Intermezzo et entracte
Par Kozlika le mercredi 27 juin 2007, 12:23 - Lien permanent
Ranger, trier, exhumer, enfouir, jeter. Laisser le regard errer sur les cartons encore pleins ou à moitié vidés, les murs blancs encore nus. Sortir un escabeau, placer une pile de linge et changer d'avis : non, plutôt là. La redescendre, replier l'escabeau, ouvrir la commode. Où placer ce qui s'y trouve ? Que dois-je jeter ? Que dois-je encore jeter ? Combien de sacs poubelle descendus sur le trottoir depuis l'ancien appartement ? Combien ici ? Comment ai-je tant pu accumuler en moins de cinq ans ? Pourquoi ai-je gardé ces cartons d'archives que je ne consulterai jamais, souvenirs des années lycée, tracts, revues, journaux ?
Les déménageurs ont bossé comme des sagouins, « oublié » d'emporter la moitié de la cave de l'ancien appartement, ébréché ma jolie cruche algérienne, fait sauter un morceau de placage d'une table basse, un autre du buffet de la cuisine, rayé ou cogné plusieurs meubles et perdu, oui perdu mon fauteuil de bureau à roulettes, celui que j'ai tant hésité à déraisonnablement acheter il y a quelques mois. Tous les jours ils me promettent de m'apporter un nouveau, le même. Ils ne viennent pas. Ils ne viendront pas, ils jouent la montre, le découragement. Ils pourraient bien gagner.
Je n'ai pas encore fait ma déclaration d'impôts. Oublié de mettre les papiers s'y rapportant dans un carton facilement identifiable. Plus tard, oui oui je vais les chercher, remplir le formulaire. Plus tard. Demain. Avec une lettre d'accompagnement.
Le lave-linge fuit. Sans doute le tuyau d'arrivée d'eau a-t-il été endommagé pendant le transport. Il faut s'en occuper, et puis aussi du nouvel aspirateur qui n'aspire rien, de la vitre de la cuisinière à remplacer, signaler le convecteur de la salle de bains qui ne fonctionne pas, des toilettes numéro 2 qui n'évacuent pas, de cette fenêtre qui ferme mal et fait entrer le vent dans ma chambre, de la prise électrique sans courant. Rapporter ce meuble qu'on ne peut pas monter. Tenter de récupérer mon carnet à spirales sur lequel je notais tout ce qui était important pendant cet intermezzo d'une semaine entre les deux appartements et qui a été égaré par une ado épuisée et tendue entre le rayon vaisselle et le rayon literie quelque part du côté d'Evry.
Plus tard.
Depuis hier soir j'ai une connexion, après que le modem a été renvoyé deux fois à l'expéditeur sans jamais parvenir ici. La troisième fut la bonne, sans qu'on s'explique ni pourquoi les autres ne sont pas parvenues jusqu'ici ni pourquoi celle-là oui. Lire mes mails, trier l'agrégateur pour absorber le retard de lecture au prix de quelques impasses sur une partie des abonnements.
Sortir fumer sur la terrasse ou plutôt l'une des terrasses de cette « maison sur le toit » comme l'a baptisée ma mère.
Enfourner la septième saison de West Wing dans le lecteur DVD, retreindre mon champ de vision à l'écran jusqu'à ce que je ne voie plus aucun cartons, rien que Bartlett et sa bande, enchaîner les épisodes, sortir fumer sur la terrasse, ou boire un petit café en regardant les coins de la nappe se soulever sous le vent.
Fuir. Entracte. Week-end normand ce dernier samedi-dimanche. C'était prévu quand le déménagement devait être simple et à la mi-mai. J'ai songé à annuler et n'en ai rien fait. D'abord parce que j'avais très envie d'aller faire chier LeChieur à domicile et rencontrer la femme courageuse qui le supporte depuis tant d'années et leurs deux adorables nains. Ensuite parce que nous avions les billets pour une soirée à l'opéra, et aussi parce que j'avais bien envie d'une pause. J'y suis restée deux jours : le premier il a fait beau tout l'après-midi, moi j'ai dormi. Pas dépassé la première page du bouquin que LeChieur m'avait vanté, moi qui ne fais la sieste qu'une fois par année bissextile... Le deuxième il a plu : quel talent cette Koz !
