Je crois que j'ai compris, pour l'opéra.

Nous avons tous une approche très personnelle de la musique. Certains, beaucoup parmi mes amis – hier soir encore – disent qu'elle influe sur leur humeur. Un copain m'a même envoyé un zip monstrueusement gros avec tous les tubes des années 80 et bien plus encore avec comme prescription jointe de remplacer mes écoutes habituelles par celles-ci.

J'ai remplacé par le silence, à l'exception du Ruhe Sanft au statut un peu spécial, rien ne me convenant.

La relation qui m'unit à la musique n'est pas « influente ». Ecouter un morceau gai quand je suis triste ou l'inverse ne crée chez moi qu'un sentiment de fort décalage et par conséquent de lassitude rapide. Ce que j'aime dans la musique c'est sa résonance, son écho, son empathie. Qu'elle provoque en moi ce petit pincement au cœur, je dirais même un soulagement, quand j'écoute et que je peux me dire : « Ah oui, c'est ça, c'est exactement ça, je me reconnais, c'est moi. »

Or en cette période je ne ressens rien d'assez continu pour me reconnaître dans aucune musique. Et si je viens de faire ce rapprochement c'est qu'ayant le projet de faire une petite sieste, j'ai eu l'idée d'allumer une chaîne musicale sur la radio. J'allais l'éteindre car déjà je me sentais trop en dehors quand un morceau de musique contemporaine atonale dont je serais bien en peine d'indiquer les références car je n'avais écouté l'animateur que d'un quart d'oreille a surgi des enceintes. Ça piallait, bruissait, soupirait, ça faisait des silences et des symbales, ça faisait cinq ou six notes presque mélodieuses et repartait dans les sons étranges produits avec je ne sais quel instrument démoniaque. En principe je déteste ça, ça me semble hermétique, snob, vain. Sauf là, tout à l'heure, ce petit pincement au cœur, ce soulagement : ah oui, c'est ça, je me reconnais !

Oui c'est moi, je ris, je pleure, je me mets en colère, je m'écroule de fatigue, je suis happée par les mots, le tout dans la même minute. C'est bordel intégral, brouillage à tous les étages, pêle-mêle sans queue ni tête. Mais c'est bien moi.

Alors je crois que j'ai compris, pour d'autres trucs aussi.

Depuis que j'ai vu le toubib il y a trois semaines, quand je ris je me dis « ah tu vois que tu vas bien, tu faisais juste semblant d'aller mal » et quand, deux minutes plus tard je pleure, je me dis alors « tsssst, tricheuse, tu faisais semblant de rire mais en vrai tu es dans le trou ». Ce que m'apprend ce morceau c'est que peut-être, oui sûrement même, je ne fais pas semblant, ni à ce moment-ci ni à ce moment-là, que oui c'est tout ça à la fois ou plutôt à intervalles courts, comme l'enfant qui tombe, se fait mal, pleure, fait un gros câlin à son nounours en serrant très fort les bras autour de son cou, puis repart en riant jouer avec ses copains, puis tombe, etc. En se jetant tout entier dans chacun de ces états.

Peut-être, sûrement même, que je dois accepter cet état-là comme étant le mien, pour cette période en tout cas. Et vivre l'instant présent sans me demander ce qu'il en sera demain ou dans deux minutes et si ces rires-ci rendent illégitimes ces larmes-là ou vice-versa. Peut-être que je dois apprendre à dire à l'une, plutôt que « et si on déjeunait ensemble jeudi midi ? » : « quels sont les jours où je peux t'appeler au dernier moment pour un déjeuner ? » (bon ça fait un peu princesse je vous l'accorde, mais juste en ce moment, promis !) Peut-être que j'ai le droit de dire à l'autre « prends-moi dans tes bras je voudrais y pleurer » et ensuite aller jouer ensemble avec le vent puis partir deux jours plus tard. Tâcher de faire tout cela honnêtement en disant simplement « je fais ce que je peux et je ne sais pas ce que je veux ».

Parce que je ne sais pas si je l'ai déjà dit, mais je suis un peu légèrement beaucoup perdue là. Et retrouver au plus vite la boussole ne s'impose peut-être pas tant que ça. Finalement.