1968:8 nous sommes tous des dissous en jouissance
Par Anna Fedorovna le mercredi 20 décembre 2006, 22:22 - Mes petits cailloux - Lien permanent
(Ce billet est spécialement dédié à m'sieur Ka, parce que ce n'était pas la fête pour tout le monde et que vous devez offrir/vous offrir ce livre.)
Mai 1968. MÉHEU !!! Maman et Cassandre vont à une manif et elles n'ont pas voulu m'emmener, elles disent que je suis trop petite et que ça risque d'y avoir de la bagarre. Alors on m'envoie dormir chez la grand-tante Lulu, beurk et re-beurk et un milliard de fois beurk ! Elle est, je sais pas comment dire : moisie. Voilà : moisie de la tête aux pieds. C'est pas qu'elle est pas gentille mais chez elle ça respire pas. Ce que j'aime bien c'est qu'elle a la télé parce qu'à la maison on n'en a pas et il y a Histoires sans paroles le dimanche. Et puis j'aime bien son pot avec le jardin japonais : des petits personnages et plantes en plastique qu'on plante dans du sable. Elle me laisse parfois y jouer. Mais le truc qui ne me plaît pas du tout c'est qu'il va falloir dormir avec elle dans son lit ! Beurk et beurk et rebeurk ! J'étais d'accord pour rester toute seule à la maison mais Maman ne veut pas, pfffffff.
La semaine dernière on est allées voir Cassandre à la Sorbonne. Elle dort là-bas avec ses copains. C'est comme une colo mais sans monos, ils ont des réchauds à gaz comme au camping et se font à manger et du café. Quand on est arrivées Maman a demandé si quelqu'un savait où on pouvait trouver Cassandre M***, étudiante en histoire. Alors le garçon à qui on avait demandé ça s'est tourné vers un autre avec un foulard autour du bras et lui a dit « Dom, elle est où, Cassandre ? Il y a sa mère qui la cherche. » Le garçon a levé la tête, il était en train de faire une affiche, et il a bougonné « J'en sais rien moi, je ne l'ai pas dans ma poche ! » Et tous ses copains l'ont regardé en rigolant. (Quand on est rentrées, Maman m'avait dit qu'elle était sûre qu'il y avait anguille sous roche, et après quand elle est rentrée et que Maman lui a demandé Cassandre a dit que oui hi hi !)
Des fois, au milieu de la nuit, Cassandre téléphone d'une cabine pas cassée pour dire qu'elle est coincée par les CRS et qu'il faut que Maman vienne la chercher. Alors nous on prend la Simca 1000 et je me couche derrière avec une couverture et quand les policiers veulent nous empêcher de passer je dis « Maman on est bientôt chez le docteur ? J'ai maaaaaaal ! » Maman me dit de pas en faire trop mais c'est dommage j'ai plein d'autres idées pour sauver Cassandre, moi ! Enfin tant pis.
Il faut aller chercher de l'essence aussi des fois, alors là ça prend des heures. Déjà il faut faire la queue devant la station, mais c'est surtout Maman qui nous ralentit. Dès qu'elle voit qu'il y a un groupe qui discute sur un trottoir, paf, elle se gare n'importe comment et on y va. Et alors là elle se laisse pas faire, Maman, s'il y en a qui disent du mal de Cassandre et ses copains elle lâche pas le morceau, jusqu'à ce que ce soit l'autre qui abandonne. Elle se laisse pas faire Maman et après elle a les joues toutes rouges, j'aime bien, on s'amuse bien en ce moment.
Mais dormir chez Tante Lulu, alors là : BEURK !
PS : pour les nostalgiques, la célébrissime photo de Gilles Caron et plus d'une centaine de photos de Michel Baron. Le titre de ce billet est un détournement d'une chanson de Dominique Grange, La Pègre.
Commentaires
beurk et rebeurk, belle nostalgie tes derniers post sur ces années là, un bon moment d'émotion.
Superbe photo de Dany le Rouge ! Alors tu trainais à la Sorbonne ! Eh ben! Quelle époque, ça me rend nostalgique... j'étais en province ,j'avais vingt ans, je terminais mes études d'infirmière... c'était dur.Je me sentais heureuse à l'idée d'une révolution , mais ne saisissais pas bien la portée des évènements.... grande époque, qui nous a donné le mouvement de libération des femmes !
