Tentative de description d'un effarement
Par Kozlika le jeudi 14 février 2008, 23:55 - Lien permanent
Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, j'ai le sentiment grandissant d'être d'un autre monde, d'avoir été transposée dans une autre dimension. Je n'ai plus de repères. Je suis, vraiment, effarée. Ce n'est pas tant sa politique (mais elle aussi évidemment), que le piétinement de valeurs que je pensais communes y compris à la droite qui provoque chez moi un profond malaise et une profonde aversion. Le fond balayé par la forme, l'occupation du terrain médiatique sur le plus anecdotique de sa vie privée, le bling du coup médiatique terrassant le temps de la politique.
Je ne peux m'empêcher de me demander sans ironie aucune ce que pensent les vrais bourgeois de son comportement de Jourdain ridicule, les vrais croyants de sa toute neuve bigoterie, les vrais hommes de droite de ses coups de pub sans fond véritable, les vrais patriotes de l'image d'une France repliée sur sa peur des étrangers.
Quels étrangers Sarkozy croit-il d'ailleurs décourager avec des centaines de flics assiégeant à l'aube mon quartier hier (et d'autres ailleurs, avant-hier et demain), défonçant les portes d'un foyer de travailleurs africains et embarquant tout ce qui bouge ? Ceux qui mourraient de faim chez eux ? Ceux qui sont menacés d'une balle dans la tête dans leur pays ? Non, ceux-là continueront à venir, car ils n'ont déjà plus rien à perdre. Ceux qui repartent d'eux-mêmes, sans qu'on les raccompagne à la frontière, ceux qui renoncent à venir et choisissent un pays plus accueillant : des ingénieurs, des médecins, des scientifiques, des chercheurs. Et leurs compagnes et compagnons français. Bêtise, incurie, démagogie. Pendant que les policiers sont occupés à chasser de pauvres bougres, ils n'ont pas le temps de s'occuper du reste. Si vous vous sentez une vocation, c'est le moment de vous convertir braqueur de banque. Bling !
C'était hier en bas de chez moi, mais je pourrais explorer d'autres pans du panorama avec le même effarement : les orientations d'éducation proposant de supprimer le soutien des thèses « inutiles », comme si enrichir les savoirs pouvait être inutile, la décision de remplacer la réflexion historique par du mauvais Spielberg, le devoir de mémoire par les devoirs de récitation ; la promotion de la religion en lieu et place de l'apprentissage de la sagesse, au mépris de ce que nous enseigne l'histoire justement : qu'il n'est nul besoin de foi pour être juste, qu'au nom de la religion il y eut maints massacres, que c'est en son nom qu'on fait le pire comme le meilleur, bref qu'elle ne protège de rien. Bling !
Au fait, savez-vous comment on nommait autrefois ces études qui ne servent à rien : la littérature, les langues mortes, la philosophie ? Faire ses humanités. Etonnant non ?
France, terre d'asile. Pays des droits de l'Homme, Liberté, égalité, fraternité : bling, bling, bling, bling, bling, croâ-croâ !
Le titre est évidemment un détournement du poème de Prévert, Tentative de description d'un dîner de têtes. C'est dîner de têtes tous les jours à l'Elysée ces temps-ci.
Commentaires
J'ai lu le texte sur la rafle du 12 février. Le titre du documentaire de Depardon me revient en mémoire: "Afrique, comment ça va avec la douleur?".
Quand j'écris à mes amis en France pour leur demander des nouvelles, maintenant, c'est: "France, comment ça va avec la douleur?".
Sans vouloir me faire l'avocat du diable, il me semble que la bigoterie de Sarko n'est pas si soudaine que ça, puisqu'il a été longtemps ministre des cultes et que son livre La république, les religions, l'espérance date de 2004. Vivement le retour au Moyen-Age que nous promet le discours de Latran.
Braqueur de banque, c'est très surfait, il vaut mieux devenir trader.
Bonjour Anna.
Effarement. Le même mot m'est venu sur le même sujet hier en commentant chez Oxygène. Nous finissons parfois par nous demander s'il est bien raisonnable d'argumenter, de réfléchir à l'histoire et à la civilisation, à la cité. Nous sommes réduits à cette petitesse là, car je connais des derniers thuriféraires dont c'est l'argument, nous sommes petits avec nos valeur seul lui voit grand, mais si je l'entends de mes oreilles vu.
Alors, argumenter, à quoi bon? Pourtant leur victoire serait là, que nous arrêtions.
Alors effarés, nous avons le même mot et j'ai bien peur que ce soit le bon. Combien de décennies pour réparer les dégâts?
Je crois bien que c'était chez Oxygène, mais je commente trop partout en ce moment, je me perds où j'aime aller.
Vérification: Ce n'est pas chez Oxygène chez qui souvent je vais, mais chez Marie-Aude.
Toutafé adapté, le dîner de têtes. Je voulais faire un billet dessus depuis quelques semaines et puis ça m'était sorti de l'esprit. Heureusement que tu es là !
Effarement est exactement le terme qui m'est venu hier.
