Je ne connais pas les raisons de l'enthousiasme des amateurs éclairés de Pina Bausch. Je ne m'intéresse à la danse contemporaine qu'en spectatrice décervelée, sans chercher à la comprendre ni comprendre l'intention du chorégraphe ou resituer son œuvre dans le contexte historico-politico-culturel. Je consomme en somme et ne demande qu'à être émue et émerveillée.

Pina Bausch a toujours pour moi tenu ce pari-là, m'ébaubir et m'émouvoir, dans la douleur du Café Müller ou les scintillements d'eau joyeux de Nefès. La magie tient bien sûr de la chorégraphie en premier lieu. Mais après avoir vu l'Orphée et Eurydice dansé par la troupe de l'Opéra de Paris, j'ai pris conscience d'un élément essentiel à la magie Pina qui me frappa par contraste : tous ces corps parfaits, presque semblables, grâcieux ô combien, agiles et dociles formaient un vraiment beau ballet mais il y manquait quelque chose.

C'est que les autres spectacles que j'avais vus auparavant étaient dansés par sa propre troupe, le Tanztheater Wuppertal. Des corps anguleux, d'autres graciles, des petits et des grands, des bruns et des roux, des doux et des violents. Des qui crient tout en dehors, des qui chuchotent en s'excusant. Pina Bausch ne s'accommode pas de ces différences, elle les met à profit pour en composer une harmonie qui étonne puis devient évidente. Les ensembles ne sont pas beaux malgré la disproportion des corps, les couleurs multiples des peaux, les personnalités des danseurs : ils sont beaux grâce à eux.

Un « homme de Wuppertal » est entré dans ma vie. N'allez pas croire que je me suis laissée faire. Je suis bien plus pleine de préjugés que ce que j'essaie de faire croire. D'abord ce gars-là quand il regarde Le Péril jeunes ça ne lui évoque rien de ce qu'il a connu – et il n'a même pas l'excuse de l'âge vu qu'on a le même. Ensuite il a(vait) l'habitude de passer ses vacances en caravane. Beuuuuuurk ! Ajoutez à ça que sa chérie d'avant n'a jamais bossé de sa vie et qu'il tirait fierté (et le diable par la queue) de nourrir tout seul tout son petit monde. Au cas où il en faudrait encore sachez qu'il portait autour du cou une chaînette en or avec médaille (que j'assimilerai ici à certaine gourmette en argent)[1]... bref. Wuppertal je vous dis.

Faut croire que l'esprit de Pina veille sur nous. Ça marche plutôt pas mal notre duo dansant, voire mieux que très bien. En ce moment je me dis que ça doit être justement ces inattendues rencontres de carpes et de machines à coudre, de parapluies et de lapins, qui rendent mieux que jolie notre chorégraphie.

Quel talent !

Notes

[1] Je jure que je n'ai jamais fait aucune remarque mais il ne la porte plus.