J'avais tout juste 4 ans, en province, sans doute pas la tv à la maison, et ça fait tout drôle de vivre de l'intérieur via ton billet, cette ébullition. vous êtes une sacré famille de caractère :o) J'aime beaucoup le rôle de la fillette malade à l'arrière de la simca 1000. Quel applomb !
simca 1000, Sorbonne, CRS, affiches et foulards, tout une époque !!! C'est dommage, de tout ça, ce qui nous reste le plus aujourd'hui, c'est les CRS...
Je te signale en passant que le disque de dominique grange a été réédité et qu'il est toujours aussi bien. En tout cas nous on l'écoute en boucle !
@lepoitevin erreur, il reste aussi des foulards, mais pas les mêmes... C'est beau la nostalgie, mais que reste-t-il en héritage ? Un génération qui a voulu tout casser dans les années 80 (souvenez-vous, à cette époque, la révolution passait par le travail) Une bulle internet (la première en 2000, la seconde pour l'année prochaine, peut être 2008) Et des jeunes déboussolés, démotivés qui appellent aux extrêmes (gauche et droite) pour avoir une orientation. Mauvaise bien sûr. Et demain ?
tante lulu la bien nommée!
Lucienne à l'état-civil. Elle était asthmatique, quand on a eu la deudeuch écossaise qui n'arrivait pas à monter les côtes on l'a baptisée Lulu aussi sec (oui les enfants sont cruels).
Depuis hier je n'arrête pas de me passer le générique d'Histoires sans paroles (le lien dans le billet) en boucle. C'est troooooop bien :-D
C'est marrant, avant que ma bécane ne me plante alors que je lisais (tentais de lire, plus exactement) ce billet, j'y pensais au lien vers le livre de monsieur KA. Comme quoi ce n'est pas anodin. Non seulement j'ai le sentiment de n'être pas née au bon endroit, mais également 5 à 7 ans trop tard. J'aurais aimé en être, ne serait-ce que dans une Simca 1000 (nous en eûmes une aussi) mais c'était moi l'aînée et puis mes parents n'auraient jamais aidé (l'un, étranger, par trouille d'embrouilles qui mènent au rejet, l'autre par peur du désordre et de ne pas être une "gens bien"). Je me console en me disant que probablement j'y aurais trop cru, que j'aurais été inconsolable. La chronologie a donc voulu que je fasse partie de la génération des nés-désenchantés (la BOF-génération que les médias disaient) tout juste bons à ramasser les miettes et à se prendre en pleine tronche le retour conservateur de balancier, les postes-clefs déjà pourvus par ceux qui passé leur grand moment de combat et de liberté n'ont eu pour beaucoup (pas tous) de cesse que de se renier. Bref un horizon collectivement bien bouché (1).
J'aime beaucoup le "oui hi hi" .
(1) bien évidemment individuellement on peut toujours s'en sortir, seulement tout le monde ne bosse pas en salle des marchés ;-)
J'aurais bien aimé dormir chez Tante Lulu, le 13 mai 1968 j'ai passé toute la nuit dans l'entrée d'un immeuble rue Gay-Lussac (heureusement y'avait pas de digicode à l'époque) avec d'autres paumés comme moi et un CRS devant la porte. Le pire de tout : envie de faire pipi toute la nuit ! Merci pour tous ces souvenirs touchants et attendrissants.
Oulalah, m'dame la Fée, une telle pube pour un de mes zouvrages, c'est trop… Mille mercis.
La Sorbonne aux mains des zétudiants-diandian, j'm'en souviens comme si c'était hier, ouais. Et notamment d'un grand portrait en pied de Richelieu, probablement, qui trônait sur un palier menant vers des amphis. Ladite toile avait été percée d'un coup de couteau et même si ça n'était pas un chédeuvre, j'en avais été attristé.
Sinon, je regrette de n'être pas allé aux Bôzarts zoccupés, j'aurais bien voulu voir les ceusses qui créaient les affiches sérigraphiées qui disaient, entre autres, La police vous parle tous les soirs à 20H, Nous sommes tous indésirables, Nous sommes le pouvoir.