Epaule contre épaule
Par Kozlika le dimanche 26 août 2007, 19:00 - Lien permanent
On parle de nos pères. Celui dont elle ne connaîtra pas la voix, celui dont je ne connaîtrai pas l'histoire. Un jour elle était à la fenêtre, il répondait à quelqu'un mais le bruit d'une voiture qui passait... « C'est con hein ? – Oui, c'est con. » Un jour j'ai trouvé des photos, elles ne collent pas avec les bribes de récits. « J'avais jamais tilté, c'est A. qui m'en a parlé : il a tout de suite remarqué. C'est con hein ? – Oui c'est con. » On sourit. Je sais l'attente, je sais l'espoir imbécile, irrationnel. Un signe : ça sera pour mes vingt ans, ça sera à sa mort, ça sera pour mes trente ans, mes quarante ans, ça sera une lettre chez un notaire. Une lettre de cachet, un rouleau de payrus, une tablette de cire, une cocotte en papier, un pigeon-voyageur qui portera le message au monde : « cette femme est ma fille ».
On a vu la maison. On a mangé au Café des Platanes. J'ai mis du rouge à lèvres pour aller voir sa maman. On prend la voiture sur les routes de son enfance. Je me rappelle la pluie tombante et le père qui ne s'arrête pas. On parle de nos pères, nos histoires si proches, les douleurs ressemblantes, notre gemellitude. On sourit. Les bavardes n'ont besoin ici que de peu de mots. Ça n'est pas triste, ou juste un peu. C'est doux et chaud comme une épaule contre une épaule.
Commentaires
On vous y voit très bien. Et on vous envoie des bises. On ? oui, quelque chose comme un peu plus large que je, parce que justement, c'est un billet qui dit que je, ça suffit pas toujours.
Mon dieu, comme quelques mots peuvent vous faire monter des larmes d'émotion aux yeux, l'envie d'être proche autrement que par d'autres mots.
On parlait de nos mères qui avaient le même prénom, de nos désillusions de fratrie, des livres sans lesquels nos vies n'auraient pas su durer, de nos enfants qui d'une façon, un peu, se ressemblaient, des vêtements pas chers que gosses on nous achetait, elle en Belgique, moi chez Tati ; on parlait beaucoup de rien, aussi, car nos conversations existaient en silence avec facilité.
Elle m'avait donné les mots et j'aidais des miens les siens. On s'habillait pareil par mégarde sans arrêt (mais peut-être que ça l'agaçait). On s'était entraidées pour sauver 2 quelqu'un. Je pensais qu'elle vivante je ne serai plus jamais seule au monde, en fait je ne pensais même pas, c'était une évidence.
Pour moi. Et hélas moi seule.
Parce qu'elle est haute bobourgeoise et que je n'en suis pas, parce qu'un méchant septembre j'ai entamé sans concertation préalable une collection personnelle de malheurs (quelle idée, aussi) et elle au même moment une tout autre de succès, notre gemellitude n'a pas résisté au déterminisme social et à ma poisse épaisse.
L'amie, mon autre âme, a disparu sans (vraiment) expliquer. Volatilisée.
Depuis je n'ai plus d'épaule contre laquelle m'appuyer, je ne sais même pas pourquoi, et je trébuche sans arrêt, je ne sais plus marcher.
Et surtout : plus rêver. Ni désirer. Ni aimer d'au plus près.
Seulement je me souviens comment c'était, tes mots me font échos alors je vous en prie : profitez les filles, profitez, prenez bien soin de vous et ne laissez jamais le mauvais du monde s'immiscer.
Il est très puissant vous savez. Il peut tuer.
Ce qui me touche et que tu dis si bien, Kozlika, c'est qu'il y a dans l'humain suffisamment de bon, beau et confiant pour que le contact épaule contre épaule d'un(e) congénère bienveillant(e) lui soit un appui précieux, un contact essentiel.
Et c'est beau et plein d'espoir.
Je vous embrasse, les filles.
Et puis des épaules comme ça, on n'en a jamais assez pour embellir le monde. Bisou les filles.
Grâce à eux et à leur absence, vous vous êtes approchées, connues, et surtout reconnues... C'est finalement un beau signe, un beau cadeau, imprévu certes, mais si précieux.
Alors continuez, Epaule contre épaule, on vous aime ainsi.
Bande de sorcières, je vous bises ;-)
Ça fait du bien de se faire un petit chagrin de temps en temps, une petite rêvasserie du temps passé avec une larmichette au coin de l'oeil. Pour ma part, ma vie a été si chiante, j'ai dut me battre chaque jour pour avoir le droit d'exister que je n'ai plus de larmichette au coin de l'oeil. J'ai atteint (vivant) l'âge de la retraite mais j'ai perdu mes larmes. Je crois que j'irai mieux lorsque j'aurai retrouvé un peu de tristesse et toutes mes larmes, comme ça je pourrais avoir un vrai sourire.
Je me rappelle que Sam, à l'époque, m'avait dit : d'accord, essaye de le défendre, pourquoi pas...
genre : un mec pas programmé pour prendre et assumer des responsabilités
Mais j'ai eu du mal.
Il s'habillait d'un foulard et hop, il était prêt ! Un coup de rasoir le dimanche matin pour toute la semaine, il vivait de rien, s'amusait de tout, trouvait la ville invivable, dans sa petite campagne il se fondait dans le paysage comme la pluie dans les champs. Il est parti, seul, assis dans sa cuisine la tête posée sur la table. Il avait 86 ans , son passage à travers le monde des vivants c'était achevé dans cette cuisine ou il avait vécu depuis la guerre, seul ou presque, son ombre ne se profilera plus sur le mur, ses œuvres resteront, témoins silencieux, expressions figées dans la pierre et le fer.