Septembre (?). Maman et Cassandre m'emmènent à une grande fête, très très grande. Il y a des baraques à frites et des baraques à pommes d'amour, et puis aussi des grandes tables où on sert du vin et où on peut s'asseoir pour déballer les pique-niques. C'est un peu comme à la Foire du Trône mais sans les manèges ni les stands. Enfin si, il y a des stands, mais avec des affiches qui ne servent pas de cibles pour les fléchettes et des objets qui ne sont pas pour le chamboule-tout (j'ai demandé).

Il y a de la musique aussi, dans les stands, des tas de musiques différentes avec des gens qui parlent des tas de langues. Maman m'explique que ça s'appelle « la Fête de l'Huma ».

« C'est quoi luma ?
– C'est l'abréviation de l'Humanité.
– Ah oui ! Le journal des croissants !
– Voilà, c'est ça.
– Mais on fait quoi, là ?
– Eh bien on fait la fête tous ensemble, ceux qui aiment bien le même journal que moi. Et on se rencontre avec ceux qui habitent dans d'autres villes ou dans d'autres pays et qui pensent pareil. On discute. »

Eh ben ça alors ! Maman a des camarades dans plein de pays ! Qui voyagent rien que pour la rencontrer !! Je tourne sur moi-même, aussi loin que je vois, c'est une forêt de jambes. Ça ne m'étonne pas qu'elle aie beaucoup d'amis parce qu'elle est vraiment très belle et très gentille. Mais autant, alors là même moi j'aurais pas cru !

« Dis donc, tu as beaucoup d'amis ! Tu es une vedette !
– Non pas tout à fait des amis, des camarades politiques. Ça veut dire qu'on est d'accord sur beaucoup de choses mais pas forcément qu'on aurait envie de se raconter nos petits secrets ou passer des vacances ensemble. »

C'est quand même un peu compliqué les adultes. Si on est d'accord sur beaucoup de choses, c'est bizarre de pas être d'accord sur la maison où aller en vacances !

Enfin, c'est pas grave. Je suis bien contente d'être là parce qu'il pleut. Et comme il pleut j'ai pu mettre mon nouveau ciré en vichy noir et blanc en forme qui s'agrandit en bas avec le col rond en velours noir. Et j'ai un joli parapluie transparent. Cassandre fait une photo avec son nouvel appareil. Maman ne pensait pas qu'il pleuvrait. Elle n'a pas son ciré mais elle a le foulard en plastique qui se déplie. La plupart des dames sont moches avec ça, mais pas Maman, qui est toujours magnifique. Et qui a plein d'amis. Ou de camarades comme elle dit.

Ça fait floc floc quand on marche dans la boue, c'est drôlement amusant la fête de Maman ! J'ai un cornet en papier avec des frites et une saucisse, c'est pas pratique avec le parapluie mais je me débrouille. Mes cheveux sont tout mouillés parce que je n'arrive pas trop à maintenir le parapluie au-dessus de ma tête en mangeant. Mais ça ne me gêne pas, j'ai les cheveux tout courts, je sais que ça va vite sécher, et puis d'habitude quand il pleut on rentre tout de suite et on ne marche évidement jamais dans la boue pour pas salir nos chaussures, alors que là, comme Maman ne veut pas quitter ses amis camarades, je peux en profiter !

J'adore la fête de l'Huma ! J'adore la politique ! Quand je serai grande je ferai plein de politique et j'aurais autant d'amis (zut, crotte, non, de camarades) que Maman !

A un moment, je comprends qu'il y a une dispute entre des étrangers dans un stand et des Français. Evidemment, Maman va voir (peut-être pour leur dire de ne pas gâcher sa fête ?). Il y en a un, un étranger, qui dit : « Vous n'étiez pas tous là. Certains d'entre vous ont laissé faire Vichy pendant que les camarades se battaient chez nous, ne refaites pas l'histoire ! » Alors là, ça crie vraiment. Et moi ça m'inquiète :

« C'est pas bien le Vichy ?
– Non. »

Maman a l'air un peu moins gaie que tout à l'heure.

« Ah. Et, c'est très très grave, le Vichy ?
– Oui. »

Et elle dit à Cassandre : « Le pire, c'est que c'est vrai. »

Et alors là, moi je panique carrément :

« Dis Maman, alors ton camarade il veut que je rende mon ciré au magasin ? »