La transformiste
Par Kozlika le samedi 14 avril 2007, 19:29 - Lien permanent
Deux jeunes filles montent dans mon wagon de métro et prennent place côte à côte en face de moi. Elles pépient sur le rythme rapide de celles qui ont peur de ne pouvoir tout se dire avant de se quitter.
Leur sujet de conversation, celui qui les tiendra les quatorze stations du voyage c'est LA rumeur, celle qui enfle et court depuis quelques jours dans les murs de leur école ou lycée : Nan mais zyva, tu le crois, toi, que Tara et Christophe... ??? Elles spéculent, calculent, tentent de remonter le puzzle de ce que Truc a dit à Machin de ce que Christophe racontait sur Tara, sauf que ça colle pas avec ce que Lucille disait à la teuf chez Jenny. Naaaaaaaan, j'le crois pas, on aurait vu quelque chose. Quoique : du coup je comprendrais mieux comment il a tracé l'autre jour en sortant du cours d'éco. Nan c'est pas possible, ça serait trooooop gore !
La conversation, toute prenante qu'elle soit, n'empêche pas celle qui se trouve en face de moi de plonger une main dans sa besace pour y puiser une pochette (sans rayures) de son sac, s'y emparer de lingettes démaquillantes et entreprendre le toilettage de son visage et son cou, puis d'y replonger pour d'autres petites lingettes rondes qu'elle se passera énergiquement sur les paupières et sous les yeux, le tout sans miroir, au jugé, mais ma foi fort efficacement : toute trace de rouge à lèvres, rimmel, mascara et fard disparaissent.
La copine prend les cotons et lingettes usagées au fur et à mesure que la démaquillante les lui tend et les enfourne dans la poche de sa veste. Elle récupère ensuite sur ses genoux la pochette d'où son amie a extrait un flacon de dissolvant et encore des petits bouts de coton et pose sa main sous la sienne pour offrir un semblant de stabilité à l'entreprise suivante : le retrait du vernis à ongles rouge pétard qui pourtant me semble quasi neuf (mais je ne suis pas une référence).
Elles commencent d'autant plus à m'intriguer que le tout est pratiqué avec une aisance de vieilles routières et un détachement serein vis-à-vis des voyageurs qui les observent.
« Merde, » interrompt la Nettoyeuse au beau milieu de l'élaboration d'une hypothèse qui expliquerait que Tara et Stéphane se seraient quittés, « je n'ai pratiquement plus de dissolvant. » « T'inquiète », la rassure l'autre. « Je t'en achète ce soir au Franprix. » « Super. Merci ! Je te donne le fric demain, ça ira ? J'ai rien sur moi là. » « Oui, oui, c'est bon », s'impatiente l'autre qui aimerait bien finir sa théorie de la rupture.
Et ça pépie de plus belle. Le reste de dissolvant reprend sa place dans la pochette, qui passe des genoux au sac de la copine (Uh ? C'est la copine qui rembarque la pochette ?)
Toute-Fraîche ferme tous les boutons ouverts de son cardigan, ce qui fait beaucoup de boutons à l'aune du large échancré sur peau nue avec amorce de soutif précédent. Elle replonge dans sa besace. Elle en sort une pochette zippée à surgelés renfermant une étoffe de fin coton blanc et se tourne bien en face de son amie : « C'est bon là ? » Inspection minutieuse de l'accessoiriste : « C'est OK. » Bien-Sage plie soigneusement son foulard, le pose sur la tête, en remonte les pans sur le bas de son visage. Hochement du menton de la copine qui ajoute l'emballage plastique à son barda : impeccable.
Je suis bouche bée. Je jette un coup d'œil vers la femme de l'autre côté du couloir qui comme moi n'en a pas perdu une miette. Echanges de sourires : cette gamine a de la ressource disent nos regards croisés. Alors là oui, je suis épatée !
