Elles disent.

Au début, avant Massy-Palaiseau, où nous ne sommes restées que quelques mois, on a habité toutes les trois dans un tout petit studio dans le 13e. Ton berceau était au bout du lit où nous dormions toutes les deux. Le matin quand tu te réveillais et que tu as été assez grande pour le faire, tu passais de ton lit au nôtre. Tu étais très sage, tu as fait tes nuits en rentrant de la maternité, ne pleurant quasiment jamais. Par contre tu nous inquiétais, tu n'as commencé à parler qu'après deux ans bien tassés. Pas le moindre mot d'enfant auparavant, pas même « papa » ou « maman ». (Cassandre dit : si si, souviens-toi elle a dit un mot un seul jusqu'à deux ans « ca-handre », mon prénom.) La directrice de la crèche se faisait du souci aussi à ce sujet. Un jour elle nous a donné le numéro de téléphone d'un spécialiste. Tu as commencé à parler le lendemain ou le surlendemain. Incroyable.

Je me souviens.

De la crèche. Faux souvenir. Mon deuxième lycée en était tout proche et nous sommes revenues habiter quelque temps dans le treizième arrondissement quand j'avais entre 14 et 18 ans. J'y suis revenue depuis 2002. J'habite pratiquement en face. A l'époque du lycée, j'y suis allée, la directrice était la même, elle se souvenait de moi à cause de cette inquiétude qu'elle avait partagée. Il m'a semblé que je reconnaissais les lieux mais j'avais tellement envie de les reconnaître que je ne sais pas si c'est vrai.

Je me souviens que le passage d'un lit à l'autre s'est fait dans l'autre sens pendant des années avec ma sœur jusqu'à son mariage. Dès que notre mère était couchée elle venait me rejoindre dans mon lit-bateau et tâchait de se réveiller avant Maman pour retourner dans sa chambre. Quand elle est partie, j'ai eu beaucoup de mal à m'habituer à dormir seule.

1988, Maman m'aide à envoyer les faire-part de naissance de mon aîné. Elle dit : En 1962, ta grand-mère Louise était à l'hôpital, elle savait qu'elle allait mourir, un cancer. De l'hôpital elle a téléphoné à la femme de ton père. C'est elle qui lui a appris ton existence. Alors Aïda a voulu te rencontrer. J'ai dit : « Pas sans moi. » Alors ça ne s'est pas fait. Vers 1974-1975, avec Claire,[1] on nous avait demandé de faire des interview dans la rue pour un exposé. Alors on a eu l'idée de choisir comme thème la fidélité et d'aller interwiever « par hasard » la femme de mon père qui tenait une boutique d'accessoires de mode, je savais où. Je n'ai jamais osé ni même jamais osé non plus me poster à un coin de rue pour la voir sortir et connaître son visage. Je ne sais pas à quoi elle ressemblait.

Notes

[1] Claire, c'était bien avec toi ?