mariacallas.jpg C'est aujourd'hui le trentième anniversaire du décès de Maria Callas. J'en ai parlé à très peu d'occasions sur ce blog et n'ai jamais proposé son interprétation lors des « A vous de choisir » de la radio Kastafiore. Ce n'est pas parce que je n'aime pas la Callas, c'est qu'elle est, à mes oreilles du moins, stricto sensu in-comparable. Cette impossibilité d'établir une comparaison ne tient pas à une supériorité qu'elle aurait sur ses consœurs, qu'elle a parfois bien sûr, mais en raison d'un être-chanter totalement différent et à l'époque radicalement nouveau.

J'allais dire : c'est avant tout une tragédienne, mais cela tendrait à faire passer la chanteuse au second plan derrière l'actrice. Or son chant lui-même participe de cette dimension. Il faudrait inventer un mot qui invoque et l'actrice et la chanteuse. Ou pas : si j'en crois le paragraphe de l'article de Wikipedia concernant l'origine du mot tragédie, alors Callas était pleinement tragédienne, victime expiatoire portant les angoisses des spectateurs pour les purifier.

Il faut bien admettre une dimension autre que la beauté du chant ou la qualité de l'interprétation pour éclairer un peu ce mystère des passions qu'elle a déchaînées, qu'elle déchaîne encore, les bouleversements au plus profond que son chant provoque pour tant d'auditeurs. La célèbre scène de Philadelphia (ou fr) où le personnage incarné par Tom Hanks commente pour son avocat l'air de « La Mamma morta » traduit très bien ce vertige, cette possession, peut-être même cette intrusion dont elle était capable. Nombre des passionnés lyriques sont venus à l'opéra en entendant par hasard, en se lavant les dents ou en passant l'aspirateur, un air chanté par Maria Callas à la radio ou sur un disque de leurs parents. Ils décrivent tous la suspension brutale du temps, le choc, l'émotion.

Je ne crois pas que ses yeux maquillés ou sa vie romanesque jouent un si grand rôle que celui qu'on leur accorde couramment : souvent, c'est après l'avoir entendue – et entendue seulement – que ses thuriféraires se sont intéressés à sa légende, collectionné les icônes.

Peut-être entendent-ils ce que j'y entends moi : finalement non, Callas n'est pas une tragédienne, elle est la tragédie incarnée. J'en suis frappée dans les airs « légers » où même quand la technique est en place, c'est Maria qui n'y est pas : la fille du régiment vit un drame irrémédiable, Lakmé s'immole à chaque prière, la Lucia amoureuse du rendez-vous de la fontaine a déjà sombré.

Dans quelques semaines, nous irons entre gens de bonne compagnie écouter-voir Tosca à l'Opéra Bastille. Si vous avez le temps d'y consacrer une dizaine de minutes, l'extrait ci-dessous est riche de l'intensité d'émotions que nous offre Callas, tour à tour suppliante et désespérée, puis résignée mais pleine d'espoir, puis vengeresse meurtrière.

Scarpia a torturé et jeté en prison l'amant de Tosca, chanteuse un peu capricieuse et évaporée qui ne vivait que pour l'art[1] et son Cavaradossi. Elle supplie Scarpia de libérer son amant, ce qu'il accepte à condition qu'elle se enfin donne à lui après des années de refus obstiné. Elle finit par accepter par amour pour Cavaradossi, mais ce chantage lui est odieux. Lorsque l'ordre de libération sera donné (dont nous savons, nous spectateurs, que c'est un mensonge mais que Tosca ne découvrira que trop tard), lorsque le laisser-passer sera signé, Tosca avise un couteau sur la table ; elle cède au dégout et à la colère et le poignarde en criant : « Questo è il bacio di Tosca ! » (Voilà le baiser de Tosca !)

Maria Callas et Tito Gobbi dans Tosca, de Puccini (en flash)

Encore : Juju a entrepris depuis quelques semaines une jolie série de billets sur la soprano ici le premier d'entre eux.

Crédit photo hélas absent. Je l'ai trouvée sur le blog Im Fernen Land.

Notes

[1] Vous connaissez peut-être l'air « Vissi d'arte ».