Bercy. Très-Humble jaillit de sa banquette. « Mon changement ! A demain, tu n'es pas en retard hein ? Huit heures moins dix sur le quai ? » « Putain, merde alors ! J'ai déjà été en retard ? » demande l'autre sur un ton quasi attendri. La Voilée rigole : « Naaaaan, j'déconne ! Essaie de savoir pour Stéphane s'il n'est plus avec Tara, hein ? »
L'opération complète aura occupé pile poil les quatorze stations. Un timing parfait pour une transformation radicale.
Commentaires
cela me rappelle étrangement quelques chose cette histoire..... décidemment rien ne change :)
Le génie humain à l'oeuvre, côté féminin...
eh bien moi je trouve cela très réjouissant !
Je ne sais pas si ce qui me plaît le plus, c'est les deux donzelles complices, ou la façon dont tu les racontes...
Ce qui me réjouit assurément, c'est que tu sembles avoir retrouvé le goût d'écrire.
Ce qui me réjouit partiellement c'est de me dire, tout n'est pas perdu, les jeunes ne sont pas (toutes) dupes, certaines savent même se défendre habillement de l'enfermement.
Ce qui m'afflige profondément c'est de me dire qu'on est en 2007 et que pour certain(e)s on en est (encore) là. Comment peut-on croire qu'un dieu quel qu'il soit puisse être satisfait voire même exiger que la moitié de son humanité soit contrainte de vivre emballée ? Comment concevoir que les hommes et les femmes pour se respecter doivent vivre séparés ? Nous faudra-t-il donc toujours pour survivre, tricher (cf. les femmes "en cheveux" et déconsidérées de nos générations tout juste précédentes) ?
Bon courage aux plus jeunes. A toutes les plus jeunes.
euh pardon "habilement" (lapsus révélateur)
PS : Est-ce possible, d'aucunes auraient donc des cardigans à boutons et des trousses sans rayures ?
Pfoui, aucune chance de jamais épouser un footballeur alors ;-) !
Hi hi, Gilda, je me suis fait la même réflexion en y repensant ;) (Pour ceux qui ne comprennent pas il faut lire le billet de Samantdi que j'ai mis en lien dans le billet.)
Milky, merci !
On me l'avait bien dit : les filles sont de vraies raconteuses d'histoires... :)
Excellent billet, j'ai adoré !
Tout est dans l'entrainement, je dis!
Rololo, à peine ton billet paraît-il sur Bloglines qu'il y a déjà tous les commentaires que je voulais mettre... Faut que je change d'agrégateur, moi.
(Uh, je viens de vérifier la date. En fait, non, faut juste que j'arrête de travailler le week-end, histoire d'avoir le temps de jeter un oeil à Bloglines... hi hi hi)
Moi par contre cette histoire m'attriste profondèment...
Car la vraie question c'est pourquoi cette fille maquillée est-elle obligée à tout ce transformismee ? Si elle se retrouve contrainte pour des raisons familiales, ou pour quelques autres raisons que ce soit, qui s'imposent à elle plus qu'elle ne les as choisies, c'est tout de même assez pathétique... Alors je suppose que c'est sa manière de se rebeller contre quelque chose qu'elle ne choisit pas, c'est déjà çà, mais c'est quand même triste et curieux tout çà.
Il y a de nombreuses histoires du même genre dans la BD "Tamara" chez Dupuis. Tamara est une jeune fille "grosse" qui a une belle-soeur noire et attendrissante et une meilleure amie "beur" avec un père ultra-strict (foulard, toute peau couverte, pas de sorties, pas de contacts avec les garçons). Tamara aide donc régulièrement son amie à sortir tranquillement, à voir des garçons en cachette, etc.
(Si vous achetez la BD juste pour cet aspect, prenez le dernier tome parce que le personnage est plutôt récent dans la série)
Pathétique ! Comme tu y vas Serge. Je ne vois pas là de quoi nous émouvoir à nous tordre de douleur. Je trouve moi aussi cela tout à fait réjouissant et j'abonde avec Anita : « le génie humain à l'œuvre ». À quoi bon prendre l'obstacle de front alors qu'on peut le contourner. Pour le reste on verra plus tard et je n'ai aucune inquiétude sur l'avenir de ces jeunes filles.
http://atilf.atilf.fr/dendien/scrip...
