Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, j'ai le sentiment grandissant d'être d'un autre monde, d'avoir été transposée dans une autre dimension. Je n'ai plus de repères. Je suis, vraiment, effarée. Ce n'est pas tant sa politique (mais elle aussi évidemment), que le piétinement de valeurs que je pensais communes y compris à la droite qui provoque chez moi un profond malaise et une profonde aversion. Le fond balayé par la forme, l'occupation du terrain médiatique sur le plus anecdotique de sa vie privée, le bling du coup médiatique terrassant le temps de la politique.

Je ne peux m'empêcher de me demander sans ironie aucune ce que pensent les vrais bourgeois de son comportement de Jourdain ridicule, les vrais croyants de sa toute neuve bigoterie, les vrais hommes de droite de ses coups de pub sans fond véritable, les vrais patriotes de l'image d'une France repliée sur sa peur des étrangers.

Quels étrangers Sarkozy croit-il d'ailleurs décourager avec des centaines de flics assiégeant à l'aube mon quartier hier (et d'autres ailleurs, avant-hier et demain), défonçant les portes d'un foyer de travailleurs africains et embarquant tout ce qui bouge ? Ceux qui mourraient de faim chez eux ? Ceux qui sont menacés d'une balle dans la tête dans leur pays ? Non, ceux-là continueront à venir, car ils n'ont déjà plus rien à perdre. Ceux qui repartent d'eux-mêmes, sans qu'on les raccompagne à la frontière, ceux qui renoncent à venir et choisissent un pays plus accueillant : des ingénieurs, des médecins, des scientifiques, des chercheurs. Et leurs compagnes et compagnons français. Bêtise, incurie, démagogie. Pendant que les policiers sont occupés à chasser de pauvres bougres, ils n'ont pas le temps de s'occuper du reste. Si vous vous sentez une vocation, c'est le moment de vous convertir braqueur de banque. Bling !

C'était hier en bas de chez moi, mais je pourrais explorer d'autres pans du panorama avec le même effarement : les orientations d'éducation proposant de supprimer le soutien des thèses « inutiles », comme si enrichir les savoirs pouvait être inutile, la décision de remplacer la réflexion historique par du mauvais Spielberg, le devoir de mémoire par les devoirs de récitation ; la promotion de la religion en lieu et place de l'apprentissage de la sagesse, au mépris de ce que nous enseigne l'histoire justement : qu'il n'est nul besoin de foi pour être juste, qu'au nom de la religion il y eut maints massacres, que c'est en son nom qu'on fait le pire comme le meilleur, bref qu'elle ne protège de rien. Bling !

Au fait, savez-vous comment on nommait autrefois ces études qui ne servent à rien : la littérature, les langues mortes, la philosophie ? Faire ses humanités. Etonnant non ?

France, terre d'asile. Pays des droits de l'Homme, Liberté, égalité, fraternité : bling, bling, bling, bling, bling, croâ-croâ !

Le titre est évidemment un détournement du poème de Prévert, Tentative de description d'un dîner de têtes. C'est dîner de têtes tous les jours à l'Elysée ces temps-ci.