Un ami m'appelle. Depuis quelque temps il ne va pas bien du tout et aujourd'hui, à l'aide de Wikipedia et de son généraliste, il a trouvé un nom à son mal-être. Je ne sais pas ce qu'il en est pour lui, mais je me souviens que j'avais été très soulagée de pouvoir mettre un nom sur ma première attaque de panique à l'aide du psychiatre que j'étais allée voir quelque temps plus tard. Il prouvait que je n'étais pas la seule à qui c'était arrivé, donc finalement dotée d'une sorte d'«anomalie normale»[1], et laissait l'espoir de pouvoir y faire quelque chose sur la base des traitements suivis par mes prédécesseurs et frères de dérapages. En la nommant je commençais à l'apprivoiser.

Je raconte pour cet ami qui m'interroge le déroulement d'une crise, les symptomes physiques ; je tente de répondre à ses questions : fréquence (variable), durée (changeante), déclencheurs (divers). Ça ne doit pas lui être d'une grande aide, à part lui confirmer qu'il n'est pas le seul névrosé de notre petit cercle...

Il y a un point que je n'aborde pas – parce qu'il est délicat et que je voudrais pouvoir choisir mes mots pour qu'ils ne soient pas mal interprétés – et qui me tarabuste depuis la lecture de la conclusion d'un certain billet de xave et le billet de Samantdi et les commentaires qui l'accompagnent. Ce n'est évidemment que mon expérience personnelle et je n'ai aucune prétention à l'universaliser mais je crois qu'à un moment nos angoisses (notre inconfort) deviennent familières et paradoxalement rassurantes. Elles font partie de nous. Et même, d'une certaine façon, elles nous protègent, protègent notre intégrité. Dans mon cas : si je n'ai plus peur de la mort, ne va-t-elle pas se croire tout permis ? ; pour d'autres les trous dans ma toiture m'écartent du risque de devenir bourgeois ; d'autres encore si je vais bien, ne risqué-je pas d'être un veau clapotant dans cette société de merde ? ou mon anxiété m'aide à rester vigilant, si une tuile arrive je suis prêt à y faire face...

Car il faut bien que je digère cet inconfort dont je suis l'otage, que je survive à ce partage avec lui de mon quotidien.

Sur le terrain des angoisses, prendre conscience de ce paradoxe sans en faire une nouvelle source d'autoflagellation (c'est bien de ma faute, je suis vraiment très nulle, je mérite ces souffrances), c'est se donner une chance supplémentaire de sortir du cercle de reproduction d'un scénario éprouvé quoique éprouvant, au déroulement prévisible/prévu/ peut-être attendu. Ah oui, ça c'est bien moi, je suis entière.

Notes

[1] Je dois ajouter que la plaque figurant à l'entrée du centre de soins où j'avais eu la chance de rencontrer ce grand bonhomme qu'était le professeur Zarifian avait largement contribué dès mon arrivée à me détendre : « Soyez fous, nous ferons le reste » !