(Il faut que je me souvienne depuis quand j'ai décidé que mes billets devaient dire quelque chose. Peut-être depuis que je sais qu'il y à quelqu'un a qui je cause de l'autre côté du poste. Au début c'était facile. Bon en fait c'est toujours facile. Si ça se trouve je n'ai rien à dire, juste envie de gueuler.)

Chaque jour un peu plus, je ressens la nécesité de surtout préserver mon état d'hystérique, gros boudin, mal baisée et castratrice. En face on veut nous faire retourner à l'âge de pierre, les femmes qui avortent sur une table de cuisine, qui se débrouillent avec leurs copines, qui parfois en meurent. Ils s'en foutent, leurs filles iront faire un petit voyage d'agrément à la campagne en Espagne ou en Angleterre, par exemple. Ou ils lâcheront le gosse sur les marches d'une église. Je veux que la mienne reste en vie si un jour elle a la douleur de se trouver confrontée à ce choix. Moi j'ai eu de la chance, Mme Veil était passée par là. Maman a failli y passer il y a loin. Non, décidément, je préfère être une salope qui maintient les jeunes filles en vie qu'un cul-béni qui les envoie ad patres au nom d'une vie fantasmée.

Mais après tout, si ces gens sont capables de croire qu'il y a vingt siècles une nana a eu un gosse rien qu'en contant fleurette à un beau gosse avec deux ailes et pas de sexe, pourquoi pas la vie pour chaque ovule hein ? Sauver les embryons c'est étriqué, c'est petit, c'est mesquin. Sauvons les ovules ! Forniquons chaque jour comme des bêtes dès la puberté pour faire vivre tous ces bébés qu'on noie scandaleusement dans les tampax, qu'on etouffe à coup de serviettes hygiéniques, développons des bébés-éprouvettes en batterie, ça paiera nos retraites ! Pourquoi ces gens ne distribuent-ils pas gratuitement des monceaux de revues érotiques dans les lycées et les collèges à la gloire de la baise ? Pourquoi n'organisent-ils pas des partouzes publiques ? Enfin je sais pas moi, tous ces bébés qui meurent tous les mois pour cause d'interdiction de faire l'amour avant d'être mariés, ça me déprime. Vous mesurez le désastre ?

Par Anne Sylvestre...

... et par Pauline Julien

Non non tu n'as pas de nom
Non tu n'as pas d'existence
Tu n'es que ce qu'on en pense
Non non tu n'as pas de nom

Oh non tu n'es pas un être
Tu le deviendrais peut-être
Si je te donnais asile
Si c'était moins difficile
S'il me suffisait d'attendre
De voir mon ventre se tendre
Si ce n'était pas un piège
Ou quel douteux sortilège

Non non tu n'as pas de nom...

Savent-ils que ça transforme
L'esprit autant que la forme
Qu'on te porte dans la tête
Que jamais ça ne s'arrête
Tu ne seras pas mon centre
Que savent-ils de mon ventre
Pensent-ils qu'on en dispose
Quand je suis tant d'autres choses

Non non tu n'as pas de nom...

Déjà tu me mobilises
Je sens que je m'amenuise
Et d'instinct je te résiste
Depuis si longtemps j'existe
Depuis si longtemps je t'aime
Mais je te veux sans problème
Aujourd'hui je te refuse
Qui sont-ils ceux qui m'accusent

Non non tu n'as pas de nom...

A supposer que tu vives
Tu n'es rien sans ta captive
Mais as-tu plus d'importance
Plus de poids qu'une semence ?
Oh ce n'est pas une fête
C'est plutôt une défaite
Mais c'est la mienne et j'estime
Qu'il y a bien deux victimes

Non non tu n'as pas de nom...

Ils en ont bien de la chance
Ceux qui croient que ça se pense
Ça se hurle ça se souffre
C'est la mort et c'est le gouffre
C'est la solitude blanche
C'est la chute l'avalanche
C'est le désert qui s'égrène
Larme à larme peine à peine

Non non tu n'as pas de nom...

Quiconque se mettra entre
Mon existence et mon ventre
N'aura que mépris ou haine
Me mettra au rang des chiennes
C'est une bataille lasse
Qui me laissera des traces
Mais de traces je suis faite
Et de coups et de défaites

Non non tu n'as pas de nom
Non tu n'as pas d'existence
Tu n'es que ce qu'on en pense
Non non tu n'as pas de nom

Anne Sylvestre, 1973.

(si quelqu'un l'a en mp3 et peut me la faire passer je la mettrai ici Et hop ! deux versions du coup !)