Ce matin, entre Adler et Duhamel, l’immuable créneau de ma douche d’avant départ au boulot, agitant mes mains ensavonnées, je fais tomber mon alliance.

Je la remets aussitôt mais avec beaucoup de difficultés qui me seront l’occasion de plusieurs vagues d’interrogation lors des minutes et heures suivantes, du séchage aux rebutantes tâches journalières et néanmoins professionnelles...

Pourquoi aujourd'hui, pourquoi ce matin précisément mon alliance est-elle tombée ? Pure question rhétorique bien sûr, j'emberlificote mes phrases comme on noie le poisson (dans le lavabo). Je sais pertinemment ce que ce jour a de particulier, je ne veux simplement pas m'en souvenir et je fais semblant de m'interroger sur le pourquoi aujourd'hui pour éviter de me demander pourquoi je l'ai replacée à mon doigt.

Un mois aujourd'hui. Cela fait un mois que ce bijoutier m'a rendu la bague de Bertrand après l'avoir rectifiée à ma taille. Et cela fait un mois que je ne sais si je dois continuer à vénérer le souvenir du si compréhensif Bertrand, qui m'a tant aidée à assumer d'être vraiment moi-même et m'extraire du personnage que je jouais en permanence pour me protéger du monde ou si je dois le haïr de n'y avoir aucun mérite, que cette aide providentielle ne soit pas le résultat de l'empathie quasi miraculeuse dont il faisait preuve et que je prenais pour une marque d'affection mais de l'infernal gadget dont il m'a fait la dépositaire avant de se jeter sous un train de marchandises depuis ce pont noir et grinçant.

Depuis un mois, je comprends ce que les gens disent. C’est pénible, je n’en ai pas l’habitude. Je déteste ça. Les gens parlent, j’entends sans avoir besoin d’écouter et je comprends. C’est infernal. J’ai l’impression de me mêler de ce qui ne me regarde pas. D’ailleurs ça ne m’intéresse pas, je ne veux pas savoir.

Vraiment ? Pourquoi alors ai-je remis cette foutue alliance ?

(pour Billets en sablier)