C'est, me semble-t-il, le même piège tendu par le romantisme.[1] Et cette fois, je ne le vois même pas comme une dérive possible mais comme un échec inévitable. Les pièges du romantisme sont d'ailleurs innombrables – à commencer par ce que le romantique est au fond bien plus séduit par son propre sentiment amoureux que par l'objet de son amour – mais parlons-en sous cet aspect du « assez bien c'est pas assez bien ».

Explosif à mèche courte : passée la phase de rencontre-séduction et du délicieux et-si-c'était-Elle/Lui, il faut bien se résoudre à l'évidence, l'Assez-Bien pourrait être mieux. On dégage et on repart à la recherche de la moitié parfaite, l'âme sœur, le yin de mon yang. Notons que le partenaire futé saura maintenir au fil du temps une entreprise de conquête aussi intense qu'au jour de la rencontre, funambule habile, d'autant plus habile que sa mise en danger permanente tient son spectateur unique en haleine et (auto-)admiratif (wah je vaux vachement le coup !). Las, notre valeureux fil-de-fériste sera révoqué dès qu'il tentera de poser pied sur la plate-forme.

Explosif à mèche longue : l'Objet de mon amour ne peut pas être juste assez bien sinon l'appel du pas-assez-bien me ferait le chasser (et je n'en ai pas envie). Ça ne fait rien, mon amour – mon moi-amoureux –, lui, est superbe, cultivons-le. S'opère ici l'Ascension, et pas que le quarantième jour après Pâques. L'Objet de son amour gagne un piédestal, c'est l'Unique, le Parfait, quitte à tordre parfois un peu la réalité, les vilains détails joliment estompés par un flou hamiltonien. Le problème c'est que le flou peut se dissiper malencontreusement à la suite d'une avarie sur la machine à brouillard. Souvent cela vient de l'Objet lui-même, qui perçoit le décalage, s'en satisfait (waw qu'est-ce que je suis bien), puis s'en inquiète (suis-je à la hauteur) et finalement se rebelle (eh oh, mais c'est pas moi !), pour échapper à la claustrophobie.

Mort par Admirable Autocombustion : la mèche longue a fait feu, c'est la rupture. Mais il ferait beau voir que je n'aurais aimé qu'un finalement Assez-Bien pour lequel je ne serais pas assez bien avec tant d'allant. L'Assez-Bien cède la place à Ma Douleur sur son piédestal et je m'accroche à mon chagrin qui doit être tout aussi irréfragable et incommensurable que l'était (que l'est encore) mon amour. Il est hors de question que je m'en remette, manquerait plus que ça, je ne suis pas si minable. A jamais l'ombre de ton ombre, l'ombre de ton chien, le romantique s'assure une mort de son vivant, lente et douloureuse... mais tellement belle.

Je discutais de tout ça avec mon ami John Lennon qui surfe élégamment sur le « assez bien c'est pas assez bien » tendance « c'est super voyons si ça peut être encore mieux » et je me réjouissais qu'il refuse sa carte de membre au club des autocombustibles. Et comme nous avons décidé de publier nos entretiens (in-8° coquille, relié maroquin ivoire, papier vergé de Hollande, coupe-papier non fourni) pour l'édification des générations futures, en voici en exclu pour vous le premier chapitre.

Parce que ça sert à ça aussi un blog. ;)

Notes

[1] Je fais là référence à la doxa dans le domaine amoureux, je connais trop mal le courant de pensée pour me risquer sur ce terrain même si j'intuite que ça pourrait être comparable. Et je parle bien de romantisme et non de sentimentalisme.