sa demande.
Bien que je me désole que ce blog disparaisse, bien que je sois en colère qu'une fois encore un blogueur soit muselé parce que ses propos dérangent, bien que je regrette que Bereno ne veuille pas se battre pour défendre son droit à la liberté d'expression - n'aurait-il pu négocier la simple mise hors ligne du billet déclencheur de l'ire de ses supérieurs si toutefois il pensait également cette publication malvenue ? - je peux comprendre qu'il place ses priorités et sa pugnacité ailleurs (le blog, dit-il ne représentait pour lui qu'une activité annexe), à commencer par la poursuite d'un métier qui le passionne.
Gérard Filoche[1] lui conseille de ne pas céder et en appelle à leurs syndicats pour, écrit-il, « défendre nos missions et notre liberté d’expression qui est nécessaire afin de les exercer ». J'espère que l'un et les autres entendront cet appel mais en attendant je respecterai le vœu de Bereno.
Il reste que c'est le troisième blog français contraint d'arrêter ses publications en 2006 (à ma connaissance, il y en a peut-être d'autres disparus sans faire de bruit) et cela ne laisse pas d'être inquiétant, tant il semble que les blogs sont soumis à des interdits, à des censures plus drastiques que les publications papier. Je suis à peu près certaine que Garfieldd aurait pu publier le même contenu chez un éditeur sans encourir autre chose que les regards en coin des « bons bourgeois » de sa ville[2], que Petite Anglaise n'aurait pas été inquiétée si ses récits avaient été imprimés (ou pas dans les mêmes proportions) et le contenu des ouvrages de Gérard Filoche n'est pas plus édulcoré, loin de là, que celui du blog de Bereno.[3]
Si Garfieldd a finalemement retrouvé sa place dans la fonction publique son blog a disparu à tout jamais ; Petite Anglaise a été virée par ses employeurs ; Bereno conserve son emploi mais nous ne le lirons plus. Des profs bloguent en cachette et se font désindexer des moteurs de recherche, d'autres apposent des mots de passe à l'entrée de leur site. Les blogs font peur, et pas seulement dans les pays dont on connaît la volonté de ne pas laisser circuler librement les idées.
Post-scriptum 11:15 : Au fait, j'étais une lectrice régulière quoique non assidue du blog de Bereno et je l'appréciais grandement. Si je n'en ai pas fait mention dans ce billet c'est que peu importe. Eût-il été écrit avec les pieds et totalement creux l'interdit n'en aurait pas été plus acceptable.
Notes
[1] Gérard Filoche est également inspecteur du travail et est auteur de trois ouvrages se rapportant à ce métier : Le travail jetable (1997), Carnets d'un inspecteur du travail ( 2004) et On achève bien les inspecteurs du travail (2004).
[2] Dans l'établissement de ma fille, par exemple, l'un de ses profs a publié quelques romans largement plus olé-olé que les billets de Garf !
[3] Signalons tout de même que les écrits de Gérard Filoche lui ont valu l'arrêt de sa progression de carrière. Je ne dis pas non plus que tout va bien dans le meilleur des mondes hors les blogs.
Commentaires
La frilosité de nos institutions vient sans doute de leur incapacité sinon à anticiper mais au moins à accompagner les mouvements de la société. Ce qui est inconnu leur fait peur, ce qui est transparent les effraie.
Par ces comportements elles contribuent à accréditer l'idée qu'elles ont des choses à cacher, des cadavres dans leurs placards, des valeurs à défendre. Mais ces valeurs là n'ont de morales ou républicaines que l'appelation : elles servent à stigmatiser, à etouffer, à écraser ceux et celles qui les questionnent. Un peu comme le faisait l'inquisition au moyen âge, on remplace la rationnalité par l'interprétation et le jugement moral manichéen : c'est bien ou c'est mal. Si c'est nouveau et imprévu, c'est mal. Tant qu'on n'aura pas légiféré et encadré (muselé ?), aseptisé - au nom de la liberté bien sûr - il y aura un (des) risque(s).
j'aimerai que la banalisation des blogs jusque dans les hautes sphères de l'establishment serve la liberté d'expression. Je crains que ce ne soit qu'un leurre et une pathétique tentative de récupération.
