Ça y est enfin. Cela fait des semaines que je pense à ce moment. Comme le dit le dicton coréen, « le meilleur moment quand on fait l'amour, c'est quand on monte les escaliers ». Un bordel monstre règne dans et sur mon bureau. Rien à battre.

Partir. Fuguer plutôt. Le chemin qui me mène à la Vénérable Entreprise passe par la station Gare Montparnasse. Combien de fois me suis-je imaginée descendre là, entrer dans la gare, prendre le premier TGV en partance, trouver un hôtel face à l'océan et m'y cacher.

Et puis le mail de la pêchue pêcheuse est arrivé, avec ses conditions générales de vente : on m'attendait là quand je voudrais, « sans decorum, et puis sans decorfemme non plus » Xave m'a dit vas-y, fonce, va souffler. J'ai tergiversé, je n'aime déjà pas débarquer chez les gens sans être sûre que je ne les dérange pas, alors amener ma gueule de dix pieds de long, peser de tout mon poids, ça non. J'ai pensé attendre que les antidépresseurs fassent effet. Petit calcul. Vers le 6 avril ça devrait être bon, je pourrais par exemple trouver un train entre midi et treize heures, ça me laisserait le temps de préparer un sac et d'arriver en fin d'après-midi.

Claire, Isolde, Lola, tout le monde m'a conseillé d'accepter, et elles m'ont dit que j'en avais le droit aussi. Je crois que c'était ça que j'avais besoin d'entendre.

Elle était à la gare pour me ramasser en drôle de baleine échouée. M'a dit que les gens du Sud avaient les bras grands ouverts et ne les refermaient jamais. Sûr qu'elle est du Nord alors. C'est chaud et doux comme un peignoir éponge.

Dans la chambre à coucher rien que pour moi, il y a des draps blancs avec des fleurettes parme mauves. Il y a des crêpes, du cidre, du pain maison qui embaume le penty et la grande table et la véranda, une fillette aux fascinants grands yeux noirs qui ignore la ligne droite et se déplace en tire-bouchon, un elfe roux moqueur, une mathématicienne surfant entre p-adic et π addict, la mousse entre les rochers, l'odeur du poney-club, l'odeur de l'océan, l'odeur du café chaud.

Ici on ne badine pas avec la générosité et l'on offre généreusement des instants d'humeur badine.

(Deux en un : sixième amorce du Sablier et Dis-Moi Dix Mots.)