L'opéra : Don Pasquale, une aimable comédie de Donizetti, au livret plus que conventionnel : vieux barbon, piquante jeune fille et jeune premier poète. Au moins l'histoire ne réclame-t-elle pas une attention soutenue et l'on peut sans dommages décrocher des surtitres et se concentrer sur... aïe, les voix. Je dis « aïe » mais rien de catastrophique du tout. J'ai même trouvé la soprano Maïra Kerey, très chouette bien que peut-être un peu fatiguée à la fin. En tout cas elle chantait juste, jouait bien et sa voix passait correctement au-dessus de l'orchestre, ce qui n'était pas le cas de ses partenaires.
Je ne m'étendrai charitablement pas sur le ténor, je vais même m'empresser d'oublier son nom. Dans le même élan altruiste je ne dirai rien des chœurs non plus. Les autres interprètes (tous masculins, Norina est le seul rôle féminin de cet opéra) étaient agréables à entendre lorsque l'orchestre ne les couvrait pas (au fait, quelle acoustique déplorable ce théâtre de Caen, le son était si étouffé que j'avais l'impression de l'entendre à travers un oreiller – où alors je dormais déjà...) et leur jeu rendait leurs personnages très crédibles.
Ce spectacle étant coproduit avec le Grand Théâtre de Genève – qui l'a présenté avec une nettement plus prestigieuse distribution au début du mois –, la mise en scène et les décors ont bénéficié de moyens que Caen n'aurait pu mobiliser à elle tout seule. Pas d'inventivité débridée de la part de Daniel Slater, mais une production aérée et propre (voire trop propre au goût de M. LeChieur ai-je cru comprendre, mais n'assister qu'à des concerts de vauriens braillards lui déforme forcément le jugement) et une mise en scène qui met bien en valeur les talents des interprètes et tente d'introduire des nuances dans les personnages pour les sortir de la caricature du genre, surtout à partir du deuxième acte. Le vieux barbon a des accents touchants de solitude, ses manipulateurs n'ont pas toujours la conscience tranquille.
Entracte lyrique et surtout amical fort bienvenu pour décompresser des soucis d'étagères et autres tuyaux de lave-linge, même si j'avoue avoir jugé dès l'ouverture du rideau du cubage des décors et surveillé l'emballage des meubles au précipité séparant le premier du deuxième acte !
Commentaires
Voilà ce qu'il aurait fallu : les techniciens de plateau d'opéra pour s'occuper de ton déménagement ! Ils doivent avoir l'habitude, non ?
Je ne sais pas s'il faut que je dise : Bienvenue chez toi ! Mais on va dire que si car ça va pas durer toute la vie ses misères ;-)
Je compatis, oh que je compatis ... euh ... tout mon soutien moral !!
Quelle galère de déménager, mais là, tu tiens le bon bout et aux premiers rayons de soleil, quel bonheur ce sera de se prélasser sur la terrasse !
(Sinon, tu connais ma théorie : jetez jetez il en restra toujours quelque chose)
Chouette chouette que tu aies à nouveau ta connexion, dis-je bien égoïstement à l'idée de te retrouver comme avant.
Heureusement que tu as des copains sympas qui ne viennent pas bousculer ton aggrégateur en ton absence ...
Euh...ah ben moi aussi je suis de tout coeur avec toi. Tu le sais, hein?
Ah ben voilà la réponse à ma question (connexion). Chic alors. Te voilà vraiment chez toi à présent.
Bon à part pour la fuite d'eau et le fauteuil, pour le reste, tu peux prendre ton temps, tu sais. Pense d'abord à ta santé, et laisse le linge reposer en paix. De toutes façons le plus dur est fait.
Et les impôts si tu fais par l'internet même en retard je pense qu'il y a une chance qu'ils soient indulgents. (surtout en étant salariée c'est prérempli, donc si tu parviens à remettre la main sur ton dernier avis d'imposition, tu peux commencer par demander ton nouveau certificat (c'est quasi-instantanné) valider dans un premier temps ce qu'ils auront déjà entré et y revenir par la suite pour affiner en fonction de ce que tu auras retrouvé. (je dis pas que c'est toujours le cas mais pour moi l'an passé, pour une bribe de déduction égarée puis retrouvée ça avait marché, j'y étais revenue après coup quand j'étais retombée sur le papier)
ouille ouille ouille ! comme je me sens en phase avec ce billet !