Et le pire... c'est que je n'ai même plus l'envie de protester, tellement il m'a tuer :)
Et bien nous sommes quelques un à éprouver l'effarement. Je viens à l'instant de publier un texte sur cela. Tu parles de monsieur Jourdain, je parle de Ionesco, tant c'est un personnage de théâtre de l'absurde. Le problème c'est qu'il est réel, c'est qu'il a été élu, et comme dit Andrem, il faut bien dépasser notre effarement pour continuer car c'est bien ce qu'il espère, que notre effarement nos fasse taire, comme une certaine gauche devenue muette ...
Seule lueur dans ce long tunnel (et nous n'en sommes qu'au début) des valeurs humaines de base (enfin je croyais)piétinées par notre président bling bling et sa troupe : ceusses (mes collègues) autour de moi, qui ont voté pour lui, comme un (e) seul (e)homme/femme en me traitant d'has been ("mais en fait tu ne veux pas changer la Franceeeeeeee" ; "mais seul Sarko, si jeune et si dynamiqueeeeeee en est capableeeeeeee", tombent de haut aujourd'hui.
Mais c'est trop tard et ça ne me fait même pas jubiler. D'autant plus, qu'ils sont choqués par le coté people du personnage et l'absence de résultats économiques mais pas par les "
valeurs" qu'il véhicule et qui piétinent les plus faibles d'entre nous.L'effarement est passé, chez moi. J'en suis au stade "blasé et désespéré". J'ai l'impression de les voir (parce qu'il est quand même suivi) détruire ce en quoi je croyais. Sans que je puisse faire quoi que ce soit. Et ça me désespère encore plus
Comme Anita hier sur La pêche à la baleine, je me demande comment l'arrêter. La phrase (d'Alphonse Allais je crois) « Une fois qu'on a passé les bornes il n'y a plus de limites » vient à l'esprit. Il semble que quelqu'un a soulevé le couvercle d'un conteneur poubelle sous couvert de bonnes intentions (changer la France, dynamisme, ... comme l'expose frederik) et que personne n'est plus capable d'endiguer le flot de déchets qui se déverse.
Effarement est le mot que je cherchais dans ma tête depuis un moment déjà pour exprimer ce que je ressens. Et pourtant1 j'avais suivi d'assez près les Berlusconneries à une époque (1) et qui donnaient déjà un avant-goût assez prononcé. Et pourtant2 dés la période d'avant les élections j'avais tenté d'en prévenir des gens avec lesquels je n'étais pas d'accord, mais je me suis faite traitée de vieille gauchiste et de cinglée. En fait ceux qui m'écoutaient le moins pas étaient ceux de la droite digne (celle des anciens patrons paternalistes et qui m'horripilait mais qui à présent rétrospectivement semble pétrie de bon sens et d'humanité - elle n'en était pas dépourvue après tout même si elle partait du principe "charité bien ordonnée commence par soi-même" -). Si seulement pouvait venir à gauche quelqu'un de suffisamment d'envergure, à la fois assez neuf et assez expérimenté pour constituer une opposition fédérante (je vois bien quelqu'un mais elle hélas trop femme (on a bien vu que l'ensemble du pays était encore connement coincé) et pour l'instant trop jeune, mais dans 10 ou 15 ans j'aimerais pouvoir voter pour elle, à double titre d'ailleurs (ça voudrait dire que j'aurais tenu jusque là)).
Donc oui, je m'y attendais à ce que ça vire à quelque chose comme ça, mais à ce point là, franchement non, je pensais naïvement que l'homme aurait quand même quelque conscience de sa fonction et qu'il se sentirait obligé de laisser au vestiaire quelques unes de ses façons de capomafiosino.
C'est au point que certains jours j'ai presque envie de rire. Vous rendez-vous compte on a le bouffon et le roi réunis en un seul et même personnel (chefs d'entreprises prenez-en de la graine pour vos économies d'effectifs :-( ).
Seulement comme je ne suis qu'une pauvre indécrottable vieille humaniste le sort de quelques-uns (!) m'en retient.
Merci d'avoir précisé pour Prévert, figure-toi que j'étais passée à côté (je m'étais juste dit, putain le titre, chapeau).
(1) L'air de rien je vais un effort pour ne pas remonter plus avant.
PS : merci CRE, j'ai bien ri (
"Braqueur de banque, c'est très surfait, il vaut mieux devenir trader." )
pardon "fait traiter" (et pourtant j'avais fait prévisualiser)
Merci Simone Veil.
La Simone, elle est sympa, mais je l'aurais cru assez intelligente pour ne pas découvrir que maintenant que c'est un con.
Effarée, accablée, écoeurée, oui.
Ah non Xave, elle a commencé avant :-) (avril 2007) : "L'ancienne ministre centriste Simone Veil critique de nouveau la proposition du candidat de l'UMP à l'élection présidentielle Nicolas Sarkozy de créer un ministère de "l'Immigration et de l'Identité nationale" dans une interview publiée lundi par Tribune Juive."
http://renover92.canalblog.com/arch...
