Gestalt de Stockholm
Par Kozlika le jeudi 27 septembre 2007, 04:44 - Lien permanent
Un ami m'appelle. Depuis quelque temps il ne va pas bien du tout et aujourd'hui, à l'aide de Wikipedia et de son généraliste, il a trouvé un nom à son mal-être. Je ne sais pas ce qu'il en est pour lui, mais je me souviens que j'avais été très soulagée de pouvoir mettre un nom sur ma première attaque de panique à l'aide du psychiatre que j'étais allée voir quelque temps plus tard. Il prouvait que je n'étais pas la seule à qui c'était arrivé, donc finalement dotée d'une sorte d'«anomalie normale»[1], et laissait l'espoir de pouvoir y faire quelque chose sur la base des traitements suivis par mes prédécesseurs et frères de dérapages. En la nommant je commençais à l'apprivoiser.
Je raconte pour cet ami qui m'interroge le déroulement d'une crise, les symptomes physiques ; je tente de répondre à ses questions : fréquence (variable), durée (changeante), déclencheurs (divers). Ça ne doit pas lui être d'une grande aide, à part lui confirmer qu'il n'est pas le seul névrosé de notre petit cercle...
Il y a un point que je n'aborde pas – parce qu'il est délicat et que je voudrais pouvoir choisir mes mots pour qu'ils ne soient pas mal interprétés – et qui me tarabuste depuis la lecture de la conclusion d'un certain billet de xave et le billet de Samantdi et les commentaires qui l'accompagnent. Ce n'est évidemment que mon expérience personnelle et je n'ai aucune prétention à l'universaliser mais je crois qu'à un moment nos angoisses (notre inconfort) deviennent familières et paradoxalement rassurantes. Elles font partie de nous. Et même, d'une certaine façon, elles nous protègent, protègent notre intégrité. Dans mon cas : si je n'ai plus peur de la mort, ne va-t-elle pas se croire tout permis ? ; pour d'autres les trous dans ma toiture m'écartent du risque de devenir bourgeois ; d'autres encore si je vais bien, ne risqué-je pas d'être un veau clapotant dans cette société de merde ? ou mon anxiété m'aide à rester vigilant, si une tuile arrive je suis prêt à y faire face...
Car il faut bien que je digère cet inconfort dont je suis l'otage, que je survive à ce partage avec lui de mon quotidien.
Sur le terrain des angoisses, prendre conscience de ce paradoxe sans en faire une nouvelle source d'autoflagellation (c'est bien de ma faute, je suis vraiment très nulle, je mérite ces souffrances), c'est se donner une chance supplémentaire de sortir du cercle de reproduction d'un scénario éprouvé quoique éprouvant, au déroulement prévisible/prévu/ peut-être attendu. Ah oui, ça c'est bien moi, je suis entière.
Notes
[1] Je dois ajouter que la plaque figurant à l'entrée du centre de soins où j'avais eu la chance de rencontrer ce grand bonhomme qu'était le professeur Zarifian avait largement contribué dès mon arrivée à me détendre : « Soyez fous, nous ferons le reste » !
Commentaires
Et que ressent-on lorsque les angoisses ne sont plus là ? Le vide ou le soulagement ?
La peur. Que ça revienne.
La douleur est souvent le seul moyen de se convaincre qu'on existe :
« j'ai mal. Là. Donc je suis vivant. »
Et c'est comme ça que la névrose s'installe, avec armes et bagages.
C'est excellent !
Tu crois qu'ils ont déposé cette baseline quelque part ?
Pep > aucune trace sur le web en tout cas (à part justement un forum où j'avais déjà parlé de cette plaque, uh uh)
Oh la la Kozlika!!! Comme tes paroles font écho à mes propres réflexions actuelles...
Enfin ça va beaucoup mieux depuis que j'ai compris que nous étions tous coincés à Stockholm...
Du confort de l'inconfort…
Mmm…
Intéressant.
trèèèès intéressant…
Mais le slogan de feu le docteur Zarifian est bien plus drôle !
Moi, ma névrose est commune et me rend bêtement agressif ce qui a pour conséquence de m'enferrer dans un cercle vicieux... C'est ballot ;-(
bien sûr elles font partie de notre "moi", et leur absence crérait un petit vide, mais je veux croire que l'on s'habitue.
Et chaque fois qu'elles reviennent on ne souhaite plus que leur disparition totale
L'angoisse fait partie de nous , ok , trop d'angoisse moi je dis stop ,
le bon docteur Freud peut nous aider
à vivre mieux ,
vite un divan , un fauteuil , que sais je , évacuons le trop plein !
