On parle de nos pères. Celui dont elle ne connaîtra pas la voix, celui dont je ne connaîtrai pas l'histoire. Un jour elle était à la fenêtre, il répondait à quelqu'un mais le bruit d'une voiture qui passait... « C'est con hein ? – Oui, c'est con. » Un jour j'ai trouvé des photos, elles ne collent pas avec les bribes de récits. « J'avais jamais tilté, c'est A. qui m'en a parlé : il a tout de suite remarqué. C'est con hein ? – Oui c'est con. » On sourit. Je sais l'attente, je sais l'espoir imbécile, irrationnel. Un signe : ça sera pour mes vingt ans, ça sera à sa mort, ça sera pour mes trente ans, mes quarante ans, ça sera une lettre chez un notaire. Une lettre de cachet, un rouleau de payrus, une tablette de cire, une cocotte en papier, un pigeon-voyageur qui portera le message au monde : « cette femme est ma fille ».

On a vu la maison. On a mangé au Café des Platanes. J'ai mis du rouge à lèvres pour aller voir sa maman. On prend la voiture sur les routes de son enfance. Je me rappelle la pluie tombante et le père qui ne s'arrête pas. On parle de nos pères, nos histoires si proches, les douleurs ressemblantes, notre gemellitude. On sourit. Les bavardes n'ont besoin ici que de peu de mots. Ça n'est pas triste, ou juste un peu. C'est doux et chaud comme une épaule contre une épaule.