1994:34 en terre étrangère
Par Anna Fedorovna le lundi 20 novembre 2006, 21:14 - Mes petits cailloux - Lien permanent
Juillet 1994. La sœur de mon compagnon, femme de notable normand en villégiature estivale, m'invite au festival d'Aix-en-Provence pour assister à ma première représentation d'opéra. Tout m'impressionne. La suave douceur du soir, le charme des rues étroites bordées de bâtiments discrètement bourgeois, les terrasses des restaurants juste avant le spectacle garnies de dames fort bien (dé)vêtues et d'hommes très élégants, l'Archevêché et sa première cour intérieure où bruissent les conversations et les robes du soir, les parfums capiteux, la cour intérieure enfin, où se déroulera le spectale à ciel ouvert, plafond garni d'étoiles. C'est La Flûte enchantée. Les décors sont superbes, la musique enchanteresse, les chanteurs extraordinaires [1]. La cantatrice qui tient le rôle de la Reine de la Nuit est visiblement enceinte. Elle s'appelle Natalie Dessay.
Une soirée hors du temps, qui ne m'a pourtant pas poussée à me ruer sur les opéras parisiens. Pourquoi ? Parce que tout cela ne pouvait m'être que d'accès exceptionnel, rustresse provinciale invitée au mariage du prince et de la princesse. L'opéra c'était des robes du soir et des coupes de champagne à gogo, des oreilles élevées à la Grande Musique, des spectateurs distingués qui connaissent les prénoms de tous les chefs d'orchestre. Qui sont capables de resituer chaque œuvre dans leur contexte historique et musicologique. L'opéra est réservé aux riches ou aux spécialistes. L'opéra n'est pas pour les nuls.
Ce qui m'a fait y retourner enfin c'est une proposition du comité d'entreprise de mon lieu de travail pour des abonnements. On s'adressait donc bien à nous autres, les musicalo-incultes, en spectateurs potentiels.
Dans ma famille, la culture c'est, laaargement au-dessus de tout : les livres. Loin loin derrière, les arts plastiques (et les livres sur les arts plastiques) et plus loin encore, mais vraiment très loin alors, la musique. J'ai découvert, comme beaucoup, la musique symphonique au collège, avec Dvorak et La Symphonie du Nouveau Monde, les concertos pour piano avec L'Empereur de Beethoven. Et voilà. D'opéra point. D'ailleurs on changeait de chaîne dès l'apparition d'un orchestre, alors une cantatrice, je ne vous dis pas. Sauf bien sûr « Le Grand Echiquier », Jacques Chancel étant agréé culture par la familiae lex. C'est ainsi que j'avais été émerveillée par l'Ave Maria sarde interprété par Maria Carta, qui resta longtemps pour moi le summum du chant sacré[2].
Le problème de la faible fréquentation des concerts ou des opéras n'est pas, je pense, une question de tarifs : les concerts classiques ne sont pas plus chers que les autres, beaucoup s'en faut : je rappelle qu'on peut aller à l'opéra pour 5, 9 ou 20 euros, que les concerts de la cité de la Musique sont fort peu chers et que presque toutes les salles offrent des prix attractifs aux jeunes et/ou aux chômeurs. L'Italie, le Royaume-Uni, la Hollande, l'Allemagne ont un public de « classique » bien plus hétérogène que le nôtre. Je ne suis pas sociologue mais intuitivement il me semble que cette musique est plus marquée socialement et intellectuellement comme réservée au dessus du panier chez nous.
Si je cherche à entraîner le plus grand nombre à l'opéra parmi mes amis blogueurs, ce n'est pas seulement par désir de créer des interlocuteurs supplémentaires pour nous extasier (de concert, ha ha), ni seulement parce que je trouve ça trop dommage de passer à côté. C'est également parce que je sais qu'on a souvent besoin d'un passeur pour entrer dans un monde où l'on se sent étranger.