Moi, je ne m'allonge qu'en galante compagnie...
...Pas mal non plus :) :) !
Agréable mais totalement inefficace pour ce qui nous occupe. Au mieux une jouissive diversion, ce qui est déjà fort précieux, mais le fonds de commerce du bestiau n'en sera pas modifié !
H. de Crayancourt > ah uiche, j'ai l'impression que ça fait un moment que tu es coincé là-bas...
plein de choses qui rebondissent dans ma tête, avec ce billet et celui de Sam sur le confort, envie de poursuivre la trace dans cette direction.
Vivre avec un soi imparfait, humain, comme un pull dont on aurait réussi à adoucir les coutures trop strictes, pas très beau mais faisant usage... A méditer
Oh, cette peur tellement familière de ne plus être vraiment soi-même si on a plus ses (petites et grandes) névroses sous la main...
Ce qui est rassurant, c'est qu'aux moments où elles ne sont pas là, ces névroses, (occupées ailleurs, parties faire un tour, ou juste un peu assoupies), on ne le regrette pas trop ce soi névrosé, et on s'habitue vite à l'autre (celui de soi qui va bien, va mieux, au moins un peu)
(et puis de toute façon, pour le moments de manque, il suffit de se souvenir qu'une bonne névrose, une bonne angoisse, c'est comme un bon troll : un mot bien choisi, une phrase bien tournée, une madeleine bien sentie, et tout le monde reviens fissa faire son ouvrage ;-)
C'est impressionnant comme ton billet recoupe exactement mes pensées du moment. J'y songeais très exactement mercredi soir.
Je vais essayer de structurer et de ne pas trop m'étaler. Peut-être en séparant les deux axes bien distincts qu'il y a(vait).
Une de mes cousines italiennes, une de ses filles au moins, son père et feu-le mien, notre grand-mère paternelle probablement etc. (c'est héréditaire), souffre comme moi de cette fatigue permanente due à des globules mal foutus. Mais pas tous. Donc les médecins que nous pouvons consulter nous disent et ils n'ont pas tort ne vous plaignez pas ceux qui les ont tous peuvent en mourir, pas vous, reposez-vous bien (et je fais comment avec métro-boulot-marmots-dodo ?), voilà un peu de fer (qui dans mon cas n'aide pas), et nous devons vivre avec ça.
Il se trouve qu'elle a souffert d'un cancer et qu'en sortie de chimiothérapie elle a eu droit à une période d'EPO comme ceux qui font du vélo. Elle relevait pourtant d'une pathologie et d'un traitement lourd, mais m'a dit Tu n'imagines pas comment c'est la vie avec un sang efficace, tu ne peux pas savoir, on n'est plus la même personne, je me reconnaissais pas, tout était si facile.
Je veux bien croire. La fatigue je vis avec presque en permanence, depuis l'enfance et plus lourdement depuis la puberté. J'ai appris à faire avec, à ne jamais m'écouter à moins de tomber (sinon c'est simple : je passerais mes journées à somnoler sans pour autant me sentir mieux au réveil). Je ne serais pas la même personne si je n'étais pas née fatiguée, jamais je ne me serais laissée enfermer dans la vie que j'ai et qui a consisté à limiter les dégâts en permanence. Je serais probablement beaucoup plus dure et aggressive envers les autres, avec cette présomption qu'ont ceux en bonne santé quand le cerveau sait carburer. Probablement insupportable à mon entourage car vivant trop vite (déjà que là même en me traînant je ne supporte pas l'absence de densité). J'aurais sans doute aimé l'amour au lieu d'être trop raisonnable parce que d'énergie limitée, je ne serais pas une camée de lecture cette activité qui régale le cerveau tout en permettant au corps de rester allongé et presque immobile.
Trop de choses qui en découlent ou en ont découlé seraient différentes, ma vie est constitué, s'est constituée autour de cette fragilité. Peut-être que je ne saurais même pas me comporter si je n'étais plus épuisée. C'est exactement ce que tu écris "Elles font partie de nous".
PS : Cela dit pour l'EPO si quelqu'un a un tuyau sans passer par la case cancer (j'aimerais éviter le plus longtemps possible) ou coureur cycliste pro (trop tard), j'aimerais quand même rudement bien essayer. Le temps par exemple de boucler trois manuscrits que mes souffrances mettent en souffrances. Au diable les effets secondaires, je ne tiens de toutes façons pas à m'attarder.