Je me souviens d'une fille de mon collège (il y a 10 ans) qui se changeait dans les toilettes tous les jours, pas pour des raisons de religion mais de parents trop strictes à son goût (elle préférait le style gothique/punk). Très bon billet sinon !
Oui, un joli billet, un joli regard... Mais un exercice quasi impossible dans les villes moyennes, où certaines souffrent et s'étiolent, de ne pas vivre.
Très touchant ce billet : MERCI Kozlika ! J'ai revécu en le lisant ces moments où, il y a bien 45 ans de cela j'effaçais bleu et mascara que mon père,( pourtant si ouvert et tolérant selon mes copains et copines ) ne supportait pas sur mes yeux !
aucune inquiétude pour ces deux super nanas: face à elles les cons quels qu'ils soient n'ont aucune chance et c'est très bien comme cela, et dans 20 ans elles en riront encore!!!
Je prends le temps de compléter ce que je te disais chez Eolas hier soir : à son âge j'étais aussi une reine du transformisme. Certes je partais de moins loin et ma mère était prof dans le collège dans lequel j'étudiais (mais j'avais de bons itinéraires pour l'éviter). Mais c'est tout l'apprentissage de la féminité (ahem, parfois pas abouti, dans mon cas !) qui se joue dans ces transformations !
J'espère pour elle qu'elle pourra un jour ne plus se livrer à ces "contorsions" et qu'elle rira de se voir si belle en son miroir du matin au soir.
je pense, j'espère, qu'elle se trouvera toujours d'autres raisons, moins graves mais là elle nie leur importance supposée, de jouer avec ces possibilités - ne serait-ce que pour poliment être en accord avec l'entourage, et garder pour soi l'essentiel
Habitant une banlieue de la petite couronne parisienne, j'ai plusieurs fois vu ce manège... dans l'autre sens, en allant au travail le matin.
Etant un homme et malgré mes 5 soeurs et ma femme, j'avoue avoir mis quelques minutes à comprendre, la première fois, qu'il ne s'agissait pas d'une jeune fille qui s'était "levée un peu tard" et qu'il devait bien y avoir quelques cotons dans son sac...
Je suis du bord des optimistes dans les commentaires de ce billet : il s'agit plus de parents stricts que de religion, pas de réel danger pour cette jeune fille.
Ton histoire me rappelle ces deux frangines d'une dizaine d'années qui enfilaient leurs foulards chaque jour à la sortie de l'école, comme d'autres attacheraient leurs lacets, qui l'enlevaient chaque matin avant de passer la porte de l'institution, comme d'autres cracheraient un chewing-gum... Sans aucun scrupule.
Je les trouvaient parfaites : en adéquation avec les requêtes de l'école, en adéquation avec celles de leur famille (père ?) jonglant avec légèreté avec des codes divergents...
Moi aussi, j'échangeais mon velours contre un jean, et mes mocassins contre des baskets. Jusqu'au jour ou j'ai croisé par hasard mon père dans la rue. Il ne devait pas être là, moi non plus. Et ma vie a été beaucoup moins cool.
Mais il ne s'agissait pas du poids des traditions, d'une chape religieuse...
Que fera-t-elle, si un jour un frère, un oncle, un père la croise? Même si Paris est grand. Que deviendra sa vie?
::
Moi je suis confiante, elles sont solidaires, bien organisées, et ont compris que parfois le seul moyen de s'en sortir c'est de s'entraider...
Oui elles vont bien évoluer c'est sûr, elles sont solides.
Merci Kozlika.
Je visualise depuis toujours les écrits...parfois en les lisant à haute voix.
J'ai aimé le faire avec ce texte.
Joli billet.Je reviendrai vous lire.
