Trente ans sans Maria Kalogeropoúlou
Par Kozlika le dimanche 16 septembre 2007, 15:28 - Lien permanent
C'est aujourd'hui le trentième anniversaire du décès de Maria Callas. J'en ai parlé à très peu d'occasions sur ce blog et n'ai jamais proposé son interprétation lors des « A vous de choisir » de la radio Kastafiore. Ce n'est pas parce que je n'aime pas la Callas, c'est qu'elle est, à mes oreilles du moins, stricto sensu in-comparable. Cette impossibilité d'établir une comparaison ne tient pas à une supériorité qu'elle aurait sur ses consœurs, qu'elle a parfois bien sûr, mais en raison d'un être-chanter totalement différent et à l'époque radicalement nouveau.
J'allais dire : c'est avant tout une tragédienne, mais cela tendrait à faire passer la chanteuse au second plan derrière l'actrice. Or son chant lui-même participe de cette dimension. Il faudrait inventer un mot qui invoque et l'actrice et la chanteuse. Ou pas : si j'en crois le paragraphe de l'article de Wikipedia concernant l'origine du mot tragédie, alors Callas était pleinement tragédienne, victime expiatoire portant les angoisses des spectateurs pour les purifier.
Il faut bien admettre une dimension autre que la beauté du chant ou la qualité de l'interprétation pour éclairer un peu ce mystère des passions qu'elle a déchaînées, qu'elle déchaîne encore, les bouleversements au plus profond que son chant provoque pour tant d'auditeurs. La célèbre scène de Philadelphia (ou fr) où le personnage incarné par Tom Hanks commente pour son avocat l'air de « La Mamma morta » traduit très bien ce vertige, cette possession, peut-être même cette intrusion dont elle était capable. Nombre des passionnés lyriques sont venus à l'opéra en entendant par hasard, en se lavant les dents ou en passant l'aspirateur, un air chanté par Maria Callas à la radio ou sur un disque de leurs parents. Ils décrivent tous la suspension brutale du temps, le choc, l'émotion.
Je ne crois pas que ses yeux maquillés ou sa vie romanesque jouent un si grand rôle que celui qu'on leur accorde couramment : souvent, c'est après l'avoir entendue – et entendue seulement – que ses thuriféraires se sont intéressés à sa légende, collectionné les icônes.
Peut-être entendent-ils ce que j'y entends moi : finalement non, Callas n'est pas une tragédienne, elle est la tragédie incarnée. J'en suis frappée dans les airs « légers » où même quand la technique est en place, c'est Maria qui n'y est pas : la fille du régiment vit un drame irrémédiable, Lakmé s'immole à chaque prière, la Lucia amoureuse du rendez-vous de la fontaine a déjà sombré.
Dans quelques semaines, nous irons entre gens de bonne compagnie écouter-voir Tosca à l'Opéra Bastille. Si vous avez le temps d'y consacrer une dizaine de minutes, l'extrait ci-dessous est riche de l'intensité d'émotions que nous offre Callas, tour à tour suppliante et désespérée, puis résignée mais pleine d'espoir, puis vengeresse meurtrière.
Scarpia a torturé et jeté en prison l'amant de Tosca, chanteuse un peu capricieuse et évaporée qui ne vivait que pour l'art[1] et son Cavaradossi. Elle supplie Scarpia de libérer son amant, ce qu'il accepte à condition qu'elle se enfin donne à lui après des années de refus obstiné. Elle finit par accepter par amour pour Cavaradossi, mais ce chantage lui est odieux. Lorsque l'ordre de libération sera donné (dont nous savons, nous spectateurs, que c'est un mensonge mais que Tosca ne découvrira que trop tard), lorsque le laisser-passer sera signé, Tosca avise un couteau sur la table ; elle cède au dégout et à la colère et le poignarde en criant : « Questo è il bacio di Tosca ! » (Voilà le baiser de Tosca !)
Encore : Juju a entrepris depuis quelques semaines une jolie série de billets sur la soprano ici le premier d'entre eux.
Crédit photo hélas absent. Je l'ai trouvée sur le blog Im Fernen Land.
Notes
[1] Vous connaissez peut-être l'air « Vissi d'arte ».
Commentaires
J'espérais que tu parlerais d'elle.