Complètement d'autre part car concernant un état que j'aimerais (enfin) passager. Il se trouve qu'un de ces récents soirs j'ai passé un moment imprévu et formidable. Que j'étais enfin bien, en excellente compagnie, me sentant à ma place comme rarement ça me l'a fait, alors que très franchement j'ai joué (mais pas exprès) les pique-assiettes.
Mais tout au long de la soirée, une personne me manquait et qui, présente, aurait sans aucun doute été conviée. Il était fou qu'au milieu même de ce bonheur son absence me pèse comme ça. Et je me suis réellement demandée si je n'étais pas dangereusement en train de me (re)construire autour du vide que sa disparition de ma vie m'a laissé, s'il n'était pas précisément en train de se consolider. Si mon intégrité (c'est ton terme et il convient) n'avait pas été à ce point entamée, que ma survie ne pouvait plus que s'organiser "en fonction de". Parce que se structurer autour d'une absence c'est quand même le faire en fonction de la personne concernée.
Et je pourrais reprendre mots à mots ton dernier paragraphe en remplaçant "angoisses" par "chagrins" ou plus largement "souffrances".
Cela dit, être consciente du mécanisme n'offre pas de solution pour l'éviter. Savoir qu'on boîte n'empêche pas de trébucher (mais peut nous éviter d'avoir l'idée saugrenue de vouloir piquer un cent mètres, alors qu'on en est incapable).
merci une fois de plus pour un billet qui donne et aide à réfléchir et secoure à mettre les mots sur ce qui ne va pas comme ça pourrait.
J'ai trouvé ce billet si juste...
Quand au soulagement que tu dis avoir ressenti à nommer ton mal, c'était bien pour moi de le lire. J'ai autour de moi quelques personnes qu'une telle nomination a soulagé mais qui, depuis, s'appuient beaucoup sur les termes médicaux pour tout justifier...et s'excuser.
Quand à cet inconfort qui te semble parfois presque rassurant, ça m'a fait penser à ce que dit la psychanalyse je crois sur les symptômes et que je résumerais par l'idée d'un obstacle qui pourrait aussi être bouclier, une limite mais aussi une aide. Je disgresse un peu sur quelque chose de théorique, ce sont les hésitations que tu marques à énoncer ton paradoxe qui m'y ont amené... Je connais peu de personnes (mais ici il y a aussi Gilda apparemment) qui le réalisent. De l'extérieur, c'est parfois plus simple, sans nier des difficultés, de réaliser combien elles nous facilitent parfois les choses.
Bonsoir Mavie. Mes hésitations ne concernent pas le fond, dont je suis convaincue, mais le comment-le-dire. (Mêmes hésitations qui me firent taire lors de la conversation dont je parle au début de ce billet.) Il y a cette part de nous qui a peur de nous désunir et qui maintient, à notre insu évidemment, un cordage aux amarres du port de l'angoisse*. Mais... on ne tient pas trop à le savoir ;)
*(Comment elle est ronflante ma phrase ? Méheu !)
Bonjour,
Oui, effectivement, j'avais pris les hésitations sur le fond de ce qui était dit...tant ça me semble difficile de réaliser et de pouvoir écrire sur ce genre de paradoxe...:-)
C'est vrai, si on a souffert toute sa vie, et qu'on s'est identifié à cette souffrance, le jour où on se réveille sans cette souffrance on se demande : "mais je suis qui ?" C'est insupportable, mieux vaut continuer de souffrir...
Tant mieux si ton ami a pu mettre un mot sur sa maladie ("mal à dire" comme disait un ami). Les psychiâtres ont tout un arsenal de vocabulaires et de techniques, mais tout ceci ne fait que détourner de la triste et simple réalité : nous sommes de pauvres petits être humains sumbermégés par cette société moderne, trop de mouvement, trop de bruit, trop de pollution psychique... dur de trouver l'amour, l'affection, et de se sentir exister un tant soi peu dans cette immense communauté. Les hommes tombent les uns après les autres, névroses, psychoses... Une vraie hécatombe des temps modernes. Arrêtons nous et soufflons un peu tant qu'il est encore temps.
Tant qu'on arrive à penser sa souffrance, c'est qu'elle ne nous submerge pas, après tout quand on pleure trop on ne voit plus rien. Alors ne perdons pas espoir. J'espère que ton ami va se reconstruire à l'intérieur, doucement mais sûrement, c'est l'affaire de toute une vie... il en ressortira plus fort et plus épanoui.
Pardon si j'ai dit n'importe quoi,
Dzana