Amicalement
merci pour ce regard "sociologique" qui réactualise la lecture de Michel De Certeau à travers les ruses que ces jeunes filles déploient pour inventer leur quotidien... un bel exemple de résistance ordinaire !
Je trouve que ça reflète bien le problème de vide existenciel des citadines du XXIe siècle. Hélas.
Tout à fait. Nos braves filles de la campagne n'avaient pas de temps à perdre en futilités et à cet âge-là étaient déjà mariées depuis quelques années et s'occupaient de leur marmaille, les joues rougies par les moissons. Ah qu'il était bon de les culbuter dans la paille ! Tout fout le camp, la Ville c'est le Diable, notre siècle c'est la Perte des Vraies Valeurs. Pauvres de nous.
Oui, c'est vrai, ça : "c'était mieux, avant..."
Merci pour ce billet si bien écrit. Je suis en fac d'arabe et combien de filles si jolies je croise enrubanées dans des tissus sombres... certaines sont toutes voilées de la tête aux pieds, portent des gants tandis que d'autres revêtissent la bourka en sortant de l'établissement car les règles de ce dernier l'interdisent...MAIS d'autres...
Délurées comme personne, elles croisent et entrecroisent les foulards, varient les couleurs qu'elles associent à leurs tenues qui savent de manière très class révéler les formes de ces charmantes demoiselles...Ca discute fringues, chaussures et prix du khôl au inter-cours, ça ricane et ça s'esclaffe devant la tronche du prof qui a tout du crapaud bref, ces filles sont la joie et l'insouciance incarnés, c'est un bonheur de les cotoyer...
Comme quoi on peut porter le voile sans avoir l'air austère et inaccessible...
Tout de suite, je repense à la nana des Années Collège qui se changeait en pute dans les chiottes du bahut pour allumer les mecs et se faire élire présidente des élèves.
Ca vieillit bien, finalement.
Et finalement c'était vrai ou pas pour Tara et Christophe? :-°
L'avocat du diable > Figure-toi que je me suis retenue à quatre de ne pas me pointer sur le quai en question à l'heure dite le lendemain ;)
aie !! je suis étonné car j'ai lu ce billet quelque part (Loic Manac) et il faut bien le dire les deux articles sont semblables ,le tien étant plus ancien tu as donc été plagié.
sinon ,je découvre ton blog et je le trouve très réussi ,je reviendrais !
Elle est trop mignonne ton histoire! Moi aussi, elle me rappelle quelque chose:
1954, on emmène une de mes cousines, 15 ans, à la messe en voiture.
Elle fait, dans la voiture, ce qu'elle doit faire les autres jours entre deux buissons: se passer du rouge à lèvres avec un petit miroir de poche.
Au retour, frottage énergique, aucune trace ne doit alerter ses parents sur son modeste dévergondage.
quel scandale mes amis !!! depuis ce matin on ne parle que de çà "loic Manac le vil copieur" il s'agit sans doute d'un pauvre type qui s'emmerde comme un rat mort ,à qui il n'arrive jamais rien d'extraordinaire dans la vie et qui s'invente une existence (mytho jusqu'au bout)
il va meme jusqu'à mettre des photos d'une gonzesse (sois disant la sienne) . Putain que la vie de ce type doit etre terne ,il doit sans doute etre moche ,handicapé ou trop con pour avoir de vrais amis et ...par le biais de son blog de plagiaire se fait une petite place au soleil..sauf que bientot il marchera plutot à l'ombre ; QUEL GACHIS !
Jolie histoire printanière^^
Elles sont insouciantes et pleines de charme, ces jeunes filles, et c'est tant mieux^^
Elles n'ont peut-être pas encore franchi toutes les barrières, mais elles ne sont pas voilées par la peur qui rend timide, et c'est déjà une grande victoire pour leur avenir.
Et puis comment combattre de front avant sa majorité?
Elles doivent rentrer à la maison, existe-t-il beaucoup d'autres choix heureux pour l'instant?
Vive le printemps, et le goût du danger et de la liberté, avec du rouge sur les lèvres et la frimousse rosée par la lumière !