Deux jeunes filles montent dans mon wagon de métro et prennent place côte à côte en face de moi. Elles pépient sur le rythme rapide de celles qui ont peur de ne pouvoir tout se dire avant de se quitter.

Leur sujet de conversation, celui qui les tiendra les quatorze stations du voyage c'est LA rumeur, celle qui enfle et court depuis quelques jours dans les murs de leur école ou lycée : Nan mais zyva, tu le crois, toi, que Tara et Christophe... ??? Elles spéculent, calculent, tentent de remonter le puzzle de ce que Truc a dit à Machin de ce que Christophe racontait sur Tara, sauf que ça colle pas avec ce que Lucille disait à la teuf chez Jenny. Naaaaaaaan, j'le crois pas, on aurait vu quelque chose. Quoique : du coup je comprendrais mieux comment il a tracé l'autre jour en sortant du cours d'éco. Nan c'est pas possible, ça serait trooooop gore !

La conversation, toute prenante qu'elle soit, n'empêche pas celle qui se trouve en face de moi de plonger une main dans sa besace pour y puiser une pochette (sans rayures) de son sac, s'y emparer de lingettes démaquillantes et entreprendre le toilettage de son visage et son cou, puis d'y replonger pour d'autres petites lingettes rondes qu'elle se passera énergiquement sur les paupières et sous les yeux, le tout sans miroir, au jugé, mais ma foi fort efficacement : toute trace de rouge à lèvres, rimmel, mascara et fard disparaissent.

La copine prend les cotons et lingettes usagées au fur et à mesure que la démaquillante les lui tend et les enfourne dans la poche de sa veste. Elle récupère ensuite sur ses genoux la pochette d'où son amie a extrait un flacon de dissolvant et encore des petits bouts de coton et pose sa main sous la sienne pour offrir un semblant de stabilité à l'entreprise suivante : le retrait du vernis à ongles rouge pétard qui pourtant me semble quasi neuf (mais je ne suis pas une référence).

Elles commencent d'autant plus à m'intriguer que le tout est pratiqué avec une aisance de vieilles routières et un détachement serein vis-à-vis des voyageurs qui les observent.

« Merde, » interrompt la Nettoyeuse au beau milieu de l'élaboration d'une hypothèse qui expliquerait que Tara et Stéphane se seraient quittés, « je n'ai pratiquement plus de dissolvant. » « T'inquiète », la rassure l'autre. « Je t'en achète ce soir au Franprix. » « Super. Merci ! Je te donne le fric demain, ça ira ? J'ai rien sur moi là. » « Oui, oui, c'est bon », s'impatiente l'autre qui aimerait bien finir sa théorie de la rupture.

Et ça pépie de plus belle. Le reste de dissolvant reprend sa place dans la pochette, qui passe des genoux au sac de la copine (Uh ? C'est la copine qui rembarque la pochette ?)

Toute-Fraîche ferme tous les boutons ouverts de son cardigan, ce qui fait beaucoup de boutons à l'aune du large échancré sur peau nue avec amorce de soutif précédent. Elle replonge dans sa besace. Elle en sort une pochette zippée à surgelés renfermant une étoffe de fin coton blanc et se tourne bien en face de son amie : « C'est bon là ? » Inspection minutieuse de l'accessoiriste : « C'est OK. » Bien-Sage plie soigneusement son foulard, le pose sur la tête, en remonte les pans sur le bas de son visage. Hochement du menton de la copine qui ajoute l'emballage plastique à son barda : impeccable.

Je suis bouche bée. Je jette un coup d'œil vers la femme de l'autre côté du couloir qui comme moi n'en a pas perdu une miette. Echanges de sourires : cette gamine a de la ressource disent nos regards croisés. Alors là oui, je suis épatée !

Bercy. Très-Humble jaillit de sa banquette. « Mon changement ! A demain, tu n'es pas en retard hein ? Huit heures moins dix sur le quai ? » « Putain, merde alors ! J'ai déjà été en retard ? » demande l'autre sur un ton quasi attendri. La Voilée rigole : « Naaaaan, j'déconne ! Essaie de savoir pour Stéphane s'il n'est plus avec Tara, hein ? »

L'opération complète aura occupé pile poil les quatorze stations. Un timing parfait pour une transformation radicale.