Mon père voulait un garçon. Ainsi ronchonna-t-il à ma naissance auprès de ma mère, qui lui rappela aimablement que ses études scientifiques jeune homme n'avaient pu le laisser dans l'ignorance 1/ de la loi des statistiques, 2/ et surtout de qui de l'homme ou la femme apportait la dose de x et de y qui décident de ce point de détail.

Il a dû rapidement se faire une raison car je n'ai jamais eu l'impression que je n'étais pas « du bon côté » du chromosome. En revanche, si je n'ai pas été élevée à devenir commando parachutiste, rien non plus n'a été fait ni de sa part ni de celle de ma mère pour me pousser dans les fifilleries. La mode et les mœurs n'étant pas encore à l'éducation égalitaire, j'ai été très vite classée dans la tribu des garçons manqués, comptant plus de pantalons déchirés aux genoux que de traces du rouge à lèvres de maman sur mes chemisiers. Ma mère refusait le statut minorant qu'on faisait aux femmes et mon père détestait les minauderies (enfin pas toutes semble-t-il, mais du moins pour sa fille...) J'ai donc fait du judo, été priée de faire le maximum dans mes études, interdite de dentelles et de vêtements roses (j'en connais une que ça aurait drôlement frustrée !), entendu railler les journaux féminins de tous temps, tancée sévèrement à la moindre tentation de jouer de la larme pour obtenir quelque faveur.

L'éducation différente du gros du lot, si elle comporte d'indéniables atouts, a toujours le revers de sa médaille : constatant autour de moi les trousses de maquillage complètes, froufrous aux jupons, barrettes à qui mieux-mieux et exclamations d'admiration sur leur joliesse par les parents de mes copines, ne pouvant devenir sourde aux perpétuelles remarques admiratives sur la beauté de ma mère et de ma sœur, qui de surcroît se ressemblaient énormément tandis que je suis le portrait craché de mon père, valoches comprises, j'en tirai la conclusion qui s'imposait. Faute d'être jolie ou de présenter quelque compétence féminine on me poussait à développer d'autres talents.

J'en ai parlé il y a quelque temps à ma mère, effarée de l'apprendre, la pauvre. Je ne doute pas que loin d'eux fut cette intention. Le hic c'est que les mauvais lierres de ce genre qui grandissent avec vous sont durs au désherbage.