Dommage pour Petite Anglaise, dommage pour Bereno.
C’est vrai qu’il y a quelque chose d’étonnant dans cette peur de l’internet. Comme si les « réseaux interconnectés », où les rumeurs les plus aberrantes se répandent et s’ébattent à loisir, ne posaient problème que lorsque la simple vérité factuelle prétendait y mettre les pieds.
Je l’avais dit (je crois) sur le billet précédent et le maintiens ici : tout ça me rend profondément mélancolique...
A défaut d'un soutien publique qu'il refuse (quelles pressions a-t-il donc dû subir ?), y a-t-il quelque part où l'on puisse au moins lui envoyer un petit mot de soutien ?
Je n'avais pas le temps de le lire tous les jours mais quand j'y parvenais j'étais toujours moins bête après qu'avant, rarement plus joyeuse, mais moins ignorante et bécassine béate (ma tendance naturelle comme Samantdi ( www.samantdi.net/dotclear... ) l'inventrice de cette expression le sait).
Il a déposé un message sur le billet de Gérard Filoche :
www.democratie-socialisme...
Son adresse mail y figure.
Un blog sur la corrida, tenu par une jeune fille passionnée et amis d'un torero a également été supprimé sans explication aucune par l'hébergeur.
Certes le réseau fait peur par son côté insaisissable et les réactions sont parfois disproportionnées j'en conviens, mais par "liberté d'expression" il faut aussi je crois avoir une attitude mesuré.
Internet est véritablement LE lieu d'expression ouvert par excellence, et justement parce qu'il est complètement ouvert, sans contrôle, tout le monde s'y exprime, pour dire tout, mais aussi n'importe quoi (c'est pas les exemples qui manquent !).
Je ne suis donc pas étonné par ces réactions excessives. Je déplore toujours qu'un blog soit fermé pour un billet qui dérange, mais il y a tellement d'abus que du coup quand ça "pique" un peut certaines susceptibilités, c'est la sanction au marteau pilon !
C'est dommage que le dialogue soit rompu et que ça finisse comme ça...
En tant qu'indépendant, j'écris ce que je veux sur mon blog, car je suis le seul juge de ce qui va choquer mon employeur-moi-même. Et si des clients n'aiment pas ce que j'écris, je peux me permettre le luxe de m'en foutre... A moins que...
Si un jour une filiale de Lagardère me fait miroiter un gros contrat, que se passera-t-il s'ils tombent sur le commentaire très critique que j'avais rédigé lorsque Généstar (le rédac chef de Paris Match) avait été viré pour avoir publié une photo de Cécilia avec son amant ?
Est-ce que ça va devenir un privilège de pouvoir bloguer à visage découvert ?
Fred, même si je partage tes inquiétudes sur la liberté d'expression des blogueurs, dans l'exemple que tu cites il ne me semble pas anormal qu'une entreprise n'ait pas très envie de bosser avec un gars qui les a descendus, que ce soit sur son blog ou au bistrot du coin. Nos paroles ont des conséquences qu'il me semble normal d'assumer.
Je m'attends par exemple assez peu à recevoir un jour une invitation d'Andrei Serban à une générale ;)
Bloguer est une nouvelle forme de résistance...
J'ai eu dans le passé le même type d'intimidations dans mon boulot et j'ai même assez largement payé pour m'y être opposé alors qu'and j'apprends qu'un gars qui a été interdit de bloguer demande lui même qu'on ne le soutienne pas ça me t...le c... !
Mon point de vue ici (je n'ai pas changé d'avis et comme on dit il n'y a que ls cons qui ne changent pas d'avis je ne demande que ça : changer d'avis !) http://www.taha.fr/blog/index.php?2006/10/05/80-bereno-un-inspecteur-du-travail-qui-derange