L'histoire de la suspension du temps et de la brosse à dents, c'est quelque chose qui me parle à coeur, pas forcément la concernant elle (mais c'est vrai que ça lui va si bien). Ça me rappelle un début de texte avec un homme et une femme au restaurant, un chant mis pour l'ambiance et l'un qui s'interrompt soudain car il a perçu quelque chose mais l'autre pas et la soirée se ruine, puis leur relation.
Tu as raison d'insister sur le fait que la plupart de ceux qui sont devenus d'elle des passionnés au départ l'ont fait sans savoir sa vie. Laquelle effectivement ajoutait tout le romanesque nécessaire et même bien davantage, mais n'empêche c'était bien le chant qui frappait. Sa façon d'être ce qu'elle chantait.
J'arrête, je suis en train de dire tout moins bien ce que tu as dit au-dessus parfaitement.
Arte lui rend hommage depuis une semaine et tout aujourd'hui. Je me suis délectée. Le première fois que je l'ai entendu chanter, c'était effectivement dans cete fameuse scène de Philadelphia que tu cites et j'en conserve encore un souvenir très émouvant.
PS : L'avocat de l'extrait de ce Philadelphia là fait exactement la même tête que mon mari quand j'essaie de lui expliquer pourquoi j'ai pas lâché un bouquin de la nuit.
Chouette billet Kozlika :)
J'aime vraiment ton développement sur Callas la tragédienne.
FR3 en choisissant de montrer son parcours très mouvementé et tortueux a totalement occulté la fascination qu'elle a exercée et qu'elle exerce toujours sur nous en nous bouleversant par son art incomparable de pure tragédienne.
Vos mots m'ont fait oublier ce docu et je vous en remercie.
Etant un vieux con, j'ai été un fan de Maria Callas dès la fin des années 50.
Mais goûts n'ont pas varié d'un iota, bien longtemps après.
Ai pondu deux petits diaporamas en musique ( ne fonctionnent pas sous Mac ) sans prétention.
http://cap.officieldeslandes.com/CA...
http://cap.officieldeslandes.com/cu...
Un bel "hommage" lui a été rendu hier sur le parvis de l'Hôtel de Ville, par Eve Ruggieri, sur écran géant, entre deux matchs de rugby. C'était beau.
je ne sais pas comment on nomme ça. Je sais que je suis rebutée par la "légende" de cette femme, je sais, moins avouable peut-être, que je n'aime pas la Tosca, et guère ce genre d'opéra, je sais que chanté par elle ça marche.
Titta > je suis précisément sous Mac :)
brigetoun > mon expérience n'est pas très différente : à entendre la légende avant de l'entendre elle j'en ai (trop) vite déduit que la légende seule justifiait la renommée. C'est à l'insistante insistance d'un ami que j'ai acheté le coffret de Lucia di Lammermoor et... ouch !.
Les Lucia sont belles, mais le must absolu est l'enregistrement de I Puritani.
L'émission de Lodéon sur France INter est passionnante grâce aux extraits passés. JE me régale de les écouter, notamment le "Pace, pace, mio Dio" de La Force du destin. Et là, d'un coup, j'ai compris tout ce qui m'avait manqué à l'Opera cet été... Incomparable, vraiment.
Il paraît que le documentaire qui passera sur Arte mercredi prochain sera vraiment passionnant.
Pas à l'opéra… Le CD que j'ai écouté cet été et qui était tout à fait quelconque. Je ne me souviens même plus qui chantait...
Akynou > j'aime beaucoup Lodéon, surtout son émission « Le pavé dans la mare », le genre d'émission qui fait qu'on est persuadé d'être plus savant rien qu'en l'écoutant :)
Oh, Brigetoun, ce serait pas un méchant préjugé?
Je me suis aperçue qu'un petit mouvement de recul par rapport à 'La Callas", venait (honte à moi) du fait que ma mère en parlait avec mépris à cause des aspects "people" de sa légende.
Comme quoi on en a jamais fini avec les préjugés de son éducation, même quand on croit les avoir reniés.
Par contre, j'ai toujours aimé l'histoire passionnée et violente de La Tosca, le final est d'une beauté à couper le souffle.
Mais je suis très loin d'être une connaisseuse.