Rhoo, l'aut', eh ! "Il a plu". Tu parles. C'était à peine un léger voile d'humidité pour se rafraîchir un peu, rien de bien méchant... :-D
Sinon, pour le Donizetti, je n'ai pas dit que la mise en scène était "trop" propre, j'ai dit qu'elle était "propre". Bien calée, huilée, parfois très maligne, avec une direction des interprètes et des figurants qui tenait la route... Mais propre. A aucun moment on ne s'ennuie (ce qui est déjà formidable avec un livret aussi pauvre), mais il n'y a pas vraiment de surprise non plus. C'est vif, pas bête, bien gaulé, mais ça sent le savon. Idem pour les décors et les costumes (bien foutus, mais propres), et aussi pour les lumières, qui, du coup, s'effacent devant tant d'efficacité. Moi, au théâtre ou à la danse, j'aime bien quand les lumières habillent une scène plantée de pendrillons noirs, alors forcément, j'étais tout décontenancé.
Cela dit, je suis d'accord avec ce que tu dis sur les nuances qui viennent contredire les archétypes. Le spectateur se sent davantage en empathie avec le barbon qu'avec les deux tourtereaux (qui se révèlent surtout de fieffés enfoirés), et ça rend le livret beaucoup plus digeste.
Concernant la musique, comme j'ai des tympans en carton et que l'acoustique est très assourdie dans ce théâtre trop haut, j'ai pas grand'chose à dire sur l'orchestre. Les interprètes masculins sont plutôt faibles, mais je me suis surpris à bien aimer entendre chanter une soprano. Du coup, la prochaine fois, j'aimerais bien en prendre plein la tête, avec plein de voix de filles, et puis du sang, des larmes et de la sueur. L'équivalent d'un Phèdre au théâtre, quoi, avec une acoustique qui déchire sa race et des sopranos qui font pleurer leur mère... :-D
(Tu auras remarqué que j'ai parlé d'une prochaine fois, alors que, la veille encore, j'envisageais d'embarquer mon lecteur MP3 "au cas où"...).
Et puis il y a un truc que j'ai adoré, c'est l'entracte. Je le dis sans rire, c'est un vrai bonheur que de pouvoir se précipiter au petit bistrot d'en face pour s'en jeter un au comptoir, histoire de se relâcher un peu et d'aborder le dernier acte plus frais et dispos qu'on a fini le précédent. C'est une habitude qui se perd au théâtre, c'est dommage.
Voilà, c'était "LeChieur découvre l'opéra", et j'ai trouvé l'expérience pas du tout traumatisante, bien au contraire.
Quant au reste du week-end, c'était bien agréable, merci encore (et encore pardon pour la bouffe et le manque d'animations culturelles. Un Xave aurait hurlé devant les assiettes que je t'ai servies, tu sais ?). Et si t'as fait la sieste, c'est que t'étais détendue. Si les gens sont détendus quand ils viennent chez moi, rien ne peut me faire plus plaisir !
Lis ce texte de Pérec sur l'emmenagement et tu trouveras que tout ce que tu as à faire est bien maigrichon!
"nettoyer vérifier essayer changer aménager signer attendre imaginer inventer investir décider ployer plier courber gainer équiper dénuder fendre tourner retourner battre marmonner foncer pétrit axer protéger bâcher gâcher arracher trancher brancher cacher déclencher actionner installer bricoler encoller casser lacer passer tasser entasser repasser polir consolider enfoncer cheviller accrocher ranger scier fixer punaiser marquer noter calculer grimper métrer maîtriser voir arpenter peser de tout son poids enduire poncer peindre frotter gratter connecter grimper trébucher enjamber égarer retrouver farfouiller peigner la girafe brosser mastiquer dégarnir camoufler mastiquer ajuster aller et venir lustrer laisser sécher admirer s’étonner s’énerver s’impatienter surseoir apprécier additionner intercaler sceller clouer visser boulonner coudre s’accroupir se jucher se morfondre centrer accéder laver lessiver évaluer compter sourire soutenir soustraire multiplier croquer le marmot esquisser acheter acquérir recevoir ramener déballer défaire border encadrer sertir observer considérer rêver fixer creuser essuyer les plâtres camper approfondir hausser se procurer s’asseoir s’adosser s’arc-bouter rincer déboucher compléter classer balayer soupirer siffler en travaillant humecter s’enticher arracher afficher coller jurer insister tracer poncer brosser peindre creuser brancher allumer amorcer souder se courber déclouer aiguiser viser musarder diminuer soutenir agiter avant de s’en servir affûter s’extasier fignoler bâcler râcler dépoussiérer manoeuvrer pulvériser équilibrer vérifier humecter tamponner vider concasser esquisser expliquer hausser les épaules emmancher diviser marcher de long en large faire tendre minuter juxtaposer rapprocher assortir blanchir laquer reboucher isoler jauger épingler ranger badigeonner accrocher recommencer intercaler étaler laver chercher entrer souffler
s’installer
habiter
vivre"
LeChieur > Tosca en octobre à Paris ! Si tu penses pouvoir connaître tes dispos début septembre je peux me charger des billets avec la bande des prosélytes, ça me ferait rudement plaisir :)
LaBacchante > Voué j'ai pensé à ça moi aussi !