Notes
[1] Non, je n'embellis pas mes souvenirs !
[2] D'ailleurs si quelqu'un avait un mp3 sous la main...
Commentaires
Kozlika, juste un vibrant article sur ce moment d'opéra aixois, qui a bien dû compter autant que les billets du CE dans la genèse de votre passion. Il cherche à montrer qu'opéra et humanisme sont compatibles. Facile, non? Mais vous l'avez sûrement déjà lu. http://www.humanite.presse.fr/journal/1994-07-23/1994-07-23-704950
Hu hu, Hervé, c'est le lien de ma note 1 ;)
J'avais un ami qui adorait regarder l'émission d'Eve Ruggieri parce que disait-il, elle m'emmène dans un monde étrange et merveilleux, plein de robes du soir et de smokings, de boiseries et de chandelles...
J'ai toujours beaucoup aimé l'opéra, et je n'ai jamais pensé à le revendiquer, je m'en aperçois en lisant ton billet, Kozlika ! Peut-être que dans ma tête de naïve, ce n'était pas un genre de musique "à part". Bien sûr, je n'y connais pas grand-chose, en amatrice de base. (Je pourrai sans doute à peine en citer quelques-uns, et je vais rester dans Mozart de peur de dire des bêtises très vite, même si je suis sûre que j'en ai écouté de toutes sortes, et même, j'ai été choriste dans certains !).
Je vais aller lire le billet que tu as mis en lien - (comment fait-on écrit-on une note de renvoi en bas de page comme ça ? c'est drôlement pratique pour les gens comme moi qui passent leur temps à faire des incises et des parenthèses !)
Une Ave Maria en langue sarde ? Voici le cadeau de Noël idéal pour mes grands-parents alors :). Va falloir faire des recherches...
Koz j'aurais bien voulu écouter cette reine de la nuit !!! hum, là quand même, pour un début c'était beaucoup de chance!! C'est vrai qu'il y a beaucoup de snobisme autour des grands évènements... tanpis. La musique reste un art où il faut tellement de travail, tellement de talent pour arriver à quelque chose.... Mon admiration est sans bornes, tu vois....
Et aussi.... bien juste, la fonction du "passeur" ! Dommage que nos enfants ne soient pas formés à la musique dans les écoles(ou si peu) qu'il n'y ait pas de chorales, pas de liens entre l'école et les conservatoires! l'enseignement musical dans les écoles de musique gratuit, avec heures de soutien gratuit , tiens , à rajouter dans le programme des futurs candidats aux presidentielles!
à noter aussi que Dvorak a fait des super claviers! -> bon sinon c'est le même problème partout, non? par ex. l'art contemporain, c'est pas trop abordable à l'homme de la rue, sans le décodage qui va bien...
34... Mince, j'ai trois ans de retard déjà...
Je me souviens de mon premier opéra, c'était au cinéma à la projection de Don Giovanni. Couillon n'est-ce pas que d'avouer goûter un opéra au cinoche ;-) J'étais en première et nous avions étudié la pièce de Molière en parallèle avec le livret de Da Ponte. Une révélation, un choc sexuel presque... J'avoue que depuis je n'ai pas fait beaucoup d'efforts envers cet art mais « mil e tre » me ravit toujours... A te lire j'ai l'impression qu'il va falloir que je revienne à mes premières amours...
Otir, quand tu écris un billet, tu as un lien Règles de formatage Wiki. Pour la note en bas de page$$note en bas de page qui ne marche pas ;-)$$, tu encadre de deux signes dollar ($) avant et après le texte de la note.
Ce que tu écris sur l'opéra de quand tu n'osais pas, aux costumes près, c'est ce que je pensais de l'écriture, jusqu'à ce que moi aussi on me prenne par la main pour me dire qu'il n'y avait pas de raison, que non, que ça pouvait être aussi pour moi, patate. A l'usage ce n'est pas si simple parce que la compatibilité avec la vie des nuls est extrêmement faible, malgré l'internet démocratique et salvateur, mais le blocage était du même ordre. C'est des trucs de riches, c'est donc pas pour moi.
