Très bonne soirée hier en compagnie d'une bande de fous pour aller écouter Luisa Miller à l'Opéra Bastille. Pas de représentation historique qui me marquera à tout jamais, pas d'aspérités qui me feraient regretter de m'être déplacée. Un spectacle « honnête », bien chanté, aux décors hypra-conventionnels, un peu trop marshmallow mais pas gênants, à la mise en scène bien peu exigeante. J'imagine les dialogues : mets-toi là et regarde par ici, et après tu te mets là et tu regardes par là. A mon avis, Gilbert Deflo n'a pas trop emmerdé les interprètes avec des directives précises, sauf peut-être les chœurs qui donnaient parfois l'impression d'un public devant un match de tennis, tournant tous ensemble le corps et la tête dans la même direction[1].

La direction m'a laissée perplexe : j'aime bien que la musique laisse toute sa place au chant à l'opéra, mais hier on frôlait l'inexistence totale, et les musiciens Orchestre de l'Opéra de Paris m'ont à plusieurs reprises donné l'impression d'un déroulé mécanique d'une partition avant de pouvoir enfin rentrer chez soi (ce que beaucoup firent d'ailleurs avant même que le chef aie fini de saluer à la fin de la représentation…). Comme je les sais capables d'autre chose, j'ai tendance à penser que Massimo Zanetti y est pour quelque chose. Je tempérerai toutefois ma critique car j'étais située assez profond sous la « casquette » du deuxième balcon au-dessus de ma tête et il est fort possible que l'acoustique ait exagéré cette impression[2]

Luisa Miller © F. Ferville/ Opéra National de Paris

L'atout majeur du spectacle, et ça tombe bien pour un opéra, c'était l'interprétation. Du bon (la duchesse de Maria José Montiel, toutefois un peu agaçante dans son surjeu) au très bon (le Wurm de Kwangchul Youn, parfait salopard tant en voix qu'en jeu), en passant par une belle Luisa chantée par Ana Maria Martinez. Dommage que cette chanteuse manque un peu de puissance (aïe les ensembles) et surtout d'émotion : son timbre velouté et frais est très agréable et j'en étais d'autant plus frustrée de n'être pas plus émue.

Et puis il y avait les papas. Le papa de la douce et pure Luisa (le baryton Paolo Gavanelli) et le papa de l'impétueux amant (la basse Ildar Abdrazakov). Pile et face. Le bon papa et le géniteur tyranique, tous deux sinon parfaits du moins bourrés de qualités. Mention spéciale admirative à Paolo Gavanelli, arrivé la veille de Padoue pour remplacer au pied levé Andrzej Dobber souffrant.

Luisa Miller c'est au moins autant la conception de deux parternités qu'une histoire d'amour qui finit mal. C'est que les papas chez Verdi, ça n'est pas rien. Aucun autre compositeur leur donne une telle place que ne le fait Guiseppe. Voyez les « tubes » de l'opéra italien : pas de père dans la Bohême ou Tosca de Puccini, pas de père dans L'Elixir d'amour ou Lucia di Lammermoor de Donizetti, chez Rossini guère que Cendrillon, qui n'est pas le plus célèbre. Alors que chez Verdi, la « trilogie » est aussi celle des pères : Rigoletto c'est le papa-poule de Gilda, le moment fort de La Traviata c'est le duo du père d'Alfredo avec Violetta, Le Trouvère c'est le fils retiré à son père. Et ici aussi donc.

Ah qu'il est bon le papa de Luisa. Qui ne voudrait d'un papa comme ça, qui refuse de marier sa fille contre son gré – et contre son époque –, qui lui interdit de s'humilier pour lui, qui est disposé à fuir et refaire leur vie en mendiants pour l'éloigner de la douleur, qui l'enveloppe dans ses bras lorsqu'elle va mourir. D'ailleurs Luisa ne s'y trompe pas : elle était prête à mourir pour son fiancé, la voilà devant les larmes de son père prête à vivre pour lui. C'est bien simple, on dirait Antigone et son paternel (comment il s'appelait déjà çui-là ?)

Moi j'aime bien beaucoup Verdi et je crois bien que c'est parce que j'aime aussi bien beaucoup ses papas.

J'peux avoir un câlin, dis ?

Notes

[1] Et je note, peau de vache, que ça n'a pas l'air de les avoir aidés à démarrer au même moment, surtout en première partie…

[2] Hypothèse plausible si je m'en réfère à la critique de Paris e.vous : « La noirceur, le sang, la subtilité, il faut les chercher dans la fosse : Massimo Zanetti dirige l’orchestre de l’Opéra de Paris d’une baguette nerveuse qui a le sens du terrible. La partition de Verdi en ressort magnifiée : lumière sereine ou angoisse oppressante, il sait lui insuffler les couleurs idoines. » ou alors ces gens-là n'ont pas d'oreille.