Déprimants les déménagements, surtout quand on perd des choses au passage, ou pire qu'on paye pour que quelqu'un les perde ou les abime pour vous. Ne lâche pas pour le siège.
Pour Don Pasquale, j'ai vu une diffusion télé de celui avec Ciofi. Elle était époustouflante.
Que ce soit pour des dns ou dans la vraie vie, il faut toujours anticiper 10% minimum de perte lors des déménagements... Je te souhaite bien du bonheur dans ton nouveau chez-toi Kozette !
On va dire que l'essentiel est d'avoir fini par déménager... J'espère surtout qu'on somatise moins ? ;-)
Ça alors la Bacchante, je ne connaissais pas ce Pérec-là et je m'aperçois que sans le vouloir il y a 4 ans j'avais écrit comme le monsieur Jourdain moyen un "à la manière de" (!!!!) : dont le thème était les tâches d'une mère de famille à la rentrée scolaire.
Je suppose que l'une au moins des personnes à qui je l'avais envoyé pour la faire marrer avait dû croire que c'était volontaire.
Aux ignares la réinventation du fil à couper le beurre ...
merci beaucoup en tout cas.
PS : oh oui Tosca !! Si c'est toujours le vendredi, j'en suis (je veux dire pour faire file d'attente).
courage.
Bon courage, bonne installation. Vas-y doucement. Ménages-toi. Je t'embrasse
(Tosca ha oui, et puis j'ai eu le programme th Théâtre des champs elysées, y a quelques trucs, comme falstaf, à voir…)
Bonne nouvelle tu es connectée !
Ne plus jamais déménager hein ?
Tosca, comme Gilda, je voudrais en être !
Bonne journée.
Quoi ? Mariah Carey fait de l'opéra maintenant ? Quelle horreur !
C'est chouette les déménagements ! C'est chouette de jeter ! C'est chouette de ranger ses affaires dans des nouvelles maisons! Rien qu'à vous lire, à votre corps râlant et défendant, un peu de cette joie me touche. Je vous souhaite de trouver plein de nouvelles cachettes...
@LeChieur: "Iphigénie en Tauride" de Gluck, reprise du Warlikovsky de l'année dernière, qui repassera à Garnier la saison prochaine. Du sang, du sexe, des chiottes, de la soprano, et ça ne sent pas le savon du tout :p.
Chouette Kozlika est revenue !
je mettais un oeil à la fenêtre régulièrement pour voir s'il y avait du nouveau et avec un soupir je tirais le rideau et m'armais de patience :o) lol
Et je suis tout à fait intéressée par Tosca aussi.
Y en-a-t'il parmi vous qui iraient voir La Traviata mardi ?
La fin d'une vie, c'est aussi le commencement d'une autre. Quand on sort enfin du matériel on a le temps de s'asseoir ou de se promener dans son nouveau chez-soi, sur les terrasses, par exemple, que j'imagine parisiennes? Le désordre va trouver sa place dans les armoires, les tuyaux vont cesser leur comportement névrotique, alors regarde pour moi le paysage de tes terrasses (parisiennes, donc je répète, cela me fait rêver).
Bon courage. J'écris ceci le 3 juillet. Les choses ont-elles évoluées favorablement?
bonjour !! je vous demande une petite minute d'attention ,j'aimerais beaucoup avoir votre avis (car je sais que vous etes des gens bien) sur une de mes compositions qui se trouve sur mon blog.
La chanson s'intitule "sous le cerisier"
à tout de suite !!!
Super intéressant ! Il y en a qui arrivent à lire ce genre de post jusqu'au bout ?!!!
Oui. Note qu'il y a pire encore : ceux qui ne lisent pas mais commentent quand même ; ceux qui perdent du temps à commenter sur un blog qu'ils trouvent inintéressant et ceux qui cumulent l'un et l'autre.