Paradoxalement, mais on en a déjà causé, l'opéra n'a jamais été intimidant pour moi. Seulement le prix des places avant qu'en partie grâce à toi je connaisse les combines. Mon Italien de père en écoutait naturellement à longueur de dimanche. Je lui dois au moins ça. Je n'aimais pas trop les voix de femmes aigues, ça me cassait les oreilles mais j'adorais les choeurs, déjà, et je trouvais les basses rassurantes (?!). Peut-être qu'à cause de ça je ne serai jamais une connaisseuse subtile : je connais bien des airs mais ils n'ont pas de noms (1), ils se succédaient dans la radio de mon père ou son électrophone qu'on n'avait grand dieu pas le droit d'approcher. Quant aux interprètes, une seule identité de ce temps m'est restée : Giuseppe di Stefano et encore c'est parce que ma mère l'appréciait (et que conséquemment mon père, non, surtout pas, et Caruso tu en fais quoi ?). Donc OK, l'opéra c'était pour les riches, y aller en tout cas, mais en écouter ou fredonner les airs c'était pour les riches ET les Italiens, na ! Et pour une fois, moi j'en étais et ça posait aucun problème d'être une fille pour aimer ça (2). Pourquoi se priver ?
(1) et comme j'ai l'impression de déjà connaître, du coup je ne mémorise pas lequel est quoi, qui chante quand etc. (2) contrairement au football
PS pour Palpatine : si tu trouves, ça m'intéresse itou.
2 D'ailleurs si quelqu'un avait un mp3 sous la main ... --> ai trouvé 'Maria Carta - ave maria deus ti salvet maria' est-ce la chose recherchée ? ... à télécharger ici (je le laisse 24h !)
Au fait, un truc que j'ai appris il y a peu chez Joël, la symphonie nº9 d'Antonín Dvořák est la symphonie Du nouveau monde et non la symphonie du Nouveau monde...
Aux tempes pour toi ? ;-)
Pffffffff et en plus je l'ai lu ce billet...
Merci gentille passeuse !
Je ne sais pas si ce chant de Maria Carta est la chose recherchée mais oh merci Ricou. Ça me rappelle l'enfance sarde que je n'ai pas eue (quelque chose de cet ordre). Je m'en vais rechercher si je trouve plusieurs chants du même type et interprétés par la même personne (sur disque encombrant, éventuellement)
Merci François !
J'en ai fait une note bien sûr...
Impressionnante cette Maria Carta, je vais tenter une recherche à la fnac (Châtelet a priori), je commanderai s'ils n'en ont pas, apparemment il y a un tas d'albums qui ont été enregistrés dixit wikipedia (bon, contrairement à Gilda, je loue la bonne idée d'immigration de mes grands-parents :p).
Bon et sinon les enfants, je suis déçue-déçue, pas un seul amateur d'Heinlein pour relever le titre du billet ? :'(
Mais si je me souviens de ce livre, que j'ai même "étudié" la fac.
Et le précédent tu aurais pu l'intituler Vendredi.
@Gilda: Maria Carta est définitivement retirée à la fnac et à Gibert, pour cause d'éditeur qui n'existe plus, et d'épuisement total (impossible de commander, donc). Les recherches sur le net montrent d'ailleurs qu'il n'y a quasiment plus rien, et la grande majorité a dû rester au stade du vinyl. Mais ! Amazon en a encore ! (enfin, un de moins déjà :p ) Il s'agit de "Chelu e mare", où figurent deux ave maria :). Il est indiqué qu'il en reste deux, mais j'en ai déjà commandé un, pas très à jour le compteur (faut dire qu'il faut passer par un autre revendeur, le site fait juste interface) ; en version américaine, on peut en commander un depuis l'Autriche aussi...