Ce qui m'effare le plus, c'est que chaque jour une nouvelle source d'effarement apparaît surpassant l'autre. Je me demande effectivement où ça va s'arrêter, comme si nous étions tous testés pour évaluer nos limites de tolérance.
Je suis moins effarée de l'homme lui-même,-aussi ahurissante que soit sa nécessité de semer le bren partout, je pense qu'il ne PEUT pas s'en empêcher- que du silence des politiques en face. J'espère que le manifeste contre la monarchie élective sera entendu. On n'est plus a discuter des positions différentes, on en est à protéger les fondements d'une République.
Effarement, c'est le bon mot. J'en suis à me dire que c'est le 1er Avril tous les jours ou à frémir, et pour les mêmes raisons que les autres, parce que, par exemple, j'ai vu des mères de familles refuser de confier à l'avance les papiers d'identité de leurs enfants au prof qui organise un voyage scolaire au motif qu'ils ne pouvaient pas risquer de ne pas pourvoir répondre à un contrôle d'identité (de nationalité ?)..
Mon fils Ephraïm sera l'année prochaine en CM2. Il est inconcevable qu'il revienne un jour à la maison, les épaules lourdes d'un nom. Se souvenir ne saurait être ce face à face morbide. Le "devoir de mémoire" est, me semble-t-il, avant tout collectif.
Y a quand même un truc qu'il n'a pas encore osé faire mais je suppose parce qu'ils se sont dit que ça faisait trop "vieux", c'est Carla Bruni à l'Académie Française. C'est vrai quoi, en ce moment il y a tellement de sièges vacants ça serait une façon de voler au secours des belles lettres poussiéreuses dans ce pays encrouté.
(note à l'attention des passants de hasard ou malencontreux : c'est du second degré, je tiens à préciser).
Combien d'années d'études pour sortir un numéro pareil ? Combien d'années en politique ? Actuellement je regrette vraiment d'être française.
Bush+ Berlusconi=Sarko:risible parfois,pitoyable souvent,dangereux toujours
Pour ce que je connais de "la bourgeoisie "de la génération précédente
elle est aussi "effarée"mais pas encore au stade du regret.
Celle de MA génération ...profite.
Quand à leurs enfants...voyez ce qui ce passe à Neuilly
Effarement presque quotidien et , comme le dit justement Vroumette : jusqu'où ira-t-il et par voie de conséquence jusqu'où tolèrerons nous ?
Je suis encore un peu jeune et tête en l'air et étourdie pour avoir bien suivi la campagne et surtout connaître et retenir ceux qui l'ont soutenu mais encore une fois n'est-il pas tristement effarant qu'à l'image de Simone Veil, d'autres comme Alain Finkelkraut (et après je sais plus...) qui l'ont loué et soutenu et défendu et je sais pas quoi ne réalisent que maintenant le tragique de la situation engendrée... mais comment sont-ils tombés là-dedans et ne se sont-ils réveillés que trop tard !!?
chaque jour il nous sort un truc de son chapeau, et à chaque fois c'est tellement énorme que ça crée des polémiques... est-ce possible de destituer un président indigne ?
Ses ex copains de l'UMP sont pour la plupart eux-aussi "effarés" puisque l'on voit disparaître le sigle UMP de beaucoup de listes municipales !
Rien que pour cette note, je suis content d'avoir ton blog dans mes liens.
(France, terre d'asiles)
Pour ce qui est de Simone, je suis un peu soulagée, c'était la seule personne de droite pour qui j'avais de l'estime, mais je me dis putain de bon dieu de bordel de merde, elle pouvait pas y penser avant? Avec la notoriété qu'elle avait et le nombre de gens qui lui faisaient confiance, elle lui a peut-être donné à elle seule les 3% qui l'ont fait gagner!
France terre d'asile …de fous !!
Moi je lache l'affaire, presque…
C'est plus mon monde.
Osef…
Ce qui m'effare c'est le nombre de gens qui se réveillent 9 mois plus tard alors que des gugusses comme moi n'ont fait que tirer la sonnette d'alarme pendant toute la campagne. Ceux qui disaient ne pas savoir à quoi s'attendre ont une lecture bien légère de la politique et l'ont élu à l'époque pour les mêmes raisons qu'ils le détestent aujourd'hui. Les vrais gens de droite n'en ont rien à foutre de lui, lui ou un autre, peu importe, mais surtout rester à droite (cf Giroud qui disait que si le RPR présentait une chèvre dans le 16e elle serait élue)...
Juju> J'ose espérer que tu parles des gens en général sans viser ce billet en particulier, parce que des gugusses qui on tiré la sonnette d'alarme, tu en as une à la tête de ce blog et un paquet dans les commentaires.
Je m'interrogeais aussi sur ce qu'en pensent les vrais gens de droite et l'ai demandé à un ami lyonnais (de droite, donc), qui m'a répondu être fermement décidé à voter Collomb... De là à conclure que tout espoir n'est pas perdu, je ne sais, cet ami a fait ses humanités...
Entièrement d'accord sur ce billet.
Je voulais simplement préciser qu'en Belgique, on fait toujours " ses humanités ".
Cordialement.